Livres : Etienne Dinet, retour sur un « héritage colonial » légitimé…

L’auteur de ce livre, François Pouillon, est ethnologue, spécialiste du monde arabe. Son nom n’est certainement pas étranger à l’Algérie, ni aux Algériens,  puisque c’est le fils de l’architecte Fernand Pouillon, à l’origine de nombreuses structures et bâtiments construits dans notre pays dont : Diar es-Saada, Diar el-Mahçoul, Climat de France et de nombreux hôtels et sites touristiques de renom implantés un peu partout sur le territoire national, à Annaba, Sétif, Constantine, Bou-Sâada, Timimoun…

Ayant à son actif de nombreux ouvrages qui ont trait à l’anthropologie, l’ethnographie, l’orientalisme, le Moyen-Orient et autres sujets de recherches, François Pouillon s’est également beaucoup intéressé à l’Algérie et à sa Grande Histoire, du fait peut-être de sa petite histoire personnelle. Aussi bien sur les évènements qui s’y sont déroulés tout au long de la période coloniale, qu’à l’indépendance. Aussi bien à la personnalité de l’Emir Abdelkader « figure nationale » qu’à Etienne (Nasreddine) Dinet, peintre orientaliste, considéré comme « maitre de la peinture algérienne ». Ou devrions-nous plutôt parler d’« invention d’un maitre de la peinture algérienne » ? Car, c’est de cela dont il s’agit dans cet ouvrage intitulé : Etienne Dinet, peintre en Islam. L’Algérie et l’héritage colonial. Un titre évocateur, qui interpelle le lecteur. Quelle relation avait Dinet avec l’Islam ? Pourquoi parler d’ « héritage colonial » alors que le nom de ce peintre a été célébré en grande pompe par l’Etat algérien après l’indépendance ? Un musée lui a même été consacré à Bou-Sâada. Même Alger devait en abriter un si ce n’est les circonstances de l’époque qui ont fait que ce projet ait avorté… Et il en est aussi question ici.

Ce livre retrace le parcours « atypique » d’un personnage assez singulier, qui a su se frayer un chemin parmi les « indigènes » et ainsi s’octroyer une place dans leur cœur malgré le fait colonial. Mais il nous met aussi en situation en relatant des évènements historiques, en donnant des détails importants de l’époque et des indicateurs assez pertinents, le tout puisé dans de nombreuses sources que l’auteur défriche pour nous, agence, recoupe, synthétise, analyse, puis nous donne à lire sans omettre de nous en citer les références. Cette nouvelle mouture est, nous dira Pouillon, une  « réédition 2021, non pas refondue mais soigneusement corrigée » et d’ajouter : « En Algérie, où j’ai effectué des séjours entre 1988 et 1993, la fréquentation des gens et des lieux, à Alger et à Bou-Saâda, m’a beaucoup appris. Les entretiens avec de nombreux artistes et responsables culturels ont été d’un grand apport pour cette enquête. »

Il s’agissait au départ pour l’auteur « d’analyser les raisons d’une réappropriation dans l’Algérie post-coloniale d’un peintre orientaliste largement reconnu en France de son vivant. » pour les besoins d’un article « suite à une communication dans un colloque organisé par Lucette Valensi, tenu à l’EHESS en décembre 1989, et publié rapidement sous le titre ‘‘Legs colonial, patrimoine national : Nasreddine Dinet, peintre de l’indigène algérien’’, dans un n° spécial des Cahiers d’Etudes Africaines. »

Puis, à la demande de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, directeur de la collection « Le Nadir » aux Editions Balland qui voulait un livre sur Dinet, ce petit travail va se transformer en une longue enquête richement documentée, finement menée auprès de nombreuses personnes citées dont Barkahoum Farhati (anthropologue, auteure et ex-directrice du musée Dinet de Bou-Sâada).

La parution de ce livre en France a suscité quelques réactions que révèle l’auteur dont celle de Messaoud Benhaïdèche, « un neveu de Sliman que j’avais longuement interrogé et dont je commentais l’itinéraire » lit-on en postface. Mais comme le livre n’a pas été diffusé en Algérie, « le discours politico-hagiographique continua à se développer tranquillement », nous fera remarquer François Pouillon.

Aujourd’hui, le livre parait aux éditions Frantz Fanon, et le lecteur algérien aura ainsi la possibilité d’en savoir plus sur cette monographie qui a voulu « analyser le destin de la peinture de Dinet à l’époque contemporaine, depuis le temps colonial qui en a vu la production et la légitimation, jusqu’au temps des nations indépendantes mais culturellement dépendantes, qui contrôlent la hiérarchie des légitimités et organisent désormais la mise en musée. »

Une lecture qui fait un saut dans le temps non sans le relier au présent et une analyse de l’époque à laquelle l’auteur conviera le lecteur du moment…

 

Étienne Dinet, peintre en Islam. L’Algérie et l’héritage colonial (éd. Frantz Fanon, 2021, 331 pages, 1000 DA.) 

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