« L’Algérien a perdu l’initiative sur une existence qu’il n’a pas choisie » (Mahmoud Boudarene, psychiatre)

Mahmoud Boudarene, médecin psychiatre, essayiste, auteur de plusieurs ouvrages dont La violence sociale en Algérie, sorti en 2017 aux éditions Koukou, revient dans cette interview dense et riche en analyses, sur les différents phénomènes psychosociaux qui  caractérisent la société algérienne dans sa complexité historique et anthropologique. « Il [l’Algérie] n’a pas accès à la décision et est dépouillé de tous les attributs qui font de lui un citoyen, il a perdu sa souveraineté et n’est pas libre de bâtir son destin et celui de sa communauté. Cette existence qui le force à l’indignité a fait de lui un individu émotif, irritable et en constante colère. Il est une boule de nerf. Sous l’emprise d’une rancune tenace il fonctionne à l’instinct et comme un animal il devient grégaire. Il s’inscrit dans une logique de territoire qu’il croit sous la menace permanente, qu’il doit défendre. Pris dans ce piège, il ne sait plus dialoguer, il est sur ses gardes et mord sans discernement », estime-t-il.

 

  • Algérie coloniale et post-coloniale

 

La violence sociale en Algérie trouve selon vous ses racines dans la violence coloniale. La torture, les exécutions sommaires, autant de crimes de guerre qui n’ont pas été jugés par la France. A l’heure où la France reconnait l’assassinat d’Ali Boumendjel, quel avenir pour les descendants des victimes ?

Le système colonial est une violence absolue. Il est la négation des êtres, il est aliénation des peuples colonisés qui perdent les attributs qui en font des êtres humains. La colonisation française a chosifié les indigènes qu’étaient nos parents. La pire des violences qui peut être infligée aux individus. La torture, les viols, les assassinats et toutes les exactions dont l’armée coloniale française s’est ensuite rendue coupable constituent les autres violences qui marqueront à jamais la mémoire du peuple algérien. Si nos parents ont subi dans leur chair ces meurtrissures, le traumatisme dont ces dernières sont responsables poursuivront leurs descendances et hanteront les esprits sur plusieurs générations. Tout se passe comme si la mémoire traumatique se transmettait selon une règle généalogique. Nos parents ont aujourd’hui disparu et emporté avec eux leurs plaies béantes et leur douleur, mais ils nous légué en témoin de leurs souffrances le souvenir de leurs bourreaux. Afin que nous ne l’oubliions jamais. Si la France reconnait aujourd’hui l’assassinat de Ali Boumendjel, de Maurice Audin, de Larbi Ben Mhidi ou de tout autre algérien, cela permet sans doute d’amorcer, pour les descendants, pour les familles, un travail de réparation et de reconstruction psychique, alors que le traumatisme a été dévastateur et rendu impossible leur deuil respectif. Mais le pardon demande (exige ?) plus qu’une reconnaissance formelle des assassinats. Il appartient aux spécialistes, historiens, anthropologues, sociologues, peut-être aussi aux psychiatres et psychologues, de part et d’autre de la méditerranée, de plancher sur cette période de l’histoire partagée de l’Algérie et de la France, afin trouver les mécanismes qui permettront aux mémoires des deux peuples de s’apaiser et aux deux pays de se réconcilier.

Vous évoquez le meurtre d’Abane Ramdane comme étant le pêché originel de l’Algérie post-coloniale. Qu’en est-il des Harkis ? Y a-t-il une place pour les descendants de Harki en Algérie ?

 

Abane Ramdane a été, de l’avis de tous les témoins de cette époque, l’architecte de la révolution, le rassembleur, celui qui a réussi à unifier les forces libératrices du peuple. Il a été la cheville ouvrière du congrès de la Soummam et de la plateforme éponyme, laquelle plateforme a donné à la guerre d’indépendance une ossature, une philosophie et un sens. D’aucuns disent qu’il était le père de la révolution. Il a été assassiné par les siens, c’était un parricide, et d’une certaine façon, ce meurtre avait profané la lutte de libération nationale, et ouvert la voie à tous les assassinats qui avaient secoué cette période de la guerre d’indépendance et empoisonné plus tard la vie politique nationale. C’est en cela que, de mon point de vue, cet acte constitue le meurtre originel.

