Mohammed Arkoun et l’ambivalence mortifère des intellectuels musulmans
Dans son livre L’Aspect réformiste de l’œuvre de Taha Hussein, Mohammed Arkoun, parlant de l’idée de la réforme telle qu’elle est conçue par les penseurs musulmans ou, plus généralement, conservateurs, écrit : « C’est un fait assez courant qu’une société qui vit sur un système religieux ou philosophique déterminé éprouve à un moment donné de son évolution historique le besoin d’espérer une réforme, c’est-à-dire, en s’en tenant à l’étymologie, un retour à une forme plus pure de ce système, débarrassée de toutes les innovations malencontreuses que le temps a pu y introduire »,
Les limites de la quête de la pureté
Ainsi donc, nous explique-t-il, la réforme serait, pour beaucoup d’intellectuels et chercheurs musulmans une forme de « retour aux sources originelles, un rappel des règles primitives ».Les partisans de cette visions, nombreux, justifient leur démarche ainsi : l’Islam, avant d’être souillé par des traditions impures, des comportements et des interprétations négatives, était un élan positif qui porte l’homme vers plus de liberté, de bonheur et d’épanouissement. La réforme de l’islam est selon eux, pour ainsi dire, un retour en arrière. Cette démarche, pour cohérente qu’elle paraisse, revêt néanmoins un aspect dogmatique parce qu’elle ne vise pas à dévoiler de nouveaux horizons de sens mais à déterrer un sens premier jugé prépondérant. On est dans la quête de la pureté.
Mohammed Arkoun relève cette posture avec regret chez les intellectuels musulmans, y compris parmi les plus audacieux d’entre eux comme Taha Hussein et Mohammed Abdel Jabiri. Classique, cette attitude a été la même que celle de Martin Luther qui, dans son entreprise de réforme de l’Eglise, est parti du postulat selon lequel, comme le souligne Mohammed Arkoun, « une forte proportion de paganisme et de judaïsme avait été introduite dans le Christianisme, qu’il fallait donc ramener à sa pureté primitive en justifiant tout par l’Écriture ».
Les intellectuels musulmans qui prônent une réforme de l’Islam allant dans ce sens sont nombreux. Mohammed Shahrour, Malek Benabi, Mohammed Abdel Jabiri, Malek Chebel, Nourredine Boukrouh, Abdelmadjid Charfi, etc. Certains d’entre eux, se faisant appeler coranistes, appellent à la mobilisation du seul texte coranique comme source d’exégèse et de jurisprudence en excluant le hadith et la tradition du prophète. D’autres, plus attachés à la tradition prophétique, n’excluent pas les dires de Mohammed et les différentes interprétations qui en sont faites, pourvu que rien ne soit en contradiction avec le Coran.
Ces deux démarches pêchent, selon Mohammed Arkoun, parce qu’elles ne tiennent pas compte de toutes les influences culturelles qu’a pu subir l’islam à travers les siècles. Ignorant les différences culturelles, historiques et politiques qui fluctuent d’un contexte à un autre, ils plaident pour un islam unique pour tous les musulmans, qu’ils soient en Chine, en Irak, en Algérie ou en Guinée. De plus, faisant comme si ce qui se fait au nom de l’Islam était étranger au texte coranique, les partisans de ces démarches réformistes plutôt molles, « ligotés des bandelettes de l’érudition vaine » comme dirait Taha Hussein, ils n’ont jamais osé examiner la source première de l’islam : Le Coran.
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L’avènement, au milieu du siècle dernier, de Taha Hussein, qui a été l’un des rares intellectuels musulmans à franchir le cap et à interroger le texte sacré, a provoqué un bouleversement dans les pays de tradition islamique. Toutefois, sous les pressions politiques et sociales et à cause des « impasses psychologiques » dans lesquelles il s’est retrouvé, face notamment au rejet ferme et injustifié de toute possibilité de discussion sur le Coran par ses adversaires, Taha Hussein fléchit progressivement avant d’abandonner son projet de « subversion de l’Islam ».
