Autour de la culture (3ème partie)
C. Culture et Nature
Morin (2001, p.26) écrit : « De la Terre effectivement est issue la vie et de l’essor multiforme de la vie polycellulaire est issue l’animalité, puis le plus récent développement d’un rameau du monde animal est devenu humain»[1]. En effet, l’être humain appartient à l’embranchement des vertébrés, à la classe des mammifères et à l’ordre des primates. L’homme a en commun avec les singes et les gorilles 98% de gènes. Il se différencie d’eux que par les 2%. Et ce sont ces 2% qui ont fait décoller l’humanité et ont permis sa domination sur les non-humains[2]. Est-ce que la culture n’est pas une spécificité de l’espèce humaine ? Est-ce que l’espèce animale est capable, comme l’homme, d’inventer et de transmettre des pratiques autre qu’instinctives ou environnementales ? La théorie, « la culture est propre à l’homme » longtemps admise est remise en cause avec le concours des disciplines telles que la biologie, l’anthropologie, l’éthologie… C’est de ce point de vue qu’il sera question dans cette partie. Celle-ci sera appréhendée à la lumière des travaux de P. Descola, W. Mc. Grew, Y. Coppens, P. Picq, E .Morin, J.M.Shaeffer… La question de l’identité de l’homme et sa place dans la nature a intéressé de nombreux chercheurs de divers horizons, les théologiens, les philosophes, les ethnologues, les anthropologues, les biologistes, les éthologistes… Ainsi au fil des siècles, ces chercheurs ont essayé de définir l’humanité. A l’époque de la Grèce antique, au IVème siècle, à Athènes Aristote écrit que « l’homme est le seul animal politique »[3]. Et Platon avance que « l’homme est le seul animal bipède ». Déjà aux temps d’Aristote et de Platon, on conçoit l’animalité de l’homme, tout en plaidant sa spécificité. A propos de ces définitions J.M. Schaeffer (2007, p.162) dans La fin de l’exception humaine note : « D’une part on reconnait à l’homme l’animalité, en même temps il n’est pas « que cela » ; il est même essentiellement autre chose, puisque ce qui fait la spécificité l’oppose à l’ensemble (des autres) animaux »[4]. Sur l’identité, la conception de la religion est catégorique, elle plaide pour la rupture ontologique. Elle considère que l’être humain est unique, à l’image du Dieu qu’il l’a créé. L’homme se distingue de l’animal sur tous les plans : corps et âme. Tout sépare donc l’homme de l’animal. Et le siècle des lumières ou s’est affirmée la pensée matérialiste et la laïcisation des savoirs n’a pas empêché les naturalistes influencés par la religion à reprendre la conception d’Aristote, à savoir que l’homme et l’animal sont analogues du point de vue physicalité, mais différents du point de vue intériorité, termes vus dans le sens employés par P. Descola. Ce dernier réfute cette conception occidentale qualifiée par lui-même de « naturaliste », qui préconise une rupture ontologique, d’un côté les êtres humains et de l’autre le reste des vivants. Pour lui, cette conception, marque une frontière entre culture et nature, en ce sens qu’ils (les naturalistes) considèrent que l’être humain se distingue des êtres vivants par l’intériorité (âme). P. Descola pense qu’il existe un rapport étroit entre les êtres vivants : ils partagent non seulement la physicalité mais aussi l’intériorité d’une part. D’autre part, la culture a un lien avec la nature. Dans son ouvrage Par-delà nature et culture, il propose quatre ontologies : l’animisme, le totémisme, l’analogisme et le naturalisme. Pour les appréhender, il a choisi comme modes d’identification la physicalité (corps) et l’intériorité (âme). Et ces attributions, ne sont en fait qu’une combinaison d’états mentaux et de processus physiques[5]. Ainsi pour lui, le naturalisme qui opère une distinction entre la nature et la culture n’est qu’une option parmi d’autres. D’autres peuples animistes comme les Achuar ignorent cette distinction. Les animistes en Amérique du Sud, en Sibérie, en Amérique du Nord considèrent les êtres vivants doués d’intériorité. Les peuples totémistes identifient les non-humains à des humains. Ils estiment partager avec les non-humains un ensemble de qualités autour desquelles, ils s’individuent[6]. Selon J.M. Schaeffer (2001, p.33) P. Descola dans son étude des Achuar d’Amazonie, a voulu montrer que la dichotomie entre nature et culture de la pensée occidentale qui a tendance à coïncider avec la distinction de l’humain et le non-humain, n’existe pas ailleurs, chez les indiens par exemple. Les cosmologies amazoniennes déploient une échelle des êtres ou les différences entre l’humain et les autres êtres vivants (animaux, plantes) sont de degrés et non de nature[7]. Cette conception occidentale, qui a opposé d’une part nature et culture, et d’autre part l’être humain et le non-humain a longtemps prévalu en Europe. Et cela a conduit à orienter les débats à spéculer pendant longtemps sur le propre de l’homme.
[1] Op. cit., MORIN Edgar, 2001, p.26.
[2] Ibid., p.27.
[3] Cité par PICQ P, Aux origines de l’humanité, Le propre d l’homme, PICQ P, COPPENS Y (dir.), Paris, Ed. Fayard, 2001, p.14.
[4] Op. cit., SCHAEFFER, 2007, p.162.
[5] DESCOLA Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Ed. Gallimard, 2005, p.176.
[6] ROUSSEAU Nicolas, « Autour de Par-delà nature et culture », Entretien avec DESCOLA Philippe : www.actu-philosophia.com › Les grands Entretiens d’Actu-Philosophia, consulté le 12/12/2016.
[7] Op. cit., SCHAEFFER, 2007, p.33.