Le bonheur, un vrai jeu d’enfants
Les enfants sont de grands sages et ils ont beaucoup de choses à nous apprendre. Espiègles et insouciants, ils montrent pourtant, à ceux qui prennent la peine de les observer, la voie oubliée du bonheur. On serait tenté de croire que la joie de vivre toute naturelle de ces bambins vient du fait qu’ils soient libres comme l’air et qu’ils ne supportent le poids d’aucune responsabilité. C’est loin d’être vrai. Malgré les apparences, leur vie est presque aussi chargée et aussi contraignante que celle d’un cadre d’entreprise, le salaire et les primes en moins.
Se rendre à l’école chaque matin, subir le stress des examens, la pression des enseignants, les remontrances des parents, être tout le temps en compétition avec ses camarades et devoir demander la permission pour le moindre déplacement, c’est globalement la vie normale d’un enfant ordinaire. Pas de quoi frimer devant un adulte. Malgré tout, les enfants savent être heureux chaque jour que Dieu fait. Ce n’est donc manifestement pas à cause d’une vie dénuée de tracas qu’ils se maintiennent invariablement sur la trajectoire du bonheur. La vraie raison est ailleurs.
Une étude de l’université d’Harvard (Etats-Unis) publiée en 2010 nous offre un début de réponse possible. Selon cette étude consacrée au bien-être, il a été constaté que durant presque la moitié du temps, les gens pensent à totalement autre chose, lorsqu’ils s’adonnent à une activité en particulier. Les psychologues auteurs de cette enquête sont allés loin dans le détail. D’après eux, les gens ont l’esprit ailleurs pendant exactement 46,9% du temps consacré à une activité.
Ce qui capte l’attention, c’est que l’étude établit un lien direct entre le bonheur est le fait d’être pleinement concentré sur ce que l’on fait, autrement dit, être en pleine conscience du moment présent. Ce n’est pas pour rien que l’étude porte le titre: « un esprit distrait n’est pas un esprit heureux » (A wandering mind is an unhappy mind).
Avant de tomber dans les malentendus, apportons cette précision: une expérience désagréable restera une expérience désagréable et la vivre pleinement n’en fera pas un moment doux. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il est question plutôt de moments ordinaires de la vie que nous laissons souvent s’échapper. C’est comme si on nous disait que les moments neutres de notre quotidien, dans leur simplicité, étaient faits pour être agréables, l’absence de mauvaise nouvelle étant en soi une bonne nouvelle. En d’autres termes, une vie même très ordinaire pourrait être une belle expérience si l’on parvenait à se détacher des tourments du passé et de la peur du futur. Mais qui peut le faire?
Les chercheurs d’Harvard qui ont ciblé un public essentiellement américain seraient parvenus à des résultats chiffrés bien différents s’ils avaient effectué leur sondage dans un pays moins développé. Un pays, par exemple, de ce vaste tiers-monde où les soucis du quotidien sont légion et où avoir l’esprit ailleurs est une variable, osons le dire, invariable.
Les enfants, eux, quel que soit leur pays, semblent savoir parfaitement comment s’y prendre avec l’instant présent. Ils le vivent, simplement. Ils le savourent, se déplacent avec lui au rythme naturel des minutes et des heures, occupant chaque moment comme on occuperait un îlot isolé.
Vous ne trouverez jamais un enfant normalement constitué ruminant les échecs du passé ou s’interrogeant sur ce que lui réserve l’avenir. L’enfant est juste là, au présent, au moment où, tout autour de lui, des adultes, silhouettes indécises, vivent soit dans un passé révolu soit dans un futur, souvent improbable. De temps à autre, ils parviennent à atterrir dans le présent, brièvement, le temps d’un dîner en famille, d’une promenade sous le soleil ou d’une bonne conversation. Mais le plus souvent, le contrôle leur échappe.
Parmi ces adultes, il y a, néanmoins, quelques chanceux qui savent faire durer les moments de plaisir. Généralement, et on les croise souvent, ce sont les personnes qui ont une passion.
Qu’elles soient férues de lecture, de sport ou de bricolage, ces personnes, en faisant ce qu’elles aiment, ressentent de la joie. L’explication la plus simple aux émotions positives que leur procure leurs passions est que ces gens se sentent bien parce qu’ils font ce qui leur fait vraiment plaisir. Mais à côté de ce constat évident, on pourrait tenter une explication en inversant les choses. Peut-être est-ce parce que nos passions nous permettent d’être conscients du moment présent et de le vivre vraiment que nous les apprécions. A méditer…en prenant son temps.
L’idée du bonheur à travers la pleine conscience du moment présent n’est pas nouvelle. Des philosophies ont été fondées, des recherches menées et des livres écrits autour de ce concept. Tant d’efforts pour confirmer, en réalité, ce que nous savions déjà et que nous avons oublié. Une sorte de faculté que nous possédions en étant enfants et que nous avons perdue entre deux âges.
En devenant adulte, nous avons appris à nous concentrer sur ce qui nous semblait prioritaire. Ainsi, un adulte sait toujours ce qui est important, un enfant, lui, connaît ce qui est essentiel.
Mais tout ce que nous apprenons sur cette question restera théorique si nous ne passons pas à l’action. Concrètement, nous pourrions commencer par consacrer un peu plus de temps à nos passions, aux personnes qui nous sont chères, faire un peu plus ce que nous aimons, chaque jour. Et si nous parvenons à devenir de vrais passionnés, nous pourrions alors envisager de passer au niveau supérieur, celui que nos enfants maîtrisent. Pour y parvenir, il suffit de les observer et de réapprendre… Faisons-leur confiance, ce sont de grands sages.
Les liens en rapport avec l’étude de l’université d’Harvard: