Les notions de diversité et d’unicité chez Mohammad Shahrour : « al-madina » et « al-qarya »

Introduction

Docteur en géni-civil, Mohammad Shahrour est un penseur syrien dont le nom est fortement lié à la « lecture contemporaine du Coran ». Même si l’intérêt médiatique et académique suscité par ses travaux est relativement récent, son premier ouvrage date tout de même de 1990.

La rédaction du présent article découle d’une rencontre organisée en son hommage par l’Institut du Monde Arabe à Paris, une semaine après son décès survenu le 21 décembre 2019. Cette rencontre, supposée être scientifique, ne fut pas à la hauteur des attentes de l’auditoire et surtout resta en deçà de l’œuvre laissée par le défunt. Persuadé que seul un véritable colloque dédié à ses travaux serait à même de lui rendre hommage, je me résolvais, ce jour-là, à contribuer  modestement à faire connaître quelques apports de la pensée du Docteur Shahrour.

Ainsi, j’aborderai, de manière générale, la problématique de son dernier livre « Al-Dawla wa l-mujtama‘ : halâk al-qurâ wa izdihâr al-mudun » (littéralement : Etat et société : L’anéantissement des villages et la prospérité des cités/villes).

De l’unicité de Dieu

Allah est un (wâhid fî kammih), unique (uhâdî fî kayfih) et immuable (samad). Ainsi, le monothéisme (al-tawhîd) est l’affirmation que, excepté Allah, tout est changeant (mutaghayir) et divers/pluriel (muta‘adid). En d’autres termes, Allah est au-dessus de tout changement (al-taghayur) et au-dessus de toute diversité/pluralité (al-ta‘addud). L’univers, changeant et divers/pluriel,  met Allah au-dessus de cela : sourate 57 verset 1.

سَبَّحَ لِلَّهِ مَا فِي السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ ۖ وَهُوَ الْعَزِيزُ الْحَكِيمُ (الحديد 1)

C’est dans ce sens que Shahrour note que les noms d’Allah (asmâ’ allah) ne sont reliés par une conjonction de coordination (harf ‘atf) que dans une seule occurrence coranique : sourate 57 verset 3.

هُوَ الْأَوَّلُ وَالْآخِرُ وَالظَّاهِرُ وَالْبَاطِنُ ۖ وَهُوَ بِكُلِّ شَيْءٍ عَلِيمٌ (الحديد 3)

Cela le mène à déduire que Dieu est en dehors du temps (al-awal wa l-âkhir) et en dehors de l’espace (al-zâhir wa l-bâtin).

Abordant l’histoire de l’humanité, Shahrour divise cette dernière en deux ères majeures : l’ère des villages (‘asr al-qurâ) et l’ère des cités/villes (‘asr al-mudun).

L’ère des villages (‘asr al-qurâ)

L’ère des « qurâ » (villages) a commencé avec Noé et s’est achevée avec l’avènement du prophète Mohammad. Cette ère a vu naître l’Etat (le pouvoir/l’autorité), d’abord sous sa forme familiale et tribale (sourate 11 verset 91), et l’esclavage (sourate 11 verset 27) :

قَالُوا يَا شُعَيْبُ مَا نَفْقَهُ كَثِيرًا مِّمَّا تَقُولُ وَإِنَّا لَنَرَاكَ فِينَا ضَعِيفًا ۖ وَلَوْلَا رَهْطُكَ لَرَجَمْنَاكَ ۖ وَمَا أَنتَ عَلَيْنَا بِعَزِيزٍ (هود 91)

فَقَالَ الْمَلَأُ الَّذِينَ كَفَرُوا مِن قَوْمِهِ مَا نَرَاكَ إِلَّا بَشَرًا مِّثْلَنَا وَمَا نَرَاكَ اتَّبَعَكَ إِلَّا الَّذِينَ هُمْ أَرَاذِلُنَا بَادِيَ الرَّأْيِ وَمَا نَرَىٰ لَكُمْ عَلَيْنَا مِن فَضْلٍ بَلْ نَظُنُّكُمْ كَاذِبِينَ (هود 27)

L’ère des « qurâ » s’était caractérisée par l’unicité de la société et la diversité des divinités (uhâdiyat al-mujtama‘ wa ta‘adud al-âliha).

Loin de toute considération d’espace ou de masse démographique, « al-qarya » (le village), tel que défini dans le Coran, est une localité monolithique où tous les individus –sans exception– partagent les mêmes us (le village olympique « qarya ulambiya », le village touristique « qarya siyâhiya », etc. sont des exemples contemporains qui se rapprochent du sens originel). Ainsi, « al-qarya » est une agglomération stable, statique, immobile et désigne une société monolithique d’où est bannie toute notion de diversité.

Cette définition de « al-qarya » apparait clairement dans le récit du prophète Loth. Ce n’est nullement la déchéance dont furent qualifiés les us de ce peuple (al-fâhicha) qui a conduit à son anéantissement. Loin s’en faut. La colère divine qui s’était terriblement abattue sur ces gens, avait une toute autre raison : sourate 29 versets 28-30

وَلُوطًا إِذْ قَالَ لِقَوْمِهِ إِنَّكُمْ لَتَأْتُونَ الْفَاحِشَةَ مَا سَبَقَكُم بِهَا مِنْ أَحَدٍ مِّنَ الْعَالَمِينَ (28) أَئِنَّكُمْ لَتَأْتُونَ الرِّجَالَ وَتَقْطَعُونَ السَّبِيلَ وَتَأْتُونَ فِي نَادِيكُمُ الْمُنكَرَ ۖ فَمَا كَانَ جَوَابَ قَوْمِهِ إِلَّا أَن قَالُوا ائْتِنَا بِعَذَابِ اللَّهِ إِن كُنتَ مِنَ الصَّادِقِينَ (29) قَالَ رَبِّ انصُرْنِي عَلَى الْقَوْمِ الْمُفْسِدِينَ (30) (العنكبوت)

Ainsi, tant que l’agglomération comptait en son sein Loth et ses disciples, minoritaires certes,  se mouvant dans un puritanisme en rupture totale avec les us libertins, ostentatoirement érigés en modèle social, par leurs opposants, chacun était libre d’adopter le comportement qu’il jugeait convenant. Cette coexistence, même tolérée, était une expression de diversité. C’est seulement en décidant de chasser Loth et ses disciples, car réticents à l’ordre libertin, que ces opposants ont fait de leur agglomération une « qarya », attisant par là même la colère divine et provoquant l’anéantissement de leur société : sourate 7 versets 82-84

وَمَا كَانَ جَوَابَ قَوْمِهِ إِلَّا أَن قَالُوا أَخْرِجُوهُم مِّن قَرْيَتِكُمْ ۖ إِنَّهُمْ أُنَاسٌ يَتَطَهَّرُونَ (82) فَأَنجَيْنَاهُ وَأَهْلَهُ إِلَّا امْرَأَتَهُ كَانَتْ مِنَ الْغَابِرِينَ (83) وَأَمْطَرْنَا عَلَيْهِم مَّطَرًا ۖ فَانظُرْ كَيْفَ كَانَ عَاقِبَةُ الْمُجْرِمِينَ (84) (الأعراف)

De la même manière, le Pharaon fut épargné tant qu’il s’inscrivait dans le débat avec Moïse. L’intervention divine n’a eu lieu qu’après sa décision de tuer ce dernier  et ceux qui le suivaient.

« al-qarya » porte une connotation négative dans les versets du Coran et est souvent corollaire d’anéantissement (« al-halâk », à ne pas confondre avec « al-mawt » car après la mort, il y a la vie tandis que l’anéantissement est irrémédiable) : sourate 18 verset 59, sourate 28 verset 59, sourate 7 verset 97-98, sourate 46 verset 27, sourate 21 verset 6, sourate 15 verset 4, sourate 21 verset 11, sourate 7 verset 4, sourate 22 verset 48, sourate 7 verset 94

وَتِلْكَ الْقُرَىٰ أَهْلَكْنَاهُمْ لَمَّا ظَلَمُوا وَجَعَلْنَا لِمَهْلِكِهِم مَّوْعِدًا (الكهف 59)

