Abdelkader Meksa, l’amour dans l’âme
Meksa, se souviennent ceux qui l’ont connu, était d’une sincérité hors pair. Il était fier mais persévérant. « Chaque goutte de mon sang est une note de musique », disait-il à Sans frontières, le 18 décembre 1981.
Il y a de ces hommes qui n’ont pas besoin d’une éternité pour prétendre à l’éternité. Quelques mots venant du fond du cœur et quelques notes d’une guitare bien apprivoisée parfois suffisent. C’est le cas d’Abdelkader Meksa dont les airs continuent à nous bercer comme un doux vent bercerait un champ de blé mûr. Comme une mère bercerait son enfant.
Qui, à l’écoute de Loundja (cette chanson qui, vieille de quarante ans, n’a pas pris une seule ride), n’a pas fermé les yeux à la quête de Loundja la légende, de Loundja la femme, de Loundja l’amour… ? Qui, à l’écoute de Zelgoum, n’a pas été envahi par cette sombre tristesse que provoque l’image de ces femmes – nos femmes – réduites à des créatures de seconde zone ? Qui n’a pas, à l’écoute de Tafounast igujilen (La vache des orphelins) n’a pas été plongé dans l’indignation ?
Meksa est sans doute un artiste dont l’art ne vient pas d’un simple don. Il est aussi – et surtout – une âme sensible, douce et attentive à l’autre. Aux autres. Les trente-quatre années qu’il a vécues n’ont pas été vaines. Il a offert à sa génération de la belle musique, des mots doux et un espoir. Et aux générations futures, il a légué un chemin. Et sur ce chemin, il n’a pas hésité à semer tout l’amour et tout le bon sens dont il a été capable. Doux, intentionné – ce sont là les mots de sa fille, Floriane-Missiva –, il a donné sans qu’il s’attende à un retour.
Abdelkader Meksa, né le 4 juin 1954 à Tmizart, dans la wilaya de Tizi-Ouzou, est un artiste dans tous les sens auxquels le mot peut prétendre. En octobre 1976, à l’âge de 18 ans, il arrive à Paris où il rencontre Nathalie, accordéoniste et organiste. De l’amour, Abdelkader en donnera et en recevra en retour. « Je suis fille de l’amour », reconnait sa fille, Missiva. Incroyablement doué, Abdelkader Meksa sera, à l’image d’Idir, de Ferhat et de Brahim Izri, l’un des rares artistes à donner, à partir des années 70, un souffle moderne à la chanson berbère.
Après Loundja (la fille de l’ogresse à la beauté légendaire) et Tafsut (le printemps), sortis en 1975, il enchaîne, en 1976, avec Assif (la rivière), Anzar (la pluie) et Andakwen a-wid issefrun (où êtes-vous, poètes ?). En 1979, il revient avec Tafunast igujilen (la vache des orphelins), Zelgum (princesse célèbre par des amours impossibles) et arzez d-tzizwa (la guêpe et les abeilles).
En 1980, il sort un troisième album : Amenkcem (le colonialiste) et en 1982 Tikvayliyin (les femmes kabyles). Ce n’est que six ans après, en 1988, qu’Abdelkader Meksa sort son dernier album : Amghar azemni (le vieux sage). C’est d’ailleurs durant cette sinistre année, un 30 octobre, que Meksa, victime d’une bavure policière, nous quitte à jamais.
Meksa était un artiste complet qui passait beaucoup de temps à composer et à chanter. Dandy et toujours bien sapé, il était un guitariste hors pair qui devait – dernière touche pour son accomplissement artistique – apprendre le solfège. Nathalie s’en chargea, mais non sans difficultés. « C’est l’épisode le plus ennuyeux de sa vie », plaisante Missiva.
Meksa, se souviennent ceux qui l’ont connu, était d’une sincérité hors pair. Il était fier mais persévérant. « Chaque goutte de mon sang est une note de musique », disait-il à Sans frontières, le 18 décembre 1981.
Homme passionné, Meksa était conscient qu’il participait à quelque chose de grandiose. « Ma grande satisfaction c’est ma participation à cette reconstruction de notre riche patrimoine, déclarera-t-il à la revue La semaine de l’immigration. Je suis parmi les maçons de cette œuvre, et je vois les murs qui se constituent chaque jour ». Une déclaration qui en dit long sur son engagement dans le combat identitaire.
Homme très gentil, un peu maladroit, même souvent, de l’avis de sa fille, Abdelkader était aussi un père attentionné. Aussi exigent. Un peu trop même. « Surtout quand il s’agit de notre culture et notre histoire », assure Missiva qui compte très prochainement reprendre les chansons de son père. Et de poursuivre : « Il s’est battu pour que nous ne perdions pas notre identité et notre liberté ».