"Rue de la nuit", voyage au bout du « brasier natal »
« Je venais de poser mon bâton de pèlerin du doute […] Les utopies auto-dissoutes, sevré de la quête spongieuse du paradis collectif, j’étais plus léger. Donc plus fort que la première fois ; je n’avais plus grand-chose à perdre »
Ce dernier roman d’Arezki Metref commence par le retour au « brasier natal » du personnage principal, après vingt-cinq ans d’exil forcé. Aguerri, en tout cas « purifié de toutes les scories » charriées une vie durant, le septuagénaire revient sans une once de ressentiment, même pas pour Moh-Zyeux-Bleus, l’ancien élève qui était chargé de lui tirer une balle dans la tête. Son but : écrire un « monde qui n’est plus », celui de son enfance entre 1965 et 1968. La structure sociale et politique se dessine à travers le texte comme une matrice ayant enfanté les périodes morbides qui se sont succédé. Toute une allégorie !
Le narrateur nous introduit donc dans un quartier, celui de son enfance, conçu comme un microcosme d’une société immuable, régulée par ses constantes : une Maison du Drapeau, la place du Garde-à-vous, le minaret, le café des Amis qui offre un semblant de vie sociale à travers les parties de domino et les ragots comme seules informations partagées pour refaire le monde. Des immeubles, concentrant des vies cachées dans une obscurité inquiétante, on ne saura pas grand choses. Les piaillements de la journée sont tus dans la « Rue de la nuit ». Tout est sombre ! Même l’avenir, secoué dès son amorce par deux coups d’État, voit ses velléités de liberté ternir dans l’impuissance.
Dans cette citée, comme probablement dans tant d’autres en « Galérie », le narrateur expose un éventail de personnages qui prennent de l’épaisseur dans les lueurs vespérales de cette cité. Un chapitre est consacré à chacun d’entre eux pour les livrer, telles des pièces d’un puzzle à assembler, afin de cerner la violente tragédie qui secoua les Peupliers. Il y a Zayyem, le fervent représentant du R.I.N.G. dont les discours commencent toujours par « La révolution par le Peuplier et pour le Peuplier » ; le cheikh Zoudj, « l’imam ventripotent » de la cité qui lui est inféodé. Il y a aussi Poteau qui note scrupuleusement tous les événements… Zongo, le patron du café qui se la joue « Béatles » malgré « la censure de la Maison du Drapeau » qui ne tolère pas la décadence occidentale et qui doit probablement partager un lourd secret avec Mucho. Et puis il y a Mucho, celui qui seul réussit à capter l’attention de tous. Réglés comme du papier à musique, ses brèves apparitions nocturnes et son attitude mystérieuse, plutôt énigmatique, au café des Amis, fascinent et suscitent « une déférence craintive ». Tous se questionnent sur cet homme qui « structurait le temps du Peuplier avec plus de précision et de couleur que les cinq prières quotidiennes de cheikh Zoudj ». Qui est-il ? Comment et pourquoi a-t-il disparu ?
Le narrateur n’utilisera pas les carnets de Poteau pour écrire. Il rédigera son histoire avec sa « vision lénifiante » qu’il avait de Mucho…
Arezki Metref nous livre avec talent, comme toujours, un roman empreint de sensibilité, mais caustique et subversif à souhait. « Le brasier natal » prend ici forme du creuset de tous les drames qu’a connus l’Algérie mais aussi de tous les possibles.
Rue de la nuit, Koukou éditions, Alger, 2019, 102 pages