وَمَا كَانَ رَبُّكَ مُهْلِكَ الْقُرَىٰ حَتَّىٰ يَبْعَثَ فِي أُمِّهَا رَسُولًا يَتْلُو عَلَيْهِمْ آيَاتِنَا ۚ وَمَا كُنَّا مُهْلِكِي الْقُرَىٰ إِلَّا وَأَهْلُهَا ظَالِمُونَ (القصص 59)

أَفَأَمِنَ أَهْلُ الْقُرَىٰ أَن يَأْتِيَهُم بَأْسُنَا بَيَاتًا وَهُمْ نَائِمُونَ (97) أَوَأَمِنَ أَهْلُ الْقُرَىٰ أَن يَأْتِيَهُم بَأْسُنَا ضُحًى وَهُمْ يَلْعَبُونَ (98) (الأعراف)

وَلَقَدْ أَهْلَكْنَا مَا حَوْلَكُم مِّنَ الْقُرَىٰ وَصَرَّفْنَا الْآيَاتِ لَعَلَّهُمْ يَرْجِعُونَ (الأحقاف 27)

مَا آمَنَتْ قَبْلَهُم مِّن قَرْيَةٍ أَهْلَكْنَاهَا ۖ أَفَهُمْ يُؤْمِنُونَ (الأنبياء 6)

وَمَا أَهْلَكْنَا مِن قَرْيَةٍ إِلَّا وَلَهَا كِتَابٌ مَّعْلُومٌ (الحجر 4)

وَكَمْ قَصَمْنَا مِن قَرْيَةٍ كَانَتْ ظَالِمَةً وَأَنشَأْنَا بَعْدَهَا قَوْمًا آخَرِينَ (الأنبياء 11)

وَكَم مِّن قَرْيَةٍ أَهْلَكْنَاهَا فَجَاءَهَا بَأْسُنَا بَيَاتًا أَوْ هُمْ قَائِلُونَ (الأعراف 4)

وَكَأَيِّن مِّن قَرْيَةٍ أَمْلَيْتُ لَهَا وَهِيَ ظَالِمَةٌ ثُمَّ أَخَذْتُهَا وَإِلَيَّ الْمَصِيرُ (الحج 48)

وَمَا أَرْسَلْنَا فِي قَرْيَةٍ مِّن نَّبِيٍّ إِلَّا أَخَذْنَا أَهْلَهَا بِالْبَأْسَاءِ وَالضَّرَّاءِ لَعَلَّهُمْ يَضَّرَّعُونَ (الأعراف 94)

L’immobilité des villages bénéficie toujours à une frange de la société qui tente par tous les moyens de maintenir le statu quo. Cette catégorie est désignée dans le Coran par le terme « mutrafîne » : sourate 43 verset 23

وَكَذَٰلِكَ مَا أَرْسَلْنَا مِن قَبْلِكَ فِي قَرْيَةٍ مِّن نَّذِيرٍ إِلَّا قَالَ مُتْرَفُوهَا إِنَّا وَجَدْنَا آبَاءَنَا عَلَىٰ أُمَّةٍ وَإِنَّا عَلَىٰ آثَارِهِم مُّقْتَدُونَ (الزخرف 23)

« Al-mutraf » signifie « al-muta‘âlî » ; littéralement « celui qui se met au dessus de… ». Dans ce cas précis, cette catégorie de la société monolithique est exemptée de répondre de ses actes (muta‘âli ‘an al-musâ’ala).

L’ère des cités/villes (‘asr al-mudun)

« Al-madîna » (la cité ou la ville), tel que définie par le Coran, est une agglomération se caractérisant par la diversité de ses habitants. Au-delà de son aspect ethnique, éminemment réducteur, cette  diversité  est perçue surtout dans sa dimension intellectuelle.

L’ère des cités/villes (‘asr al-mudun) a été inaugurée par le Prophète Mohammad : sourate 28 verset 59

وَمَا كَانَ رَبُّكَ مُهْلِكَ الْقُرَىٰ حَتَّىٰ يَبْعَثَ فِي أُمِّهَا رَسُولًا يَتْلُو عَلَيْهِمْ آيَاتِنَا ۚ وَمَا كُنَّا مُهْلِكِي الْقُرَىٰ إِلَّا وَأَهْلُهَا ظَالِمُونَ (القصص 59)

Ici, « um al-qurâ » désigne La Mecque, la seule « localité » monolithique tolérée. Mais cette indulgence ne lui confère nullement l’aptitude d’abriter un « Etat », car monolithique. Le choix, par le prophète, de Yathrib, renommée al-Madina (la Cité), n’est donc pas fortuit.

