« Molière m’a tuer » : Mort au champ d’honneur de la langue

Certains romans intiment de les écouter dès les premières lignes. Celui-ci s’ouvre sur une entrée en matière d’expérience de prénom commun et mal vécu, mais vite en écho avec l’Histoire du pays et des humiliations de la colonisation, au point d’installer une empathie immédiate. L’auto-fiction s’élabore en arborescence constante dans des temporalités multiples, puis autour de problématiques de la création littéraire et « les interactions entre l’auteur et son personnage »… Dans un flux  et reflux de réflexions autour d’une galerie de personnages et d’une narration labyrinthique, de quoi y perdre son sang-froid et sa langue de bois. Pendant ce temps sinueux, les pseudonymes du fameux prénom versent vers une « bipolarité » en mal de territoire. Nous l’aurons compris, tout converge vers des questions existentielles de l’auteur devenu réceptacle d’une polyphonie obsédante. Des histoires se dévoilent à travers un foisonnement de références littéraires, de renoncements, de doutes qui ne sont sans doute que prétextes pour découvrir d’autres mondes qui nous ressemblent ou/et nous divisent. Ici, l’autodérision et l’ironie de l’auteur s’accordent la part belle dès le Prologue et adressent pieds de nez et bravades aux partisans de certitudes dogmatiques. Et les pantalonnades savantes se poursuivent comme une invitation dans « La Maison des personnages », préalable à une succession de portraits chinois élaborés à coup de titres de romans et de films en zoom et plans serrés. Sur ce tapis rouge de célébrités de la Société des Gens de Lettres, un défilé de personnages où « Nedjma » côtoie « Cosette » et « Don Juan ». Difficile de résister à ce voyage exigeant et impertinent en 4 parties ou partitions et « coda » des héros de la littérature mondiale » insufflés par le personnage Larbi. Ce tourbillon  plante le théâtre d’existences en huis clos et élucubrations savantes qui ne cessent d’osciller entre réalité (s) et fiction (s) où tous les genres se mutualisent. Le lecteur frôle souvent le vertige, mais sans doute est-ce là l’intérêt et la finalité de l’ouvrage.

Dans l’une des quatre parties, l’auteur revient sur son projet initial ambitieux d' »essai-fiction de l’avènement de l’Islam jusqu’à nos jours ». Mais la réalité immédiate le rattrape pour lui rappeler des factualités plus urgentes sur une station de Radio parisienne avec des journalistes notoires. Une histoire en engendre une autre, les dialogues s’échauffent sur la création artistique, avec la littérature toujours au premier plan qui en rajoute, sans parler des éditeurs qui refusent de s’en laisser conter. Quelques figures émergent qui donnent le ton comme le «  »Don Quichotte » sur une « Bicyblette bleue » », ou des phrases célèbres de Kundera, du philosophe Derrida et du linguiste Saussure qui ne doivent pas décourager le lecteur lambda puisque « la petite Sirène » n’est jamais bien loin de Larbi. Pour exemple, une séquence joue sur les mots et règlent des comptes d’apothicaires par le truchement d’acteurs humoristes bien vivants comme Fellag, avec pour point d’orgue ou d’oud, une « Marseillaise en youyou majeur » et enchaîne sur un concepteur d’ameublement mondial  « art déco » aux accents pro-nazis… Décidemment les avatars littéraires de ce roman dépasse les frontières de la fiction et de la pensée décente! Le procédé interpelle et amuse beaucoup puisqu’il pousse le raisonnement très loin, dans ses retranchements où « le carré blanc » de la censure semble grippé ou enrayé. En dépit de cette piste aux étoiles de références, de personnages et de phrases cultes, plus intrigantes les unes que les autres, l’histoire progresse en circonvolutions échevelées.

Avec Salah Guemriche, on sait que les mots voyagent autant que les personnes depuis la nuit des temps. Ici, ce sont les personnages et leurs auteurs qui bavardent à bâtons rompus sans contraintes spatio-temporelles, ni complexes de genre. Une Conférence des Oiseaux version 21eme siècle où  le poète persan ne reconnaitrait pas les siens et où Platon y perdrait son grec nous embarque vers des univers interactifs. Une impression d’être mené en bateau,  pour une découverte de continents  du non-dits ou de mirages non élucidés. De Jeux de piste en QCM littéraires et rebondissements, parfois réflexions irrévérencieuses, le lecteur se perd et se relève devant de tels défis! Sans parler depuis le début, du titre obsédant connoté par un fait divers devenu une affaire judiciaire hors norme: « Omar m’a tuer ».  Mais « Que diable allait-il faire dans cette galère? » a-t-on envie de crier avec Molière si molesté dans cette ébouriffante intrigue où les excès en matière d’écriture de la société actuelle et virale ne laissent personne indifférent. Dans ce livre où la parole vent debout s’affranchit des règles de bienséance, cédons au charme de sa découverte.

A chacun de trouver son Graal dans cette épreuve ludique et savante, car l’intérêt ne retombe jamais et la causticité de l’auteur joue un effet contagieux très inattendu.

 

Salah Guemriche, Molière m’a tuer. L’homme des accords déviants, , éditions Franz Fanon (Algérie), septembre 2022 ; éditions Altava, Paris, 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *