« Massinissa fut un roi africain qui a fait basculer l’histoire du monde » (August Ngomo, écrivain)
Dans cette interview accordée à Algérie Cultures à l’occasion de la parution de son livre Massinissa La légende, l’écrivain gabonais Auguste Ngom revient sur l’incontournable figure historique Nord-africaine, Massinissa, et les chamboulements qu’il a pu provoquer dans le cours de l’histoire de la Numidie, « L’intervention de Massinissa dans la seconde guerre punique (218-202 avant JC) qui opposait les deux grandes puissances de la méditerranéen de l’époque: Carthage et Rome a fait gagner Rome au détriment de Carthage et a changé pour toujours le cours de l’histoire de cette partie du monde. Imaginez un seul instant que si Massinissa était resté avec Carthage et que cette dernière avait gagné et détruite Rome, il n’aurait pas eu de Jules César, de Brutus, de Caligula, de Marc Antoine et de Cléopâtre », estime-t-il.
Massinissa la légende », il raconte quoi ? Et pourquoi s’intéresser à son personnage ?
Avant tout permettez-moi de remercier votre journal pour cet entretien unique dans vos colonnes.
Le roman Massinissa, la Légende raconte la vie du roi Numide Massinissa. Elle parle de son enfance, de son éducation à Carthage avec les Barca, de sa guerre en Hispanie avec Carthage, de son changement d’alliance et de son ascension vers le trône suprême. Ce roman raconte la vie d’un grand roi, de ses succès et de ses échecs, de ses doutes et de ses convictions, de ses amours. Il montre comment un homme qui, en se mettant courageusement au-dessus des contingences et des contrariétés de la vie humaine, est entré dans l’histoire et devenu une légende africaine.
L’intervention de Massinissa dans la seconde guerre punique (218-202 avant JC) qui opposait les deux grandes puissances de la méditerranée de l’époque : Carthage et Rome a fait gagner Rome au détriment de Carthage et a changé pour toujours le cours de l’histoire de cette partie du monde. Imaginez un seul instant que si Massinissa était resté avec Carthage et que cette dernière avait gagné et détruite Rome, il n’aurait pas eu de Jules César, de Brutus, de Caligula, de Marc Antoine et de Cléopâtre. Toute l’histoire de l’Europe aurait fondamentalement changé. Comment accepter qu’un africain d’une telle dimension puisse être oublié, négligé ou réduit à ce que les romains ont bien voulu nous faire croire ? Comment accepter que la mémoire d’un tel roi puisse être uniquement conservé par nos frères algériens et non pas par tous les africains ? Voilà quelques raisons qui ont motivé mon désir d’écrire sur Massinissa.
Le roi numide Massinissa est connu par sa citation l’Afrique aux Africains. Est-ce que c’est cela qui vous a motivé pour écrire ce roman ?
Non pas vraiment. C’est une très belle citation et qui des millénaires plus tard restent encore d’actualité pour tous les africains. Etre réellement les propriétaires de la terre sur laquelle nous vivons et où nous avons enterrés nos ancêtres reste toujours un objectif pour nous. Pour moi Massinissa a laissé plus que cet héritage commun. Il nous a démontré encore une fois le rôle, volontairement ignoré ou non, des africains dans la marche de l’Europe et du monde. Massinissa fut un roi africain qui a fait basculé l’histoire du monde et qui reste un inconnu pour les africains et pour le monde alors qu’il aurait du être une source de fierté et d’honneur pour tous les africains. Les africains doivent se réapproprier leur histoire et la regarder avec leurs propres yeux. Les autres le font bien pourquoi pas nous ?
L’intellectuel est un
miroir qui reflète sa société en marche, et en même temps c’est le miroir de
son passé, pourquoi choisir écrire pour l’histoire et spécialement pour
l’histoire de la Numidie?