Qu’en est-il des harkis ? Je ne sais pas. En réalité, je pense que l’avenir de ceux-ci n’est plus en Algérie. Pour des raisons propres à chacun, ils ont fait le choix (politique ? ) de se joindre aux forces d’occupation françaises dont ils se sont faits les supplétifs. Ils ont, pour certains, commis des exactions, des agressions, des viols, des assassinats ; par ces actes, ils ont rompu le lien de filiation avec leur communauté d’origine, lien auquel – il me semble – ils ne peuvent prétendre aujourd’hui. Et si la France ne les a pas reconnus comme faisant partie de la communauté nationale française, l’Algérie qu’ils ont quittée de leur propre gré ne peut pas les accueillir. Les plaies ne sont pas encore totalement fermées et si un travail de mémoire et de réconciliation doit être fait, il faudra sans doute qu’il se fasse d’abord avec la France. Quant aux descendants des harkis, ils ne sont pas responsables des choix et des actes que leurs parents ont commis durant la guerre de libération. Les erreurs des parents – si erreur il y a – ne doivent pas être un viatique inéluctable pour les enfants. Mais il faudrait peut-être que ces derniers s’expriment à ce sujet. Beaucoup des enfants de harkis revendiquent, toutefois, la reconnaissance, par l’État français, de l’engagement de leurs parents aux côtés de l’armée coloniale. Est-ce à dire qu’ils assument aussi ce choix ? Je dois souligner que c’est là une situation complexe. Le problème des harkis est de mon point de vue lié à celui plus global de la colonisation. Il faudrait un véritable travail de mémoire de part et d’autre de la méditerranée, et surtout une réelle volonté de panser les plaies, pour pouvoir créer les conditions d’une réconciliation dans laquelle les relations nouvelles ne seront pas celles d’ancien colonisateur à colonisés mais de relations entre deux nations libres.

 

Au lendemain de l’indépendance, le panarabisme a été érigé en institution d’état. Comment l’identité citoyenne peut-elle se construire lorsqu’une partie de l’Histoire est occultée ?

Quand au lendemain de l’indépendance, les autorités de l’Algérie libre reproduisent l’aliénation identitaire du peuple, le départ est nécessairement mauvais. L’Algérie avait d’abord et surtout besoin d’être algérienne. Le peuple, dans sa diversité, se sentait profondément enraciné dans les valeurs que chaque communauté nationale portait en son sein, mais ces communautés avaient un dénominateur commun : l’Algérie qui venait d’être libérée du joug colonial, de l’est à l’ouest et du nord au sud. Chaque région avait sa spécificité et la revendiquait tout en acceptant la spécificité voisine et sœur. Les algériens étaient fiers d’être des algériens. Tout cela a été balayé d’un revers de main et une nouvelle identité nous avait été imposée. La personnalité algérienne n’était plus qu’arabe. La richesse qu’elle puisait de sa diversité et de son histoire venait de voler en éclat. Si l’aliénation qui nous était imposée par l’ordre colonial français trouvait une quelconque justification dans son objet – la colonisation, celle que nous proposait l’Algérie indépendante était inacceptable. On venait d’amputer l’Algérie de son passé millénaire et d’enfermer son peuple dans une idéologie qui ruinait la grandeur de sa personnalité. Cette forme de violence qu’on venait d’infliger au peuple algérien n’avait rien à envier à celle dûe à l’occupation française.

Aujourd’hui, le panarabisme n’est qu’un vague souvenir, personne n’y avait vraiment cru, sauf peut-être ceux qui ont voulu nous y emprisonner.

 

  • Jeunesse et revendications

 

Le Hirak a été pacifiste. Comment peut-on expliquer qu’un peuple qui vit dans la violence au quotidien, qui la justifie même parfois, peut-il mener une révolution sans heurts ? Quelles sont les conséquences d’une telle mobilisation sur l’état d’esprit des citoyens ?

Le passage à l’acte violent qui était la seule voie de résolution des conflits semblait en effet, durant le hirak, avoir laissé place à l’apaisement. La violence qui s’était emparée de la société hier accouche d’une certaine façon de la conciliation d’aujourd’hui. Cela conforte l’idée que l’algérien ne nait pas agressif et que la violence n’est pas dans ses gènes. La vie qu’il mène est pénible et, parce qu’elle est faite de manques et de privations multiples, elle génère une grande souffrance. L’algérien n’est pas heureux dans son pays, il a perdu l’initiative sur une existence qu’il n’a pas choisie, qui lui a été fabriquée et imposée par une gouvernance faite de Hogra et d’humiliation. Il n’a pas accès à la décision et est dépouillé de tous les attributs qui font de lui un citoyen, il a perdu sa souveraineté et n’est pas libre de bâtir son destin et celui de sa communauté. Cette existence qui le force à l’indignité a fait de lui un individu émotif, irritable et en constante colère. Il est une boule de nerf. Sous l’emprise d’une rancune tenace il fonctionne à l’instinct et comme un animal il devient grégaire. Il s’inscrit dans une logique de territoire qu’il croit sous la menace permanente, qu’il doit défendre. Pris dans ce piège, il ne sait plus dialoguer, il est sur ses gardes et mord sans discernement.