Le Prophète Muhammad a réalisé un sursaut historique en créant cette société de Médine. Il a tout d’abord mis fin à la légitimité divine dans l’exercice du pouvoir en demandant l’allégeance (al-bay‘a) des habitants de Médine, conférant ainsi au jeune Etat une dimension éminemment civile. En élargissant cette allégeance aux femmes, il a impliqué ces dernières dans l’administration de la cité. Il institua ensuite une gouvernance basée sur la concertation. L’exemple le plus édifiant en est la prise en compte du plan d’al-Hubâb ibn al-Mundir lors de la bataille de Badr. De plus, il a inauguré la législation humaine dans la réglementation du licite (tanzîm al-halâl). Il a ainsi organisé la société en régulant le commerce, les déplacements, les constructions, etc. Il est à noter qu’il n’a jamais exigé la punition de ceux qui négligeaient les rituels religieux : sourate 62 verset 11

وَإِذَا رَأَوْا تِجَارَةً أَوْ لَهْوًا انفَضُّوا إِلَيْهَا وَتَرَكُوكَ قَائِمًا ۚ قُلْ مَا عِندَ اللَّهِ خَيْرٌ مِّنَ اللَّهْوِ وَمِنَ التِّجَارَةِ ۚ وَاللَّهُ خَيْرُ الرَّازِقِينَ (الجمعة 11)

Enfin, la législation musulmane n’a jamais été imposée aux juifs et aux chrétiens de Médine dont les affaires étaient traitées à la lumière de leurs propres législations. En agissant ainsi, le Prophète s’est référé aux versets 43, 44, 47, 48 de la sourate 5 :

وَكَيْفَ يُحَكِّمُونَكَ وَعِندَهُمُ التَّوْرَاةُ فِيهَا حُكْمُ اللَّهِ ثُمَّ يَتَوَلَّوْنَ مِن بَعْدِ ذَٰلِكَ ۚ وَمَا أُولَٰئِكَ بِالْمُؤْمِنِينَ (43) إِنَّا أَنزَلْنَا التَّوْرَاةَ فِيهَا هُدًى وَنُورٌ ۚ يَحْكُمُ بِهَا النَّبِيُّونَ الَّذِينَ أَسْلَمُوا لِلَّذِينَ هَادُوا وَالرَّبَّانِيُّونَ وَالْأَحْبَارُ بِمَا اسْتُحْفِظُوا مِن كِتَابِ اللَّهِ وَكَانُوا عَلَيْهِ شُهَدَاءَ ۚ فَلَا تَخْشَوُا النَّاسَ وَاخْشَوْنِ وَلَا تَشْتَرُوا بِآيَاتِي ثَمَنًا قَلِيلًا ۚ وَمَن لَّمْ يَحْكُم بِمَا أَنزَلَ اللَّهُ فَأُولَٰئِكَ هُمُ الْكَافِرُونَ (44) (المائدة)

وَلْيَحْكُمْ أَهْلُ الْإِنجِيلِ بِمَا أَنزَلَ اللَّهُ فِيهِ ۚ وَمَن لَّمْ يَحْكُم بِمَا أَنزَلَ اللَّهُ فَأُولَٰئِكَ هُمُ الْفَاسِقُونَ (المائدة 47)

وَلْوَأَنزَلْنَا إِلَيْكَ الْكِتَابَ بِالْحَقِّ مُصَدِّقًا لِّمَا بَيْنَ يَدَيْهِ مِنَ الْكِتَابِ وَمُهَيْمِنًا عَلَيْهِ ۖ فَاحْكُم بَيْنَهُم بِمَا أَنزَلَ اللَّهُ ۖ وَلَا تَتَّبِعْ أَهْوَاءَهُمْ عَمَّا جَاءَكَ مِنَ الْحَقِّ ۚ لِكُلٍّ جَعَلْنَا مِنكُمْ شِرْعَةً وَمِنْهَاجًا ۚ وَلَوْ شَاءَ اللَّهُ لَجَعَلَكُمْ أُمَّةً وَاحِدَةً وَلَٰكِن لِّيَبْلُوَكُمْ فِي مَا آتَاكُمْ ۖ فَاسْتَبِقُوا الْخَيْرَاتِ ۚ إِلَى اللَّهِ مَرْجِعُكُمْ جَمِيعًا فَيُنَبِّئُكُم بِمَا كُنتُمْ فِيهِ تَخْتَلِفُونَ (المائدة 48)

