Algérie et France : du référent historique à l’identité au miroir de l’autre

La dernière sortie du président français, Emmanuel Macron, s’interrogeant sur l’existence de la nation algérienne avant la conquête coloniale française, en 1830, a suscité un tollé d’indignation de l’autre coté de la rive de la méditerranée, plus exactement en Algérie. Les réseaux sociaux ont été pris d’assaut pour commenter, ou  dénoncer, les propos fracassants tenus par le chef de l’État français.

Force est de constater que dans les réactions des internautes algériens, touchés dans leur amour propre, le discours prédominant, sur les réseaux sociaux ou même sur certaines chaines de télévisions, officielles ou celles dites privées, est celui glorifiant la fierté d’appartenir à une nation aux origines lointaines, remontant jusqu’à la Numidie de Masssinissa. L’on peut remarquer que même ceux qui hier ne se reconnaissaient pas forcément dans le référent amazigh, en se limitant, lorsqu’il s’agit de se définir, à un récit qui ne dépasse pas le cadre arabo-islamique, se sont réapproprié les grandes figures historiques, tels que Imedghassen, Massinissa, Jugurtha, pour ne citer que ces exemples.

Cette réappropriation de symboles et d’un pan important de notre histoire millénaire(d’une manière conjoncturelle ?) par ceux-là même qui, il y a pas longtemps se sont insurgés contre la constitutionnalisation de tamazight et critiquaient tout référent historique berbère, ne peut que nous amener à nous interroger si le fait identitaire dépend souvent du regard qu’a l’autre sur nous-mêmes et, partant, de la relation que nous avons avec ce dernier. L’on est tenté ainsi de dire avec l’anthropologue François Laplantine  que « les figures de ce que l’on tient pour l’autre ne sont que des variations de soi »[1]1.

Cet épisode suscité par un chef d’État nous renseigne sur le fait que les représentations de soi ont une partie liée avec le rapport que nous avons avec l’Autre – apaisé ou conflictuel – représenté ici par le président français en premier lieu, et le pays auquel il appartient. Dit autrement, dans l’imaginaire collectif d’un groupe social, comme c’est le cas de notre société,  l’image qu’on se fait de soi implique une partie étrangère (l’Autre).

Vers  une nouvelle altérité ?

Les vicissitudes de l’Histoire, faites de colonisation, ont permis à la société  algérienne de construire des symboles à travers lesquels elle essaie, sans pour autant que cela ne se fasse d’une façon consensuelle, de s’identifier. Ces référents historiques sont le produit d’une Histoire violente, qui a engendré un rapport d’altérité mouvementée avec l’anciennce puissance coloniale.

En effet, depuis son indépendance en 1962 jusqu’à aujourd’hui, nous pouvons remarquer que l’identification de la société algérienne, dans sa globalité, s’opère par rapport à un Autre, c’est-à-dire, dans l’imaginaire collectif, à l’ex-colonisateur ; que ce soit dans les manuels scolaires ou dans le discours des officiels, la glorification de soi (identité collective), se fait par le biais d’une mémoire (blessée) invoquant les méfaits de la colonisation et l’épopée de la guerre de libération. Un récit dont l’apport est conséquent dans la fondation de la nation algérienne post-indépendance.

Du complexe du colonisateur de certains au ressentiment rongeant d’autres, et qui se manifeste par le rejet de tout ce qui est français (langue, culture, etc.), le rapport qui s’est établi entre une certaine frange de la société algérienne, dont la mémoire reste travaillée par le trauma  colonial, et la France est biaisé d’avance, voire empoisonné. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n y a pas de ponts qui se construisent entre les deux rives ; heureusement qu’il y a des histoires qui témoignent d’une altérité apaisée, où le dialogue et l’humanisme prennent le dessus sur la bêtise.