Le hirak lui a offert la possibilité de sortir de ce huis-clos personnel. Il lui a montré qu’il n’est pas seul dans la souffrance et qu’il peut différer sa propre colère et esquisser avec ses compatriotes un projet collectif national, en s’engageant tous ensemble dans une lutte contre le système politique qui les a conduits à l’indignité. La perspective d’une vie meilleure a fait tomber l’émotion, baisser la colère et fait naitre le sourire sur tous les visages. Par ailleurs, cette espèce de libération de la prison intérieure a exalté le génie des algériens et promu leurs capacités à gérer leurs émotions. La dérision et l’humour sont les mécanismes de défense psycho-sociaux, si je peux les nommer ainsi, qui ont contribué fortement à faire baisser les tensions et réduire l’agressivité des uns et des autres. C’est grâce ou à cause de cela que la colère qui s’est emparée de la population – quand le système a voulu imposer à nouveau Bouteflika malade et inapte à diriger le pays, l’humiliation de trop – n’a pas engendré de la violence et tout ce que celle-ci aurait pu provoquer comme destruction. L’inconscient collectif s’est ingénié à mettre en place ce mécanisme de défense – que les psychanalystes appellent une formation réactionnelle – pour faire tomber l’agressivité et éviter le passage à l’acte violent. La colère a pu trouver ainsi une voie de résolution dans la joie, l’humour et la créativité qui ont marqué les nombreuses marches à travers le territoire national. Les slogans nombreux, les expressions diverses, les caricatures, les appels à dégager de toutes sortes ainsi que les chants variés ont été les canaux par lesquels la colère et la rancoeur des citoyens ont pu s’échapper pour « faire baisser la pression » et éviter la tentation de la violence. Freud appelait cela la sublimation.

Les appels au calme et à l’apaisement participent à cet état d’esprit. Ceux-ci étaient indispensables, quand bien même le fait d’appeler au calme ne suffit pas à lui seul à conjurer le risque de violence. Cette dernière était dans l’air et les citoyens en avaient très peur. La peur devait être neutralisée, c’était l’objectif. Il faut souligner que des rumeurs insistantes sur de possibles provocations ont circulé sur les réseaux sociaux. Ces rumeurs ont effrayé les sujets les plus anxieux qui ont servi de caisse d’amplification à la rumeur et à la frayeur. Les appels au calme sont donc là aussi (surtout) pour rassurer et tenter de rompre le cycle infernal de la contagion par la peur. La peur est le déclencheur de la violence. C’est donc la première qu’il faut éloigner des esprits pour conjurer la seconde et l’une et l’autre sont par certains aspects contagieuses. Il n’y a pas eu de provocation – le système aurait pu être tenté par cela. Il faut souligner aussi que les algériens ont connu la violence absolue et la folie meurtrière du terrorisme. Chacun se souvient de la décennie noire, et les jeunes, qui sont au cœur de cette dynamique révolutionnaire, ont grandi dedans. Cela ne peut pas ne pas avoir imprimé dans la vie psychique de chacun le souvenir des meurtrissures que cette violence a engendrées. Un véritable traumatisme psychique, sans doute toujours présent et d’autant plus vivace que les printemps arabes sont venus conforter l’idée que toute révolution est nécessairement porteuse de violence et de deuils.

De mon point de vue, les violences subies par le passé et les traumatismes dont elles se sont rendues responsables sont donc également au coeur de cette alchimie qui a produit ce miracle algérien. Il est aujourd’hui certain que l’état d’esprit des algériens a évolué, il sait que le peuple est la source de son propre bonheur.

 

 Les étudiants immigrent, fuient, s’exilent dès qu’ils en ont l’occasion. Cette fuite des cerveaux se fait souvent dans la nostalgie, parfois dans la douleur. Comment peut-on qualifier cette nouvelle violence qu’on se fait, mais qu’on fait également à son pays ?

Les algériens, notamment les jeunes rêvent tous de quitter le pays. Ils ne l’aiment, ils ne s’y sentent pas heureux. Certains, les plus chanceux, obtiennent des visas d’études et partent étudier avec la certitude que leur vie sera ailleurs, d’autres tentent l’aventure et confient leur destin à une embarcation de fortune. Le rêve est le même. Pour les uns et les autres les promesses du pays d’accueil se tiendront. Ils savent que cela ne dépend que de leur désir à entreprendre. Le pays des rêves finit par accepter de les accueillir. Et pour cause, les pays occidentaux – la France en particulier – savent que ces jeunes ont du mordant et qu’ils constitueront une ressource humaine de valeur pour leur vie économique, sans qu’ils aient eu à dépenser pour leur formation. Toute cette ressource humaine indispensable à l’Algérie lui sera perdue. Ces jeunes ne reviendront plus.
De plus en plus de personnes émigrent au Canada ou aux USA. Le nouveau miroir aux alouettes. La Green Card du pays de l’oncle Sam, le rêve américain ; et l’émigration choisie au pays de l’érable, la destination des familles et des cadres universitaires algériens. Les deux pays sont vastes et ont besoin d’être peuplés. Le siphonage de la sève des pays sous-développés, et de notre pays. Mais ces contrées sont lointaines et sont différentes de la nôtre. Nous connaissons mieux la France, nous partageons un « peu de destin » avec ce pays. La France, c’est à côté du point de vue géographique et c’est à proximité du point de vue de l’Histoire partagée. Une vieille émigration, des communautés reconstituées et des soutiens assurés. L’Amérique du Nord? C’est l’exil solitaire – la « plus haute des solitudes » – avec un système social implacable. On y est seul, en tout cas chacun est avec soi. L’émigration est un projet, l’exil est un déchirement, c’est ce qu’il faut retenir. Le premier est peut-être un choix, le second s’inscrit plus souvent dans la contrainte, quand l’individu croit se sentir à l’étroit dans son pays, chez lui, ou croit être plus heureux chez les autres. Peu importe les raisons du départ…

Pour autant, il y a souvent confusion dans les esprits et quelquefois erreur d’appréciation. Alors, le malheur survient, en particulier quand ce qui est attendu du pays d’accueil ne survient pas. Quand c’est la galère et quand les personnes ne retrouvent pas le job qu’elles ont laissé dans leur pays. Elles se retrouvent déstatufiées sur le plan professionnel. L’identité professionnelle constitue un pan de ce que nous sommes et nous y tenons parce que cela participe de notre accomplissement personnel. Quand cette importante identité vole en éclats et que les sujets doivent se recycler dans des activités qui sont en deçà de leurs compétences et de leurs espérances, ils vivent cela comme une mutilation psychologique. Des problèmes de santé, mentale souvent, surviennent. Des couples partent en lambeaux parce qu’ils ne résistent pas à l’épreuve de l’exil. Des soucis avec les enfants, en particulier les adolescents, émaillent la vie de ces familles parce que les parents veulent reproduire le schéma éducationnel qu’ils ont emmené dans leurs valises en quittant leur pays. Ces derniers, les parents, ont oublié qu’ils sont partis aussi pour donner une autre éducation à leurs enfants. Ces contradictions sont déchirantes et ajoutent au traumatisme que supportent ces familles. Un dilemme non compris, en tout cas non assumé. Nombreux sont ceux qui reviennent, déjà malades, avec dans la bouche le goût de l’échec et dans le cœur le regret. Les choses n’auront pas été comme ils les avaient souhaitées. Le rêve américain n’était pas au bout de leur espérance, alors ils se replient dans leur pays. Le retour au bercail est une espèce de retraite. Ils y retrouvent la sécurité mais parfois il est déjà trop tard, le mal est fait.

  • Femmes, enfants et école

 

La parole face aux violences faites aux femmes se libère sur les réseaux sociaux. Pourtant, l’Algérie n’a pas suivi le mouvement #MeToo, et le harcèlement professionnel est plus que jamais d’actualité. Comment peut-on l’expliquer ? Y a-t-il une caution généralisée du harcèlement sexuel dans le monde du travail ?

Si les femmes sont victimes d’agressions, c’est aussi parce que la violence est dans la cité et que celle-ci est entourée d’un silence complice. La femme en paie doublement le prix. Elle en est victime et elle ne peut pas s’en plaindre, en particulier quand il s’agit d’un harcèlement en milieu du travail. La loi du silence étouffe sa voix. Le harcèlement psychologique et/ou sexuel, qu’il se manifeste au travail ou dans la rue, n’est qu’un des aspects des violences faites aux femmes. Mais le harcèlement au travail est dévastateur au plan psychologique. Il est sournois, exercé à huis clos, et prend souvent la forme d’un chantage professionnel qui met la victime dans une espèce de double contrainte, ce qui le rend encore plus traumatisant. Parce qu’elle est dans le désir de continuer à travailler, il lui est implicitement « interdit » de dire que son activité est source de violence.

Des femmes avaient été agressées, il y plusieurs années, à Hassi Messaoud ; il n’y a pas si longtemps, à l’est du pays, une autre avait été immolée par un individu ; la jeune Chaïma a été mutilée et finalement assassinée par son bourreau ; et il y a peu des enseignantes de Bordj Baji Mokhtar et de Biskra sont agressées dans leurs logements. Des agressions perpétrées à l’endroit des femmes par des individus qui ont franchi les interdits sociaux et violé les interdits institutionnels, pour des raisons qui ont sans doute un lien avec la personnalité propre à chacun des agresseurs mais qui ont également un lien avec le climat de violence qui a pris possession de la société. La violence à l’égard de la femme trouve cependant son origine et son amplification dans l’organisation sociale et dans les mécanismes qui régissent la vie en communauté. Ces agressions ne constituent pas des faits nouveaux. Il est toutefois vrai que, depuis quelques années, la femme est devenue le bouc émissaire de la violence qui s’est emparée de la société et la victime expiatoire, quand cette dernière – la violence sociale – doit trouver sa résolution. Il y a une raison principale à cela, c’est l’ambigüité de son statut social et juridique. La loi ne la protège pas assez. J’en veux pour preuve l’injustice qui lui est infligée par le code du statut personnel qui en fait une mineure. Elle peut être juge et rendre la justice, elle peut être avocate et veiller à la bonne application de la loi, elle peut être PDG ou ministre et commander aux hommes, mais elle ne peut pas se marier toute seule, il lui faut un tuteur. Cette contradiction – qui consacre juridiquement l’infériorité de la femme, en violation de la constitution – ne peut pas ne pas fragiliser son statut. Les pesanteurs sociologiques – le patriarcat – et les contraintes et interdits religieux, qui s’y s’additionnent, rendent encore plus précaire ce statut et compromettent davantage son avenir social – sociétal. C’est dans ces conditions qu’elle est l’objet de comportements violents, dans son foyer, dans son milieu du travail, ou encore dans l’espace public. Notre société continue de penser que la femme est « d’emblée » coupable – de vouloir partager l’espace social avec son homologue masculin, qui ne l’entend pas de cette oreille.

