« Les folles nuits d’Alger » : Au royaume de la castration…

Les Editions Frantz Fanon viennent de faire paraitre un ouvrage qui a connu, il y a quelque temps de cela, une bien courte vie. Ou devrions-nous plutôt dire faire « réapparaitre » un écrit « fantôme » pour beaucoup, mais réel pour certains qui l’auraient lu, et pour d’autres qui en ont juste entendu parler sans pouvoir le lire car trop vite disparu des étals. « Ecrit sous le règne de Boumediene et racontant de l’intérieur les intrigues sulfureuses de son harem politique, il a immédiatement été saisi par la sécurité militaire à sa sortie ».  Il s’agit de Les folles nuits d’Alger du fameux auteur/mystère Mengouchi qui en a connu plus d’une spéculation hier, et qui continue encore aujourd’hui d’en connaitre. « Attribué tantôt à Chérif Belkacem, tantôt à son épouse suédoise en vertu de leur grande proximité avec le Président, son véritable auteur n’a jamais été révélé et reste un mystère jusqu’à nos jours », lit-on sur la quatrième de couverture de cet écrit dont le contenu serait également un mystère pour les plus puceaux d’entre les lecteurs qui auront du mal à décoder les personnages qui se cachent derrière ce conte des mille et une nuits transformé en un conte d’un tout autre genre. Mais les plus avertis d’entre eux, ou ceux qui auraient entendu des bribes de ce qui se tramerait derrière les murs de ce palais aux mille éclats et éclaboussures, sauront le décoder, lire entre ses lignes et ainsi mettre un nom et un visage derrière chaque personnage qui jouerait le rôle de Haroun, Shehrazade, Suleyman, ou encore Don Quichotte et autres comparses. Dans cette bande originale d’un film oscillant entre fiction et réalité qui ne dit pas son nom mais que certains proches du sérail d’antan connaissent par cœur à force de rembobiner la machine, le narrateur va faire défiler tout au long de ces  200 pages des séquences parfois burlesques, parfois tragiques, tantôt pudiques, souvent cyniques et dévergondées « des folles années d’Alger, jouées en lumière tamtamisée et valsée en Andalou dans le patio principal, chamarré comme à la fête d’indépendance de guirlandes de gui irlandais ».

Cette nouvelle édition est préfacée par Bachir Dahak. Le livre raconte, selon le préfacier, « cette période si riche en mystères et en cabales au cours de laquelle, paradoxalement, l’Algérie traverse fièrement ses plus mémorables batailles diplomatiques entre le Sommet des non-alignés de septembre 1973 et la Session extraordinaire de l’ONU en avril 1974 ». Mais ce sont surtout ces folles rumeurs de couloirs, ces innombrables intrigues de palais, ces nombreuses affaires de mœurs ébruitées ici et là qui sont au cœur de ce récit qui fait émoustiller les papilles gustatives dans un décor somptueux fait de marbre et de zellige sous des lampes vénitiennes. Le tout orchestré par un ensemble d’eunuques et de castrés au service de sa royauté qui n’avait de cesse de répéter à qui voulait l’entendre – ou ne voulait pas – : « Mon Empire  ne connaitra jamais de décadence ni de déclin, car la révolution de la castration nous préserve de la débauche, de la luxure et du stupre qui ont inéluctablement fait chuter les autres Empires ! » En parallèle à ce récit-fiction qui en étourdirait plus d’un par son oscillation entre frasques et extravagances, non sans nous faire tomber au plus bas des tréfonds, le préfacier semble vouloir aiguiller le lecteur en dévoilant quelques-unes des mystérieuses insinuations qui se cacheraient entre les lignes d’un Mengouchi qui ne semble pas exempt d’une autocensure puisqu’il n’ose pas appeler le chat par son nom, ni mettre les choses dans leur véritable contexte. Une liberté d’expression qui a l’air de faire défaut à l’auteur et que Bachir Dahak s’octroiera en rappelant « cette période essentielle dans l’histoire récente du pays, celle du milieu des années soixante-dix », histoire de remettre le lecteur dans « l’ambiance délétère des rumeurs les plus glauques que les journalistes des organes de presse commentaient dans les bars, sous message codé, en gardant un œil vigilant sur tel ou tel personnage du comptoir, évitant de paraitre expansifs car « le rire dans l’Empire de Haroun avait péri depuis pire lurette » ».

Une lecture qui pourrait vous amener à vous poser des questions : Le pire est-il derrière nous ? Le rire est-il permis aujourd’hui ? Où en sommes-nous de cette liberté d’expression…?

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