Les musulmans devaient par contre s’abstenir de  recourir aux législations juive et chrétienne pour régler leurs propres affaires : sourate 5 verset 51

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا لَا تَتَّخِذُوا الْيَهُودَ وَالنَّصَارَىٰ أَوْلِيَاءَ ۘ بَعْضُهُمْ أَوْلِيَاءُ بَعْضٍ ۚ وَمَن يَتَوَلَّهُم مِّنكُمْ فَإِنَّهُ مِنْهُمْ ۗ إِنَّ اللَّهَ لَا يَهْدِي الْقَوْمَ الظَّالِمِينَ (المائدة 51)

Ces communautés religieuses étaient liées par des valeurs communes et leurs différends d’ordre théologique n’avaient aucune raison d’être car ne pouvant être tranchés que par le créateur : sourate 22 verset 17

إِنَّ الَّذِينَ آمَنُوا وَالَّذِينَ هَادُوا وَالصَّابِئِينَ وَالنَّصَارَىٰ وَالْمَجُوسَ وَالَّذِينَ أَشْرَكُوا إِنَّ اللَّهَ يَفْصِلُ بَيْنَهُمْ يَوْمَ الْقِيَامَةِ ۚ إِنَّ اللَّهَ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ شَهِيدٌ (الحج 17)

L’ère des « mudun »  est venue :

– instaurer l’égalité, en droits et en devoirs, entre l’homme et la femme ;

– abroger l’esclavage en y proposant des alternatives (le contrat de travail « ‘aqd al-‘amal », le contrat de vie commune « ‘aqd al-nikah », le contrat de service ménager « ‘aqd al-khidma al-manziliya ») ;

– abroger la légitimité divine dans l’exercice du pouvoir (le Prophète n’a pas revendiqué une désignation divine mais a demandé les suffrages des citoyens) ;

– abroger l’intermédiation entre Dieu et les Hommes.

Ainsi, Shahrour identifie « al-madîna » comme une société où la population est diverse/plurielle, où l’exercice de l’autorité/du pouvoir ne s’exerce ni au nom de Dieu ni au nom de la religion et où toute personne doit répondre de ses actes devant la loi.

Synthèse

« Al-qarya »  est une société monolithique où les individus sont contraints d’adopter un mode de vie et de pensée unique et déterminé dont une frange sociale tire profit. L’envoi de Prophètes a particulièrement concerné ce genre de sociétés car ces derniers ont toujours été porteurs de messages prônant le changement. Face au refus du changement, les villages finissaient par subir la colère de Dieu. Il s’agissait d’une intervention divine directe qui, tel que le révèlent les récits du Coran, anéantissait (tahlik) carrément « al-qarya ».

La société monolithique est désapprouvée par Dieu qui préconise une autre organisation sociale : « al-madîna ». Ce genre de sociétés accepte et promeut la diversité et se détourne de la contrainte dans tout ce qui est inhérent à la croyance. « Al-madîna » est une société où l’autorité tire sa légitimité de la volonté, librement exprimée, des citoyens.

Avec l’avènement de l’ère des « mudun », la disparition des sociétés monolithiques (al-qurâ) n’est désormais plus liée à une intervention divine directe. Cette finalité s’inscrit désormais dans l’évolution logique des événements car toute société monolithique porte en elle les germes de sa propre disparition (sourate 17 verset 58). De même, toute société plurielle/diverse porte en elle les germes de sa prospérité.

وَإِن مِّن قَرْيَةٍ إِلَّا نَحْنُ مُهْلِكُوهَا قَبْلَ يَوْمِ الْقِيَامَةِ أَوْ مُعَذِّبُوهَا عَذَابًا شَدِيدًا ۚ كَانَ ذَٰلِكَ فِي الْكِتَابِ مَسْطُورًا (الإسراء 58)

De ce cheminement historique, Shahrour tire les conclusions suivantes :

– les valeurs (al-qiyam) sont inhérentes à la société en ce bas monde alors que les rituels (al-sha‘â’ir) sont inhérents à l’individu dont il est seul comptable le jour du jugement dernier.