Je crois que la pire des choses est de laisser la femme victime de violence souffrir toute seule en lui imposant le silence ou en ignorant son malheur. C’est l’enfermer dans son traumatisme et la déposséder de sa souffrance, et c’est valider l’agression dont elle est victime. Le pire est de lui jeter à la figure une présumée responsabilité dans ce qui lui est arrivé. Le traumatisme psychique est plus grand et son impact sur l’avenir psychologique plus important. Une agression reste dans l’absolu une violence, elle a sans doute son impact, toutefois celle-ci peut être digérée parce qu’elle n’inscrit pas la victime dans la faute (commise). Cette agression « supplémentaire » – le déni de la souffrance de la victime – prend une allure dramatique, en particulier quand elle est justifiée et qu’elle projette la personne agressée dans une présumée culpabilité. Justifier une agression perpétrée sur une femme parce qu’elle travaille ou parce qu’elle est dans le désir d’investir l’espace social est incompréhensible. Cela est d’autant plus traumatisant. Cette attitude culpabilisante de la communauté crée le chaos dans la vie psychique de la victime et compromet, quelquefois de façon définitive, son avenir psychologique. Il est arrivé à des femmes, selon leurs témoignages, d’être objets de réprobation voire de condamnation quand elles ont été déposer des plaintes pour avoir été victimes d’agression. Si tu n’avais pas été dehors, tu ne te serais pas faite agressée ou encore si ton mari ne t’avait pas laissée travailler, tu n’aurais pas été objet de harcèlement sexuel. Nous avons entendu dire que ce qui était arrivé à Chaïma, cette jeune fille qui avait été brûlée, était de la faute de ses parents qui l’avaient mal élevée. Ce genre de propos, quand ils sont tenus par ceux qui doivent faire preuve d’empathie ou assurer la protection des personnes, sont dévastateurs. Ils constituent l’autre violence, beaucoup plus grave que celle infligée par l’agression première. Des propos qui invitent celle-ci à subir et à se taire, le prix à payer pour prétendre accéder à l’espace social et à vivre dans la dignité. Un prix trop cher payé.

 

En 2020, les associations alertent sur la recrudescence des violences conjugales, mais surtout sur le nombre de féminicides qui a fortement augmenté. Qu’est-ce qui peut motiver le passage à l’acte au sein du couple ? et surtout, comment le prévenir ?

 

Je ne sais pas si, durant cette année 2020, il y a eu réellement recrudescence des violences conjugales et si les féminicides ont fortement augmenté. Cela avait en effet été rapporté et lié au confinement qui avait été imposé au tout début de la pandémie mondiale. Cet événement – hors du commun, il faut le souligner – a mis les familles dans un climat de tension en relation avec le confinement et a fragilisé celles qui se trouvaient déjà dans un équilibre sommaire. La situation de promiscuité, dans les logements, imposée par le confinement génère toujours des conflits de territoire et met les individus dans des conditions de pénibilité extrême. L’espace public qui sert de soupape pour réduire ces conflits est interdit, forçant ainsi les conjoints entre eux mais aussi avec les enfants à un face-à-face permanent et fatidique.

Des troubles de l’humeur avec une instabilité émotionnelle et une irritabilité apparaissent chez les uns et les autres et émaillent les relations à l’intérieur des couples et des familles. Des mouvements d’humeur voire des altercations surviennent alors entre les parents et/ou avec les enfants et donnent lieu à des comportements agressifs, voire violents. Le confinement a révélé et parfois exacerbé les passages à l’acte violent ordinaires – coutumiers – dans certaines familles. Des femmes sont victimes de l’agressivité des maris et des enfants subissent les sévices que leur infligent leurs parents. Ce climat de violence familiale insupportable est rendu d’autant plus probable que cette contrainte (le confinement) jette les familles dans les bras de la précarité financière. On ne peut pas rester confiné chez soi, sereinement, si de notre travail journalier dépend le destin de notre famille. Le chef de famille ne peut pas ne pas être contrarié, irrité, en colère, si le fait de rester enfermé à la maison plonge les siens dans l’insécurité alimentaire. Si à la frayeur de l’épidémie s’ajoute la crainte de la faim, la souffrance psychique est d’autant plus grande, avec ce qu’elle peut charrier comme effets néfastes sur l’humeur et sur les relations dans le couple et la famille. Cela dit, la pandémie mondiale et le confinement qu’elle a imposé aux populations n’a fait que révéler un climat de violence latent et une rupture (déjà consommée) du consensus familial et de la relation de couple. A ce stade, la reconstruction du lien me parait ardue, pour ne pas dire impossible.

 

Aujourd’hui, très peu de structures d’accueil sont disponibles pour les femmes victimes de violences, souvent démunies financièrement. Les associations alertent sur le désengagement de l’Etat. Comment ce chantage économique influe-t-il sur la santé mentale des victimes ?      