Aujourd’hui, en Algérie comme ailleurs où l’islam est prégnant, les intellectuels sont toujours enfermés dans cette « impasse psychologique » où l’audace philosophique de Taha Hussein a fini par étouffer. Pourtant, les crises culturelles, latentes il y a quelques années, sont de plus en plus patentes et les exigences de réforme et d’adaptation aux monde moderne, timides jusqu’à très récemment, redoublent sans cesse de pression.
La nécessaire subversion de l’islam
Que faut-il donc faire ? Combattre la posture conservatrice des traditionnalistes et des coranistes ou reprendre le projet révolutionnaire de Taha Hussein ? Faire les deux à la fois ? Mohammed Arkoun se méfie des révolutionnaires car, pour lui, ceux-ci « interrogent le monde hâtivement donc superficiellement ». Selon lui, l’urgence est ailleurs. « Parce qu’ils possèdent l’indépendance du jugement qui les place au-dessus des luttes aveugles des partis, parce qu’ils sont des éducateurs de la masse par leurs écrits et de la jeunesse par leur enseignement, parce qu’enfin l’intelligence doit travailler sur les données concrètes de la vie à la lumière de ses conquêtes antérieures, les intellectuels musulmans ont pour devoir d’atténuer l’opposition des deux forces révolutionnaire et conservatrice qui partagent leurs pays, » écrit-il dans son livre L’aspect réformiste de l’œuvre de Taha Hussein. Autrement dit, il s’agit d’interroger l’islam non pas seulement dans les interprétations qui en sont faites, mais dans ses fondement, y compris à travers l’examen du texte sacré, et sa « construction humaine » à travers les siècles. Se contenter de rappeler l’âge d’or de l’islam ou de ressasser à longueur de conférences, de colloques, de livres et d’articles que tels ou tels autres comportements ou attitudes n’ont rien à voir avec l’Islam ne sert ni à soulever les vraies questions ni à donner les réponses, mêmes pas les plus élémentaires, aux débats cataclysmiques que suscite l’Islam dans le monde d’aujourd’hui. Le confort des jugements moraux, des constats auto-glorificateurs ou de la stratégie de l’autruche ne paie plus et la vulnérabuilité intellectuelle de l’ambivalence ne rassure plus. Mohammed Arkoun, ayant une vive conscience des enjeux liés à la nécessaire « subversion de l’islam » et à son adaptation aux exigences du monde moderne, recommande : « Il faut que l’intellectuel musulman accepte de confronter froidement, avec une exigence absolue envers lui-même, ses valeurs traditionnelles avec les ‘‘impératifs catégoriques’’ de la vie de l’homme moderne avec tout ce qu’elle implique de tendances irrépressibles. » Les intellectuels musulmans sont-il en mesure de relever ce défi ?Les espoirs sont maigres mais il faut continuer à les nourrir.
Une religion commence toujours quelque part.
Elle se développe ailleurs par la suite. Une religion ne reste pas sans bouger pendant 1500 ans. Elle subit donc des évolutions. C’est ce que les croyants d’aujourd’hui ont le plus grand mal à comprendre.
On me reproche ainsi de façon récurrente de limiter l’islam à sa période arabique. J’ai pourtant mis dès le début cartes sur table. Je pratique une lecture historique des mots du Coran dont j’ai délimité la période. J’essaye de retrouver le sens qu’ont eu les mots pour ses premiers auditeurs. Je limite donc mes explications à ce qui a été la première phase de l’islam dans le contexte particulier où il est né, même si à l’occasion j’évoque des évolutions postérieures.
Il se trouve que l’islam est né dans une partie aride et isolée de l’Arabie où la vie était difficile. Il est important que les hommes d’aujourd’hui comprennent que justement ils ne sont pas des hommes et des femmes de tribu d’Arabie qui vivent dans les conditions du 7e siècle.