Cela dit, malgré l’image que nous donne le politique, une nouvelle altérité entre les deux pays est en train de se construire. Œuvre de contacts entre les individus des deux rives, cette nouvelle altérité en cours est aussi tributaire de nouveaux imaginaires. Ces derniers ne devraient pas s’appuyer sur un passé à l’Histoire violente mais sur de nouvelles représentations où l’autre ne sera plus cet « ennemi » potentiel, pour les sujets rongés par le ressentiment, ou un « mineur », pour des individus mus par le complexe du colonisateur ; cette altérite devrait être construite sur les intérêts communs et  un regard tourné vers  l’avenir, qui saurait faire abstraction des scories du passé.

 

           

[1] Francois Laplantine, Je, nous et les autres, Paris, Éditions Le pommier-Fayard, 1999,p.139.

4 thoughts on “Algérie et France : du référent historique à l’identité au miroir de l’autre

  1. En affirmant dans votre assertion que « Cette réappropriation de symboles et d’un pan important de notre histoire millénaire(d’une manière conjoncturelle ?) par ceux-là même qui, il y a pas longtemps se sont insurgés contre la constitutionnalisation de tamazight et critiquaient tout référent historique berbère (…) J’estime que votre compréhension de la question identitaire est orientée idéologiquement et ne correspond pas à la réalité des faits ! L’identification aux origines berbères de l’Algérie n’est pas une « réappropriation de symboles » dans cette « conjoncture », mais une affirmation de soi dans l’une de ses plus anciennes composantes identitaires en réponse à une négation de cette composante par l’ancienne puissance coloniale pour un objectif non avoué. Par ailleurs, vous commettez un amalgame de mauvais goût en considérant que la critique de « la constitutionnalisation de tamazight » allait de pair avec « la critique de tout référent historique berbère ».

    La violence des propos avec lesquelles le Président français Emmanuel Macron et dans son sillage l’avant garde de l’imaginaire nationaliste français s’étaient attaqués à l’Algérie en tant que Nation et Société, qui figurent parmi les plus anciennes nations et sociétés de l’humanité, est trop sérieuse pour la ramener à une analyse au service d’une philosophie de bourg.

    Ci-dessous, ma modeste contribution à verser dans le débat pour le rapprochement des peuples français et algériens sur la base d’un respect mutuel, sans déni de notre histoire commune avec toute l’étendue de la tragédie qui la caractérise.

