« Ecrire, c’est plonger en apnée dans un univers sans fin » (Lynda-Nawel Tebbani, écrivaine)

Lynda-Nawel Tebbani, écrivaine et universitaire, aborde à l’occasion de la sortie de son dernier roman Dis-moi ton nom folie, son aventure scripturale avec le personnage Skander el Ghaib et la façon dont il rappelle un autre personnage de Maurice Blanchot. « La folie de Skander se meut dans son langage, disais-je. Et surtout dans les non-dits et les silences », explique-t-elle.

Vous venez de publier aux éditions Frantz Fanon un roman intitulé Dis-moi ton nom folie. Tout d’abord, d’où vous est venue l’idée d’un personnage fou ?

Ce personnage est venu à moi. Il m’est apparu une première fois alors que je finissais L’Eloge de la perte et que je finissais ma thèse. J’ai toujours cette habitude de faire plusieurs choses à la fois. J’ai besoin d’une échappatoire et je m’étais mise à lire frénétiquement Michel Foucault, Husserl et Blanchot – tout particulièrement ses récits et ses textes romanesques. J’ai eu un double choc avec les travaux de Foucault sur Roussel et avec les récits blanchotiens. L’obsession foucaldienne pour la psychiatrie et l’écriture de Blanchot ne m’ont pas emmenée concrètement vers un personnage fou en tant que tel mais vers l’espace de son langage. C’est peut-être différent. Skander n’est pas fou, il est perçu comme tel. Il est dans un ailleurs plus subtil, celui de son propre univers qui est peuplé de musique, de langage et de souvenirs.

Dominer le discours de votre personnage et en même temps lui donner la parole est une tâche difficile, pourtant, Skander El Ghaib semble bien trouver « une raison à sa folie ». Qu’est-ce que la folie de Skander a de particulier ?

La folie de Skander se meut dans son langage, disais-je. Et surtout dans les non-dits et les silences. Je n’ai pas cherché à interpréter ce langage et je n’ai pas voulu caricaturer la folie. En soi, je n’ai pas tendu de piège à mon personnage à doublement l’enfermer dans l’asile et dans son qualificatif « fou ». D’ailleurs, je dirais que celui dans lequel il s’enferme vraiment, est celui d’« exilé ». C’est moins dans la folie qu’il se perd que dans l’exil.

Une ressemblance frappante existe entre votre personnage Skander el Ghaib et Alexandre Akim de Maurice Blanchot que vous citez et dont vous citez l’œuvre aussi. Cela est-il voulu ? Se ressemblent-ils réellement ?

Dis moi ton nom folie est une réécriture assumée du Ressassement éternel de Maurice Blanchot, dont le personnage principal se nomme, effectivement, Alexandre Akim. J’ai toujours le souvenir de ce choc littéral premier à la lecture de ce court récit. Alexandre Akim m’a obsédée et cette obsession a pris un nom : Skander el Ghaib. Pourquoi ? Comment ? Je ne saurais l’expliquer vraiment. Il y va de certitudes d’écriture qui nous dépassent. Skander est un double, un écho, un reflet. Je ne sais réellement, mais c’est bien voulu. Skander interroge Alexandre. Mais je ne dirais pas pour autant que Lynda-Nawel interroge Maurice ! Hahahahah. Ou, peut-être est-ce l’inverse ? C’est la partie obscure d’un questionnement sur sa propre écriture. C’est le lecteur qui saura mieux y répondre. Et qui sera surtout le plus libre pour le faire !

Que représente pour vous Maurice Blanchot et son œuvre ?

J’ai l’habitude de dire que je dévoue mon travail à Foucault, Husserl et Blanchot.  Ensuite, effectivement, Blanchot est partout dans le texte : dédicace, citation, Skander lit Blanchot.  Je ne sais comment. Peut-être qu’une lectrice ou un lecteur l’expliquera mieux que moi.  Ce que je sais c’est que la figure de Blanchot est au-delà d’une figure tutélaire ou d’un héritage : c’est un horizon. Un ultime inaccessible. Une phrase a accompagné mon manuscrit : comment oser écrire après Blanchot. Je n’ai pas osé, je n’irai pas jusque-là. Je dirais seulement que j’ai tenté d’offrir à Alexandre Akim, un jumeau algérien sans lui ressembler qui lui parle et lui donne écho : d’un silence l’autre.

Skander el Ghaib est un exilé ; son espace-temps suit « la logique » de ses souvenirs et de son entourage et prend leur forme. Selon vous, un récit, peut-il se faire sans obéir à un espace et un contexte statiques ?

Un récit possède sa propre réalité et ainsi, son propre cadre spatio-temporel. Les lecteurs sont habitués à une ligne avec un début et une fin. Mon récit n’est obsédé cependant que par une seule finitude : celle du langage. Le langage est sa propre temporalité et son propre espace. Ensuite, l’exil est un refus du temps par l’importance d’un passé perdu, d’un futur qui se refuse et d’un présent qui s’échappe. Vouloir écrire sur le langage de l’exil amène donc à un hors-lieu et un hors-temps.

Depuis la guerre d’Algérie, les écrits des femmes algériennes sont souvent caractérisés par les prises de position, l’engagement en faveur des femmes, etc. Votre roman ne s’inscrit pas dans ces thématiques. S’agit-il d’un choix ?

Je suis très étonnée par votre question parce qu’elle sous-entend qu’il existerait un type d’écriture féminine type algérienne, qu’il s’agirait pour une autrice algérienne de forcément écrire sur tel ou tel sujet ! Je ne vois pas l’enjeu de l’écriture ainsi. Selon moi, l’écriture est avant tout poétique. Celle-ci cherche moins à questionner la société ou le fait social que le langage et le sens des mots. Du moins, c’est ainsi que je réfléchis mon propre rapport à mon écriture. Disons que je ne cherche pas à réfléchir tel ou tel sujet. Je suis une intuition, un signe et je remonte le chemin des sens. Cela ne demande pas de lieu précis ou d’empreintes établies dans un référent clair. Alors, effectivement, mes romans ont des supports culturels algériens : des noms de villes, la musique andalouse, la langue arabe, mais en cela, s’agit-il pour moi parce que je suis algérienne et que je suis éditée en Algérie de parler, de questionner et de décrire la société algérienne et – surtout – la femme ? Je ne pense pas. D’ailleurs, pour la deuxième fois, mon personnage principal est un homme et c’est à travers sa voix que se meut le récit. Si je dois partager un choix, il s’agirait dès lors, d’un choix esthétique.

Vous êtes chercheure universitaire en Lettres et en Musique. Comment assumez-vous votre double statut : romancière et universitaire à la fois ?

J’ai la chance de faire de la recherche en Lettres et Musique. C’est une passion avant toute chose et un réel plaisir. Je ne pense pas cela comme un « double statut », mais plutôt comme une évidence. Mon univers a toujours été lié au Verbe. J’ai coutume de dire que je lis le Verbe, j’étudie le Verbe, que j’enseigne le Verbe, que je chante le Verbe et que je l’invente. L’écriture est partout dans mon univers, je ne peux me séparer d’elle. Il est évident cependant, qu’il s’agit de deux écritures différentes. Elles sont toutes les deux chronophages, insomniaques et elles dévorent l’âme. Ecrire, c’est plonger en apnée dans un univers sans fin. On ne peut arrêter d’écrire. Il manquera toujours un mot, une phrase. Qu’il s’agisse de la critique d’un roman. On ne peut sciemment dire : j’ai tout dit, j’ai tout lu, je n’ai plus rien à découvrir. Soit nous sommes mauvais lecteur soit nous avons mal compris.

Votre personnage Skander est à la fois bouleversant et énigmatique.  Pensez-vous le reprendre dans vos prochains projets d’écriture ?

Je n’en ai pas fini avec Skander. J’ai encore une longue route avec lui parsemée de ses silences et de son absence. Skander est un personnage que l’on ne quitte pas ainsi : avec le mot fin. De plus, l’expérience d’écriture est un horizon infini dans lequel il s’agit moins de mettre des balises que de se perdre. Et quel meilleur compagnon de route qu’un musicien !

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