Une nation éduquée se juge à sa capacité à manifester de la compassion pour les personnes les plus faibles et les plus vulnérables. Les femmes victimes de violence, conjugales notamment, sont de celles-là. Force est de constater que l’État algérien est détaché de ce genre de problème social, sociétal, et qu’il n’apporte aucune aide morale et/ou matérielle à ces personnes en souffrance. Il n’y a rien de pire pour une victime de violence que de se sentir abandonnée par la communauté et par les institutions censées la protéger. Cela est une agression, une violence supplémentaire, je le soulignais. Mais quand l’on voit avec quelle lenteur la justice réagit aux plaintes de la femme victime de violence dans son couple, nous sommes édifiés sur la volonté de l’État d’apporter des solutions définitives à ce genre de situation.

En réalité, les femmes agressées – souvent de façon répétée -par leurs maris ont plus besoin d’une réponse énergique de la loi pour les protéger que de structures pour les accueillir si elles doivent fuir le domicile conjugal. Cela dit, ce genre de foyer d’accueil doit exister,mais si ces endroits doivent accueillir des femmes en détresse, c’est pour une très brève durée, le temps que la personne trouve une solution qui la mette définitivement à l’abri. Si du point de vue du droit, les choses ont aujourd’hui quelque peu évolué, il reste que le dépôt de plainte est toujours plombé par des considérations liées aux habitudes patriarcales et aux pratiques religieuses.

L’opprobre est jeté sur la femme qui dépose plainte contre son propre mari, elle fait honte et apporte le déshonneur à sa famille. Elle entre au commissariat de police comme une victime, elle en ressort comme une coupable, et l’autorité publique, la justice également, l’invite implicitement à renoncer à déposer sa plainte. Quant aux difficultés financières dans lesquelles se débat la femme qui quitte son foyer, l’État n’a rien prévu pour lui venir en aide. Des hommes de lois, nombreux, ont eu à soulever ce problème. Ils ont demandé aux autorités judiciaires de mettre en place un budget dédié aux femmes qui seraient dans le besoin. Cela n’a pas été entendu. En attendant, le mouvement associatif et le bénévolat sont impuissants face à l’ampleur de la situation. Les associations peinent, elles-mêmes, à survivre aux difficultés endémiques qu’elles rencontrent. Si les cellules d’écoute existantes peuvent momentanément apporter un apaisement à la souffrance de ces femmes, cela ne suffit pas à leur redonner le bonheur et à restaurer le sourire sur leur visage.

 

Vous décrivez l’école comme une institution gangrénée par les politiques d’arabisation et d’islamisation. Avez-vous un mot sur les violences psychologiques, le décrochage scolaire ou encore le harcèlement scolaire ?

 

L’école algérienne a perdu son caractère républicain. Elle ne prépare plus les enfants à être des citoyens soucieux de leurs devoirs et conscients de leurs droits. Elle ne les prépare pas à être des adultes critiques, capables de s’interroger, de se poser des questions sur ce qui fait leur existence, et des personnes en mesure de se forger un libre arbitre, d’en débattre dans la sérénité et la tolérance.

L’école algérienne enferme l’esprit des enfants dans des certitudes toutes faites, dans le dogme, et leur interdit d’accepter l’opinion différente ou contraire. Or un esprit emmuré dans des croyances dogmatiques n’entend pas l’altérité et ne discute pas ce qu’il croit être la vérité absolue. Il perd les attributs qui font de lui un être social, capable de compromis, il est rigide et violent, et quand il est contrarié il passe à l’acte agressif.

L’école algérienne ne forme pas les esprits, elle les bride et les fanatise. Elle est une fabrique d’intolérance et est d’une certaine façon la courroie de transmission de la violence, en particulier celle à l’égard de la femme. L’enfant auquel on apprend avec quelle longueur de bâton l’homme doit battre sa femme ou encore de quelle façon lapider ou égorger une femme qui se rend coupable d’adultère ne peut pas demain ne pas considérer la petite fille qu’il fréquente sur les bancs de l’école comme une coupable potentielle, et devenir violent à son égard quand ils seront devenus des adultes.

Cette institution de la république doit cesser de distiller le venin de l’intolérance vis-à-vis du sujet du sexe féminin en faisant d’elle un être pervers, source de toutes sortes de vices, un diable qu’il faut combattre en permanence et auquel il faut fermer voire interdire l’espace public. Pour faire prévaloir les valeurs de tolérance, l’école doit être débarrassée du carcan idéologique dont elle est l’otage pour redevenir un espace où le questionnement et l’apprentissage constituent la préoccupation essentielle. C’est à l’école que revient la mission d’insuffler à l’élève, citoyen de demain, les valeurs d’égalité entre les deux sexes, et c’est sur les bancs de la classe que le petit garçon doit d’abord apprendre à respecter la petite fille qu’il côtoie quotidiennement.

Mais cette école ne compromet pas seulement la citoyenneté de l’adulte de demain, elle interdit aussi à l’intelligence de l’enfant de s’exprimer et elle ferme son esprit à l’apprentissage. Elle lui fait perdre l’intérêt pour le savoir et éteint sa curiosité, elle le conduit vers l’échec scolaire. Une telle école ne peut qu’être désinvestie, mal-aimée. C’est dans ces conditions que l’on voit apparaitre chez l’enfant de l’absentéisme, des comportements délinquants avec des actes de racket, de harcèlement et de violence physique perpétrés sur les camarades, fille ou garçon, ou sur les enseignants.