L’histoire récente de l’Afrique est extrêmement difficile et pénible. Invasions, colonisations, esclavages, dominations. Toute une série d’évènements qui nous font nous sentir très mal et parfois même inferieurs. Etre habité par de tels sentiments nous rend peu fiers, peu honorables et en définitif peu combattifs. Reconnecter les africains avec leur histoire et leur passé glorieux a été pour moi un choix littéraire. Car pour se connaitre, il faut connaitre son histoire. J’aime aussi écrire des romans de fiction purement futuristique pour faire rêver, mais écrire sur l’histoire réconcilie les âmes et rend plus fier. Et pour avancer et traiter les difficultés qui se dressent devant nous, les africains ont besoin de ce courage et de cette fierté retrouvée. Comment donc leur écrire un roman historique africain épique ? Il me fallait définir une période historique intéressante mais une période avant celle du traumatisme, une période avant l’ère zéro. L’Egypte antique ou la Rome antique me paraissait de bonnes périodes pour l’Afrique. Mais il me fallait raconter ces histoires avec une perspective africaine. Les guerres puniques qui se sont passées partiellement en Afrique présentaient une trame historique intéressante surtout qu’un africain légendaire y avait largement participé. Et l’Afrique à travers le Numidie a joué un rôle fondamental qu’il fallait raconter à travers l’histoire de Massinissa.
Comment on peut expliquer les invasions continues sur cette terre de Numidie ?et comment Massinissa a réussi à construire son Etat dans ces conditions?
L’histoire des hommes est faite de guerres et de conquêtes territoriales. Que ce soit en Afrique, en Asie, en Amériques ou en Europe les royaumes et les empires ont toujours cherché à s’agrandir pour accroitre leurs richesses et sécuriser leurs approvisionnements. La Numidie, qui se situe en Afrique du Nord est une terre qui vit dans le prolongement naturel de l’Europe et par sa bordure maritime d’une certaine manière du Proche Orient. Elle est naturellement protégée du sud par les Atlas et le Sahara. Par son positionnement géographique, la Numidie fait donc intégralement partie des zones d’expansion territoriale de l’Europe et du Proche Orient. Tout comme ces dernières ont aussi été ses zones de conquêtes naturelles des Berbères. Rappelez-vous en 711 l’expansion de califat Omeyyade en Hispanie (Europe) sous la houlette de Tariq Ibn Ziyad et de son armée composée largement de Berbères. Comparativement la Namibie ou le Malawi ont subi moins d’invasions que la Numidie car ils sont situés plus loin sur le continent africain. Comment alors construire un Etat dans ces conditions ? En construisant une nation unie, forte, résiliente et en nouant des alliances stratégiques avec la puissance du moment. Massinissa a choisi Rome au détriment de Carthage. S’il voulait que la Numidie devienne la première puissance africaine de la zone, il était donc naturel de se débarrasser de Carthage et de s’allier à une puissance vivant loin en Europe. Comme toutes les puissances qui se respectent, Carthage, qui voulait dominer cette partie du monde ne pouvait tolérer a ses côtés que de petits royaumes fragmentés et en conflits permanents (Et le monde n’a pas changé depuis). Ce qui s’opposait à la vision de Massinissa. Le combat était inévitable. En étudiant la vie de Massinissa et en respectant la vieille règle qui dit « qu’il n’y a rien de nouveau sous le ciel » on peut ressentir la trame historique de l’époque et comprendre les actions des uns et des autres. Hors de toutes polémiques, les choix stratégiques de Massinissa pour construire la Numidie étaient évidents et prévisibles. Ses chances de succès l’étaient moins.
Pensez-vous que Massinissa était le destin de la Numidie ?
Très difficile comme question. Je répondrais que Massinissa a fait une partie de la destinée de la Numidie. Tout comme les rois Syphax ou Jugurtha. L’environnement et la situation dans laquelle naissent les hommes conditionnent certaines destinés mais ne font pas le destin d’un homme. C’est l’Homme lui-même qui fait son destin. Massinissa a su faire de son petit royaume Massyles le fer de lance de la Numidie. Géographiquement plus grand et plus puissant et allié à Carthage, le royaume Massaessyles de Syphax aurait dû dominer la Numidie. Il serait intéressant de savoir ce qui n’a pas marché car Syphax aussi a été alternativement allié de Rome puis de Carthage. L’environnement et le contexte étant les mêmes pour ces deux protagonistes, c’est donc l’homme qui fait la différence.
Pensez-vous que il y a une rupture entre les écrivains du Nord-Africain et l’Afrique subsaharienne et du coup s’explique l’absence d’une interculturalité entre les deux côtés?
Ces deux zones évoluent comme des blocs continentaux séparés et ce n’est pas nouveau. Il y a donc des histoires et des sensibilités littéraires différentes. Cela contribue à la richesse littéraire et historique du continent et renforce encore plus la beauté de la créativité africaine. Cependant il n’y a pas une rupture en tant que telle, il y a juste différentes réalités historiques et géographiques. L’absence d’une interculturalité littéraire plus importante entre ces deux blocs s’explique par plusieurs facteurs dont par exemple l’absence de plateformes continentales de rencontre et d’échange. Il n’existe pas de grand prix littéraire panafricain, il en existe par zone géographique ou par langue et c’est dommage. Il n’existe pas non plus de liste des grands classiques africains qui pourraient être enseignés obligatoirement dans les cursus scolaires africains. A contrario le FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision d’Ouagadougou) offre une plus grande intégration culturelle africaine et comme toutes les parts du continent, l’Afrique du nord y participe régulièrement. Par exemple en 2019 dans la catégorie long métrage de fiction, les réalisateurs nord africains ont présentés et défendus leurs œuvres cinématographiques : L’algérienne Yasmine Chouikh avec « Jusqu’à la fin des temps (Ila Akhir Ezzaman) », Selma Bergach avec Indigo a représenté le Maroc et la Tunisie était représenté avec « Fatwa » de Mahmoud Ben Mahmoud et « Regarde-moi » de Nejib Belkadhi. Comme vous le voyez il n’existe pas de rupture mais plutôt une absence d’un plus grand nombre de plateformes et d’initiatives d’échanges.
La covid 19 a changé beaucoup de comportements dans le monde, quel constat avez-vous fait sur ce phénomène ?
Il est encore trop tôt pour voir si les comportements vont vraiment changer. Il y a rien de pire que les vieilles habitudes. Le monde a connu des pandémies plus mortelles dont la plus terrible fut la grippe espagnole de 1918-1920 où près de 40 millions de personnes sont mortes. Pourtant nous sommes nés dans une société ou pour se saluer on s’embrasait chaudement ou pour montrer son amour ou son amitié on se tenait par la main. Ces comportements reviendront quand cette pandémie sera finie. Mais ce qui est sure c’est que des pans entiers d’une nouvelle activité économique et de nouveaux comportements professionnels auront solidement pris leur envol en 2020. Et de manière plus personnelle, le Covid 19 a offert aux humains une opportunité unique de s’arrêter et de réfléchir. Nous étions dans une course effrénée vers on ne sait quoi. Avec le confinement des milliards d’humains se sont retrouvés à la maison à lire, a échanger, a se reposer, a se redécouvrir. Espérons que ces comportement eux vont perdurer.
Vous souhaitez voir votre roman sur le grand écran? C’est qui le
réalisateur qui pourrait le faire ?
Voir le roi Massinissa à l’écran serait une très belle avancée culturelle et nous pourrions toucher plus d’Africains. Peut-être à cause de notre culture orale, les africains lisent peu et préfèrent regarder des films. Pour mettre une telle légende à l’écran et ainsi imprégner positivement l’inconscient collectif, il faudrait réaliser un film d’action. Pour rendre la grandeur de l’histoire de ce roi numide je verrais bien des réalisateurs tels que Luc Besson (le 5eme élément), Ryan Coogler (Black Panther) ou Melek Bensmail (La Bataille d’Alger). Mais je sais aussi que d’autres réalisateurs pourraient être enchantés par ce projet.
Quels sont les écrivains algériens que vous avez lu?
La littérature algérienne est peuplée de très grandes pointures dont les œuvres de certains sont un vrai enchantement à la lecture. J’ai lu et apprécié plusieurs auteurs mais les romans de deux bons romanciers m’ont particulièrement marqué : Le serment des barbares de Boualem Sansal et Des pierres dans ma poche de Kaouther Adimi.
Peut-on parler d’une littérature africaine spécifique ?
Oui la littérature africaine est spécifique mais les autres le sont aussi. A travers l’écriture nous exprimons notre quotient, nos valeurs, nos espoirs, nos tourments, nos rêves, notre vision du monde. Certains points sont communs à tous les humains d’autres sont plus spécifiques. Donc compte tenu de notre histoire, de notre perception du monde, de nos biais notre littérature sera spécifique. Mais dans n’importe quelle partie du monde, elle a pour rôle essentiel d’ouvrir une porte dans notre imaginaire et pendant un moment nous faire voyager dans le monde des émotions et d’aller à la rencontre de l’autre, a la rencontre d’une tranche de vie.