« Les designers parlent la langue de l’universalité et de la beauté » Feriel Gasmi Issiakhem, commissaire de la Biennale Design 2021)

Le design, une discipline artistique qui s’impose progressivement à l’ère du numérique. L’événement baptisé la Biennale algéro-française du design DZign 2020+1, le situe au sommet de ses objectifs pour en faire un des outils nécessaires à la vie quotidienne. Outre sa dimension esthétique, le design, estime Feriel Gasmi Issiakhem, commissaire de l’événement, est « un moyen de communication assez direct pour se rendre compte finalement que nous avons les mêmes aspirations et inquiétudes universelles : transitions énergétique, climat, économie circulaire, l’esthétique par le zéro déchet, les villes durables. »

Feriel Gasmi Issiakhem, vous êtes commissaire de la Biennale algéro-française du design initiée par l’Institut français d’Algérie et l’Ambassade de France. Une manifestation inédite en Algérie. Qu’attendez-vous de cet événement ?

Attendre signifie « temps de pause », hors, tous ceux qui sont impliqués dans cet évènement, organisateurs, concepteurs, partenaires et y compris moi, sont dans une telle dynamique d’action que l’organisation d’une telle biennale apporte la preuve que les projets et les idées avancent avec comme objectif principal, expliquer le champ d’intervention multiple du design.

Le titre central « réinventer la ville par le design »   de cette biennale est conçu comme un spectre très large pour ré questionner le lien intrinsèque entre designers professionnels avec les architectes, les artistes, les ingénieurs et même l’artisanat. En fait ce qu’il faut retenir de ce programme : expositions, talks , portes ouvertes sur les écoles partenaires est que le design est fondamentalement ancré dans la recherche de solutions capables d’imaginer l’évolution des habitudes , des nouvelles manières de vivre , des besoins sans cesse augmentés et nouveaux paradigmes du XXIe siècle .

Nous attendons finalement qu’il faut cesser de cantonner le design comme simple approche esthétisante ou comme simple adjectif (c’est design= c’est original) mais comme véritable approche scientifique/artistique démontrant par le concret (prototypes, projets), que le design agit directement sur le paysage socio-économique et environnemental partout où il a l’occasion de s’exprimer face à une problématique donnée avec de la beauté en prime.  Ensuite il y’a le travail en aval , celui des industriels et pouvoirs publics qui doivent à mon avis intégrer automatiquement dans leurs projets d’investissements , le réflexe de s’entourer de ces concepteurs pour faire évoluer toutes ces questions citées plus haut, ils gagneraient en temps , en argent et en pertinence.

Le design est une discipline à la croisée de l’artistique et de l’architectural qui se voit souvent écartée des compétitions que proposent les instances culturels et les festivals dédiés aux arts. Qu’est-ce que la biennale algéro-française du design va-t-elle apporter au champ du design et des designers algériens ?

Le design fait partie aujourd’hui des plus grandes manifestations dans le monde, il n’Ya qu’en Algérie que cela est sporadique. les designers algériens sont présents dans tous ces évènements internationaux. Cette biennale est une occasion aussi pour se situer en termes de maturité sur cette discipline, discuter de son importance, de sa multidisciplinarité et de son implication dans l’évolution des pratiques sociales et urbaines par la preuve des projets montrés. Pour ma part , je trouve que cet objectif a été atteint.

Lorsque l’on décide de réaliser des expositions pour parler « Design », ces espaces de monstrations se transforment en véritables « agoras » d’échanges d’idées, de débats entre les créateurs eux même et avec le public qu’il soit profane ou avisé.

Nous avons profité de cette occasion et de ces espaces ou peuvent se confronter des projets pour mettre en avant l’approche, scientifique, artistique et consciencieuse de leurs concepteurs en rapport avec des constats vécus par tous car l’humain est au centre de toutes ces démarches aboutissants sur de vrais projets.

Certains sont déjà en route pour faire profiter le large public ( projet Exterioris Akli Amrouche à l’exposition Extramuros) et d’autres qui n’attendent que d’être distribués en série comme ceux présents à l’exposition Intramuros de Dar Abdeltif : Nabila Kalache , La chambre Claire, Ar Atelier, Kutch, modicube , Ybrid, Hamida Benmanssour, Liess Vergés, djaffar Zizi, Mounia Lazali. Dans le même registre et dans cette même exposition nous avons abordés les savoirs faires ancestraux tels que les céramiques qui sont devenus omniprésents dans toutes les grandes biennales du design du monde, vus par leurs concepteurs tels que : Feriel Ould Aoudia, Soupçon d’art, Leila Mammeri, Atelier 31 avec celles inédites du grands artiste Mahjoub Ben bella. Enfin, les designers Yamo et Mourad Krinah arrivent tous deux avec des projets plus proches de l’œuvre d’art, l’un connu pour sa parfaite maitrise des codes formels et esthétiques du design a décidé de montrer son côté « Beaux-arts » avec son installation « mes avatars » , L’autre avec un  papier peint ( objet fonctionnel) à « l’air tranquille » aux premiers abords , « Zellidj 2 » fige un « instant » algérien historique sur une sous-couche en arrière-plan .

L’espace urbain en Algérie est, quelques exceptions prés, est chaotique de l’avis de plusieurs architectes et artistes, le développement des villes n’étant ni planifié ni accompagné. Comment comptez-vous donner corps aux réflexions sur la ville que vous allez mener dans le cadre de cette biennale, notamment en Algérie ?

Lorsque l’on a décidé que le projet curatorial traiterait de la question urbaine, et de manière non exhaustive à laquelle certains concepteurs ont tenté d’y apporter leurs propres réponses, le point focal était justement de travailler sur des problématiques réelles et vécues sur certaines villes ou quartiers (Alger, Annaba , Biskra, Bejaia).

L’une des expositions traitant de cette question, est celle dédiée justement à l’urbain, je cite EXTRAMUROS, la seconde exposition présentée aux ateliers sauvages dans laquelle plusieurs aspects cruciaux ont été abordés : le traitement des déchets ménagers en milieu urbain (Manel Drareni –Rym Bellabes), la mobilité (Chafika Ould Aoudia,  Ahlem Fenane, Bachir Laib), requalification de certains quartiers (Amina Louisa Lechheb), retranscription graphiques et sonores ( Louise Dib , Walid Bouchouchi, Rayan Benyounes, Adel Chentir, Ryma Rezaiguia) , la question environnementale et le zéro déchet  ( Ryad Aissaoui, Souad Delmi, Leila Mammeri, Yacine et Amel Mili), l’efficacité énergétique et le réchauffement climatique ( Imene Azazga, Chara Messaoui, Amina Laoubi)  et puis l’approche du métier complexe et sensible d’un architecte ( Halim Faidi , invité d’honneur) . Donc finalement, il n’y a pas une seule réponse mais de multiples pour prendre à bras le corps un projet dans lequel un concepteur est complétement investit non seulement en tant que spécialiste mais en tant que citoyen conscient de ce qu’il vit au quotidien. Cette biennale ne se cantonne pas juste aux expos, mais la série de talks , conférences et portes ouvertes des écoles partenaires ( EPAU et ESBA) ont été prévus aussi pour aller encore plus dans le détail , voir et vérifier aussi que cette discipline impliquant les intervenants algériens et français  qu’ils s’agissent de grands noms, d’étudiants , sont tous dans une meme dynamique de réinventer le monde demain , celui des grands défis ou l’empreinte carbone des objets ou projets conçus  doit être réduite au maximum.

L’exposition de photos « Photographiez la cité de demain » organisée en partenariat avec l’institut du design français qui réunit 22 étudiants et 12 écoles d’art, d’architecture et de design, algériennes et françaises au niveau de la salle d’exposition de l’institut français d’Alger , nous démontrent encore une fois les inquiétudes des futurs concepteurs face aux grands malaises du devenir de nos villes du XXIe siecle.

L’Ambassadeur de France en Algérie estime que c’est à travers l’espace urbain que s’expriment les liens entre l’Algérie et la France. Ce qui sous-entend que la culture et l’art construisent souvent ce que l’histoire « loupe ». En quoi la biennale algéro-française du design participe-t-elle au rapprochement des deux pays ?

Une biennale de design entre spécialistes est un espace de dialogue et d’échanges d’expériences et de savoirs faires, c’est à mon avis le moteur essentiel qui prévaut pour s’enrichir mutuellement, il y’a par la programmation d’une telle biennale un rapprochement implicite entre concepteurs des deux rives ce qui sous-entend, des découvertes de talents ici et là et des futures collaborations entre eux qui donneront surement naissance à d’autres projets encore plus pertinents. Le design est un moyen de communication assez direct pour se rendre compte finalement que nous avons les mêmes aspirations et inquiétudes universelles : transitions énergétique, climat, économie circulaire, l’esthétique par le zéro déchet, les villes durables…en fait, nous parlons le même langage car nous, concepteurs, vivons sur la même planète et respirons le même air et parlons la même langue , celle de la beauté utile.

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