 

Dans plusieurs régions, un manque d’effectif enseignant est déploré, pourtant, l’opinion publique a récemment été choquée par l’agression des enseignantes de BorjBaji Mokhtar. La violence faite à ces enseignantes n’est-il pas avant tout une violence faite aux élèves et au développement de la région toute entière ?      


Il faut souligner que ces femmes ont été agressées parce que ce sont des femmes, ici de surcroit des femmes qui vivent seules, sans la présence de l’homme. Cela fait d’elles des personnes vulnérables, sans protection, des proies potentielles, mais sans doute aussi – je pense que c’est une arrière-pensée qu’il faut évoquer – des femmes aux moeurs légères. Il s’agit d’un préjugé, un cliché communément répandu et qui prévaut dès lors qu’une femme travaille et évolue seule et librement dans la cité, sans la présence de l’homme, son tuteur et son protecteur. Chacun sait que dans notre société, la présence de la femme dans l’espace social, dans la rue, au travail, à l’université…, est vécue comme une espèce d’intrusion et une agression d’autant plus intolérable que celle-ci (la femme) manifeste une certaine indépendance d’esprit et revendique plus d’autonomie et de liberté.

Par ailleurs, je constate que l’agression de ces enseignantes n’a pas soulevé l’émoi que nous avions observé, il y a quelques années, quand les deux enfants de Constantine avaient été assassinés. On s’en souvient, la population avait été gagnée par l’effroi et les pouvoirs publics s’en étaient indignés. La peine de mort avait été demandée pour punir les coupables, la lapidation et/ou la pendaison sur la place publique avait été exigée par une population « chauffée à blanc ». Le code pénal avait été amendé et l’article 293 bis ajouté au code pénal pour y inclure la peine de mort à l’encontre des assassins d’enfants. Sans doute, il faut punir les agresseurs d’enfants mais j’aurais voulu que la même émotion gagne la société et qu’une réaction plus déterminée des pouvoirs publics se manifeste à la suite de l’agression des neuf enseignantes. Cela n’a pas été le cas, je le déplore. Je crois que c’est dans ce silence de la société et la formelle réaction de l’État qu’il faut tenter de décoder les motivations qui ont amené à cette agression et le sens à conférer à cette violence à l’endroit de ces enseignantes.

Force est de croire que ce silence vaut banalisation de cet événement. Ces femmes ne pouvaient pas ne pas être agressées dès lors qu’elles évoluaient dans l’espace public, c’est la lecture qu’il faut en faire. Mais si la femme n’est pas en sécurité dehors, c’est aussi parce que l’ordre social ne lui offre plus la protection qui lui est due, du fait de la crispation de la société sur des valeurs qui ne servent pas toujours le désir d’émancipation de la femme. Il est évident que le climat d’insécurité dans lequel travaillent ces femmes peut porter préjudice à la région et à la scolarité des enfants, si ces enseignantes venaient à quitter. Mais est-ce vraiment le souci de la population de cette contrée ? Si cette agression a été rendue possible, c’est parce que ces femmes ne bénéficiaient pas de la protection (au moins symbolique) de la communauté. J’en veux pour preuve l’absence d’empressement de la population à manifester son indignation et sa solidarité à l’égard des victimes et la molle réactivité des services de sécurité pour arrêter les responsables du forfait. Force est de constater que si la violence se manifeste, c’est parce qu’elle est rendue possible par la complicité des autres. La présence de ces « femmes sans homme » nuirait à la quiétude du quartier.

  • Soins et crise sanitaire

La crise du coronavirus a révélé les faiblesses du système sanitaire algérien. Comment vit-on la pandémie lorsque nous sommes impuissants face à la maladie ?
Le système sanitaire algérien est délabré depuis plusieurs années et les algériens ont beaucoup de difficultés à accéder à des soins de qualité dans les structures publiques. Cela est notoire. Tout le monde s’accorde à dire – y compris les autorités sanitaires – que notre système de soins est obsolète et qu’il a besoin d’être revu de fond en comble. Il faut, bien sûr, faire preuve de lucidité et envisager cette refonte (refondation ?) en mettant au centre des préoccupations le coût de la santé, en particulier le coût des prestations servies au citoyen. La santé n’a pas de prix mais elle a un coût, et il faut l’évaluer en tenant compte de l’environnement économique national et de l’équilibre des budgets des caisses de sécurité sociale. Il n’y a pas de raison que le kilogramme de viande soit multiplié par 15 depuis le milieu des années 80 à ce jour, et que le coût de la prestation médicale reste en l’état. L’inflation concerne tous les aspects de la vie économique. L’arrivée de la pandémie covid 19 n’a fait que révéler davantage les difficultés qu’éprouvent nos structures de soins à répondre à la demande, en particulier quand cette demande est massive et soutenue.