Je m’efforce donc de montrer comment à partir de cette phase tribale première, le sens donné aux mots a évolué quand on a changé de société. Après l’expansion des tribus hors des limites de l’Arabie, l’islam ne vit plus dans une société de tribus (sauf pour ceux qui sont restés en Arabie) mais dans les grandes cités d’un grand empire. C’est, par exemple, le 9e siècle, à Bagdad, la capitale de la dynastie abbasside; ce sont les grandes villes d’Iran comme Nichapour, celles d’Asie Centrale comme Boukhara. Plus tard ce sera Cordoue ou Séville dans l’Andalus musulmane.
Face à un texte sacré dont les mots ne changent pas au fil des siècles (tant qu’ils ne sont pas traduits), la question est : Quel sens donner à ces mots ? Or le sens dépend du contexte dans lequel on vit. Alors il faut faire les constatations suivantes : l’islam est né tribal, Il s’est développé impérial.
Que devient-il aujourd’hui ? Ce que dit l’historien c’est que, pour le savoir, les hommes d’aujourd’hui ont intérêt à connaître, le mieux possible, le passé qui a été vécu par des hommes qui ne sont pas eux, sans se faire de fausses idées à ce sujet. Car une religion se construit aussi au présent. (Jacqueline Chabbi).
Ainsi, il me semble qu’il est tout à fait évident, que ce que nous n’avons pas encore compris, c’est que la sunna et le hadith, ne doivent pas se substituer au texte sacré le Coran, non seulement de par leur caractère temporelle (c’est-à-dire limité dans le temps et dans l’espace), mais aussi parce qu’il est carrément impossible d’authentifier la véracité des hadiths.
En se posant la question : Quelles sont les bases les plus importantes pour la narration du hadith ? On apprend que :
La narration des hadiths est construite sur la chaîne de transmission (appelé 3an3ana عنعنة), qui est la transmission d’une personne de confiance à une autre personne de confiance comme ils le prétendent et qu’ils appellent justes عدول. Ceci est transmis à partir de cela et le considère comme d’une justice pieuse qui ne ment pas, et cette justice ou confiance diffère d’un narrateur à un l’autre, c’est une question d’appréciation personnelle, dans le sens ou tel narrateur considère que tel personne est confiante et ne ment pas, et d’autres voient qu’il est indigne de confiance, et il ne peut pas être pris en considération
Al-Bukhari a raconté que des hommes ont été blessés تجريح (c’est-à-dire considérés comme indignes de confiance) par l’Imam Muslim, et l’imam Muslim parle aussi d’autres hommes considérés comme indignes de confiance par l’Imam Al-Bouhari «Le nombre de ceux qui ont étés considérés par Muslim comme indignes de confiance s’élevait à 434 cheikhs, c’est-à-dire qu’un musulman considérait que le transmission des hadiths de 434 cheikhs cites par Al-Bukhari étaient incorrects parce qu’ils étaient blessés مجرحون par Muslim et auxquels on ne faisaient pas confiance, Et 625 cheikhs blessés par Al-Bukhari et cités par Muslim, considérés par d’autres musulmans comme indignes de confiance) ? D’où un total de 1059 cheikhs, tous considérés mutuellement comme indignes de confiance, et on vient nous raconter que les livres d’al-Bukhari et de Muslim, sont les plus authentiques après le texte sacré (le Coran) ?
Aussi, il nous semble qu’il est tout à fait possible, sans aller dans l’ignominie et l’invective, de corriger la pensée musulmane, par la rationalité et la méthodologie, et de la confronter à la pensée moderne, comme la si bien fait le Docteur Mohamed Shahrour (le syrien), dans la mesure où nul ne peut effacer la religion de la conscience des gens, ni de la faire changer par d’autres religions ou pensées philosophiques, comme celles que nous propose le Docteur Arkoun, qui prétend que nous sommes obligés entant que musulmans (algériens notamment), d’adopter le mode de pensée qu’il appelle universaliste occidentale (né avec le mouvement des lumières au XVIIIe siècle) avec des sous-entendu politiques, étant connu que feu le Docteur Arkoun etait un farouche opposant de ce qu’il est communément appelé (l’arabo-islamisme)