    L’impasse de la crise mémorielle franco-algérienne est l’expression de la poursuite de la lutte anticoloniale
    Youcef Benzatat, 17 octobre 2021
    La crise mémorielle franco-algérienne traduit en fait, par la permanence de son impasse, le déni inavoué de l’identité de l’état algérien par l’ancienne puissance coloniale. Une raison essentielle à cela est le fait que le nationalisme algérien, qui a donné naissance à l’état algérien dans sa forme contemporaine en l’ayant doté d’une identité révolutionnaire, s’avère être une déconstruction du nationalisme français hérité de la révolution de 1789 et de la pensée des lumières qui a significativement contribuée à son avènement. Reconnaitre donc et respecter l’identité de l’état algérien par l’ancienne puissance coloniale, c’est accepter cette épreuve de déconstruction du nationalisme français dans le miroir de celui de l’ancien colonisé au risque de faire apparaitre au grand jour ses contradictions devant le caractère criminel de la colonisation et de devoir affronter douloureusement l’effondrement de ses valeurs.
    Par conséquent, vouloir dénouer volontairement cette crise, pour l’ancien colonisateur, par l’aveux du caractère criminel du fait colonial, c’est se renier soi-même, par la disqualification de l’identité de son propre état et les valeurs qui le fondent, qui sont en toute évidence au fondement du fait colonial tel qu’il s’est déroulé en Algérie, notamment par la perversion du principe des droits de l’homme et du citoyen dans son acceptation universelle. De ce fait, les termes de la crise sont systématiquement ramenés par l’ancienne puissance coloniale à un différend dans l’interprétation et la qualification de singuliers épisodes meurtriers, ayant jalonnés la permanence des crimes coloniaux durant l’occupation coloniale pour mieux se disculper. Même si parfois l’ancien colonisateur accepte d’endosser la responsabilité de certains crimes coloniaux, c’est pour mieux les justifier par des circonstances impératives ou incontrôlées, telle la torture pour neutraliser les réseaux « terroristes » de la bataille d’Alger ou encore le massacre d’Algériens en octobre 1961 à Paris en l’imputant à une dérive policière commanditée par un néofasciste désavoué en la personne du préfet Maurice Papon pour rendre inopérant le qualificatif de crime d’état. C’est dire, qu’a chaque crime colonial correspond un contrepoint justificatif et déculpabilisant, minutieusement orchestré, pour préserver l’imaginaire des nationalistes coloniaux vantant la colonisation civilisatrice. Ainsi, les enfumades, les massacres de masse, notamment ceux de 1945 dans l’est algérien et surtout le génocide perpétré au cours de la conquête, qui durera plusieurs décennies, les étouffoirs, les viols collectifs contre les femmes, le déracinement des populations par la confiscation de leur terre et leur expulsion vers des terres inhospitalières et improductives, le deuxième déracinement par leur regroupement dans des camps de concentration pendant la guerre de 1954 à 1962, etc., trouverons toujours singulièrement des justifications pour préserver cet imaginaire au fondement de l’empire civilisateur des peuples sauvages.
    Mais la stratégie discursive de l’ancien colonisateur ne résiste pas à la volonté de l’ancien colonisé à vouloir circonscrire impérativement cette crise mémorielle dans le différend sur la qualification de la nature même du régime colonial, qui représente en soi ses temps forts et par conséquent la conduit vers l’impasse. A la colonisation positive, civilisatrice, invoquée par les termes du dialogue mémoriel de la part de l’ancien colonisateur, il lui est opposé le qualificatif criminel pour désigner le fait colonial par l’ancien colonisé.
    Dans cette impasse se joue en définitif une confrontation pour la survie de deux nationalismes qui se renient réciproquement en reniant l’identité des états qui les caractérisent.
    Pour l’ancien colonisateur, le nationalisme algérien, qui est perçu comme étant à l’origine de l’amputation de l’empire de ses colonies, qui s’est donné sournoisement pour objectif une mission civilisatrice des peuples sauvages pour mieux piller leurs richesses et les empêcher de devenir des nations souveraines et prospères, continu à ce jour d’assumer ce rôle de meneur dans la lutte contre le régime néocolonial, en menaçant la déconstruction du caractère sournois des valeurs qui fondent l’identité de son état et donc de son rayonnement et sa prospérité au détriment des peuples néo colonisés. Les dernières déclarations du Président français, Emmanuel Macron, teintées d’amertume et de dépit, avaient tenté en vain de pousser « la société algérienne profonde » à renier l’identité de son état en le qualifiant de « système politico-militaire (…) qui fonde sa légitimité sur la rente mémorielle ». Allant jusqu’à renier la préexistence même de l’état algérien en dehors de l’étendue de l’empire colonial.
    Pour le nationalisme algérien, dont l’indépendance nationale est perçue comme une libération de l’emprise de l’empire colonial, l’identité dont il a doté son état s’inscrit dans la lutte même contre cette perversion des valeurs de l’identité de l’état colonial, à savoir la solidarité avec les peuples en lute pour leur autodétermination et la non-ingérence dans les affaires internes des états souverains, du moins, contribuer par une médiation impartiale pour résoudre les conflits violents afin de ramener la paix entre leurs membres. Cette valeur identitaire est étroitement associée à la lutte pour la souveraineté économique et la solidarité avec les peuples dont les richesses sont convoitées par les puissances néo coloniales. C’est à cette identité de l’état algérien que fait allusion le Président Abdelmadjid Tebboune en conditionnant le retour à son poste de l’ambassade d’Algérie en France par la reconnaissance et le respect de l’état algérien par l’ancienne puissance coloniale.
    C’est dire, que dans l’absolu, l’impasse de la crise mémorielle franco-algérienne n’est autre que la poursuite du rapport de force néocolonial confronté à la résistance de la partie algérienne par la poursuite de la lutte anticoloniale.
    Y.B.

    1. Je pense que l’auteur, contrairement à ce que vous affirmez, à bien fait de donner ainsi un coup franc et ferme dans la fourmilière d’une certaine idéologie conservatrice algérienne , rétrograde, qui veut à tout prix occulter les l’identité et l’histoire berbères de l’Algérie, considérant aveuglement et faussement que l’identité berbère serait en concurrence avec la dimension musulmane . C’est là, le réel amalgame, c’est quand on cherche à nier la berberité de l’Algérie au nom d’une supposé émancipation et affirmation de la civilisation arabomusulmane, considéré à tort, comme seul et unique référent historique du pays. Et, avec cette polémique, et moi je dis c’est tant mieux (ça leur apprendra à intégrer cette identité amazigh réellement milinaire pour contrer les assauts iincessant des véritables ennemis de l’Algérie se trouvant sur l’autre rive méditerranéenne, notamment la partie hexagonale. .lamazighite de l’Algérie est justement le garant de histoires séculaire de la nation et ces groupuscule islamiste devraient y penser désormais et l’accepter. J’estime moi qu’on a bien fait d’avoir abordé cette question de ce biais là et de façon si directe et frontale…il est grand temps de rétablir certaines vérités relatives à l’histoire de l’Algérie , Histoire qui est appelée à être réécrite

  2. Il n’y a pas d’Arabes et de Berbères en Algérie ! En Algérie, il n’y a que des Algériens. Les Berbéristes omettent volontairement, pour les besoins de leur idéologie ethniciste, l’apport des langues puniques, Turcs, subsahariennes et beaucoup d’autre dans l’enrichissement de la langue tamazight, pour devenir la langue que parlent tous les Algériens, la Derja.
    Ils omettent également, pour la même raison, que la composante humaine de l’Algérie est le produit d’un métissage qui dure depuis 3 milles ans entre amazighs autochtones et les divers populations venus de tous les horizons s’établir sur le sol algérien. Alors que la thèse erronée des Berbéristes, soutenue pour les besoins de leur idéologie, affirme qu’il n’y a en Algérie que des amazighs, dont une majorité a été arabisée avec l’avènement de l’islam dont le véhicule est la langue du Coran. Le conflit identitaire en Algérie, n’oppose pas seulement les Berbéristes aux adeptes de l’idéologie identitaire arabo-musulmane, mais surtout ces deux idéologies extrémistes aux algérianistes dont l’identité repose sur la transculturalité et le métissage.

    1. Dire qu’il n’y a que des Algeriens, en Algérie, pour éviter toute discrimination, dinctinction selon ethnie, race, etc. susceptible de créer des divisions, et œuvrer pour la cohésion nationale, serait louable et honorable de votre part. Or, vous occultez cette différenciation non pour les raisons suscités, mais pour affirmez que arabes et berbère proviendraient de la même origine?? Ce qui est pour le moins un mensonge historique hallucinant! Si seulement vous aviez nuancé votre proopos en disant par exemple, pour aller vite, que la dimension ( je pèse mes mots) arabo musulmane de l’Algérie, est un prolongement,un complément, des origines profondes de cette Algérie anciennement berbère! Nier cette vérité scientifique, historique aujourd’hui c’est faire preuve d’un manque flagrant d’honnêteté et de clairvoyance, pour ne pas dire autre chose. C’est d’autant plus triste et incompréhensible que vous concernant, vous semblez être, à en juger par votre maitrise langagière, ainsi que votre raisonnement très poussé,
      quelqu’un de très érudit et instruit!!! Voire quelqu’un plein d’esprit!! Sauf votre respect, cher monsieur, mais c’est un peu dommage d’avoir un si un grand esprit tout en manquant d’humilité et d’honnêteté scientifique !! Tel est malheureusement l’état un peu de la quasi-totalité de l’avant garde algérienne !actuellement …Un vrai gâchis !!

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