Les malades savent déjà que leur quête de soins peut ne pas être satisfaite, dès lors, leur crainte ne peut que s’amplifier. A plus forte raison quand il s’agit d’une situation nouvelle, hors du commun, comme la pandémie présente. Une situation effrayante et qui a mis en émoi la planète toute entière. Quand le sujet est confronté à la mort, la sienne ou celle d’un proche – c’est le cas concernant l’épidémie covid 19 – tout bascule. Son sentiment de sécurité intérieur est ébranlé, l’effroi le pénètre et ne le quitte plus. La peur prend possession de sa personne et sa vie n’est envisagée qu’à travers le prisme déformant de celle-ci. La mort est tout le temps présente à l’esprit du sujet, laquelle mort est rendue inéluctable parce que celui-ci pense qu’il ne bénéficiera pas des soins qui lui sont nécessaires. Cette angoisse indicible fait suite à tous les événements graves auxquels peut être confronté un sujet, une agression, un viol, un accident de la voie publique…etc. lesquels événements remettent tous en cause les éléments psychiques sur lesquels le sujet a fondé son sentiment d’invulnérabilité et la permanence de la vie. Tous deux seront définitivement effondrés et très difficiles à reconstruire. Le traumatisme psychique qui s’en suivra sera pour le sujet un fardeau lourd à porter et la souffrance qu’il ne manquera pas d’engendrer constituera son viatique de rigueur. 

Pour finir, quelle est la place de la culture face à la violence ? Comment l’art et la culture peuvent –ils sauver l’homme de la violence sociale ?    


Il est indéniable que la culture et les arts – la musique, la peinture, l’expression théâtrale, la danse, etc. – apaisent une société et la rende moins violente. Mais la culture n’est pas synonyme seulement d’ouverture de l’esprit aux arts et à l’esthétique, elle est aussi sensibilité à la souffrance d’autrui et compassion vis-à-vis des personnes en détresse. Elle est également tolérance aux opinions différentes. La culture fait de l’individu un être capable d’abandonner son individualisme et de prendre de la distance par rapport à ses préoccupations triviales, pour s’élever au statut de citoyen, solidaire de sa communauté, attentif à la souffrance ou aux joies l’autre et soucieux du destin commun. La culture interroge l’individu dans ce qui fait son humanité et questionne la communauté toute entière non pas seulement sur les règles et la morale qui doivent prévaloir dans la vie sociale mais également – et surtout – sur ce qui fait l’essence même de toute société. La culture est,en réalité, ce sur quoi reposent les fondements de la société humaine : la solidarité, l’empathie, la compassion, l’altruisme, en somme l’éthique sociale.Des fondements qui garantissent la permanence des relations mutuelles dont a nécessairement besoin une communauté pour vivre dans l’harmonie, l’apaisement et le bonheur ; des valeurs autour desquelles se cristallise naturellement l’engagement de la société civile – et du monde de la politique – pour construire le bien-être commun et pour garantir le soutien et la protection du groupe social pour chacun de ses membres, en particulier pour les plus vulnérables. L’accès à la cultureconfère son importance à la vie humaine et force au respect de celle-ci, et c’est cela qui crée le climat favorable au partage et au don de soi et qui fait qu’une société est heureuse, tolérante et sans violence.     
L’émancipation de la femme, une caractéristique ou plutôt un des fondements des sociétés cultivées, contribue à l’apaisement de la société et à l’atténuation de la violence sociale. Encore faut-il comprendre le sens à donner à cet état d’esprit.

Ce qui est sûr est que cette émancipation doit concerner simultanément toute la société. Le désir de se libérer, de la femme, ne suffit pas à lui seul pour faire avancer toute la communauté. Son homologue masculin doit être dans le même état d’esprit. Il doit accompagner la femme dans son désir d’être son égale. Ce mouvement d’évolution doit naturellement traverser toute la société, faute de quoi le désir d’évolution de la femme sera au mieux une chimère, au pire une caricature qui va l’emprisonner dans les clichés qui font d’elle une femme aux mœurs dissolues. Toutes les sociétés évoluent ; elles le font à leur rythme, selon l’audace dont font preuve les gouvernants. La décision politique est indispensable pour faire avancer les choses et la place de la femme dans la société dépend de la volonté des pouvoirs publics à la promouvoir et à la protéger. En Algérie, nous sommes dans la contradiction permanente. La constitution fait de la femme l’égale de l’homme, elle lui donne l’accès au travail, au même titre et lui réserve la possibilité de s’investir dans l’action politique ; le code de la famille, je le soulignais, en fait une mineure qui dépend d’un tuteur. Ces contradictions constituent un frein pour son émancipation, lequel frein ne peut être desserré par la femme seule, quand bien même elle est dans ce désir. Les contradictions observées dans les textes de loi qui régissent la cité constituent la première violence – institutionnelle – qui est faite aux femmes. C’est de ces contradictions « légales » que se nourrit la violence dont est victime la femme. Si la femme est sous la tutelle de l’homme, ce dernier ne peut qu’exercer ce droit, même à passer à l’acte violent. C’est la culture qui prévaut. Pour autant, la culture est un antidote à la violence, car elle nous invite à la compréhension d’autrui et féconde la tolérance, en nous incitant à partir à la rencontre d’autres imaginaires et d’autres cultures, (Renaud Donnedieu de Vabres, homme d’État, homme politique, ministre).

 

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