– la religiosité (al-tadayyun) est un phénomène individuel alors que les valeurs humaines (al-qiyam al-insâniya) sont un phénomène collectif.

– le jugement des sociétés se fait en ce bas monde (fî al-hayât al-dunyâ) alors que celui des individus se fait le jour du jugement dernier (fi al-âkhira) : sourate 17 verset 13, sourate 19 verset 95, sourate 80 verset 34-36 (‘abasa 34-37)

وَكُلَّ إِنسَانٍ أَلْزَمْنَاهُ طَائِرَهُ فِي عُنُقِهِ ۖ وَنُخْرِجُ لَهُ يَوْمَ الْقِيَامَةِ كِتَابًا يَلْقَاهُ مَنشُورًا (الإسراء 13)

وَكُلُّهُمْ آتِيهِ يَوْمَ الْقِيَامَةِ فَرْدًا (مريم 95)

يَوْمَ يَفِرُّ الْمَرْءُ مِنْ أَخِيهِ (34) وَأُمِّهِ وَأَبِيهِ (35) وَصَاحِبَتِهِ وَبَنِيهِ (36) لِكُلِّ امْرِئٍ مِّنْهُمْ يَوْمَئِذٍ شَأْنٌ يُغْنِيهِ (37) (عبس)

– au sein des sociétés, l’unicité de Dieu (uhâdiyat Allah) se concrétise par la diversité/pluralité de ces dernières (ta‘adudiyat al-mujtama‘) ;

– l’humanité demeurera en développement constant, en évoluant dans le savoir, jusqu’à ce que l’homme se croie l’égal de Dieu (Sourate10 verset 24)

إِنَّمَا مَثَلُ الْحَيَاةِ الدُّنْيَا كَمَاءٍ أَنزَلْنَاهُ مِنَ السَّمَاءِ فَاخْتَلَطَ بِهِ نَبَاتُ الْأَرْضِ مِمَّا يَأْكُلُ النَّاسُ وَالْأَنْعَامُ حَتَّىٰ إِذَا أَخَذَتِ الْأَرْضُ زُخْرُفَهَا وَازَّيَّنَتْ وَظَنَّ أَهْلُهَا أَنَّهُمْ قَادِرُونَ عَلَيْهَا أَتَاهَا أَمْرُنَا لَيْلًا أَوْ نَهَارًا فَجَعَلْنَاهَا حَصِيدًا كَأَن لَّمْ تَغْنَ بِالْأَمْسِ ۚ كَذَٰلِكَ نُفَصِّلُ الْآيَاتِ لِقَوْمٍ يَتَفَكَّرُونَ (يونس 24)

2 thoughts on “Les notions de diversité et d’unicité chez Mohammad Shahrour : « al-madina » et « al-qarya »

  1. Vous faites une traduction fausse de « qura », pluriel de « quaria ». La quaria est en géographie des regroupements volotraires de population, un hameau ou douar ; ce dernier terme aujourd’hui accepté dans la lexicographie française officielle du dictionnaire de l’académie française, appelé le TLF, trésor de la langue française. Un village est généralement la traduction de « belda ». Une belda est caractérisée par un petit effectif de population, et est doté d’ infrastuctures et d’equipements collectifs « citadins » de diverses natures, mais en envergure et nombre fort réduits par rapport à ceux d’une ville, madina en arabe.

    1. Le sens donné ici au mot « qarya » ne tient compte ni de la superficie (envergure) ni de la démographie (nombre d’habitants). Abordant cette question, Dr. Shahrour donne l’exemple de l’URSS où une question posée à un habitant de Saint-Pétersbourg et à un habitant de Vladivostok donnait lieu à une même réponse. Il considérait ainsi l’URSS (près de 300 millions d’habitants et plus de 22 millions de kilomètres carrés) comme une « qarya ».
      Si la différenciation que vous faites entre « qarya » et « balda » est pertinente en géographie, elle ne l’est pas dans le présent sujet.

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