Mahjoubi Aherdane : un amazigh debout
Mahjoubi Aherdan vient de nous quitter. C’est un siècle de lent, long, douloureux mais tenace et généreux combat pour Tamazgha qui s’éteint. Si les mots constance, détermination et fidélité devaient avoir un sens, il serait l’un de ceux qui les aura le plus symbolisés. J’ai rencontré Mahjoubi Aherdane la première fois avec Mouloud Mammeri en 1968. Il venait exposer ses peintures à la galerie de l’avenue Pasteur; car, en plus d’être un éminent homme politique, Aherdane était aussi peintre et poète. A l’occasion du même déplacement, il demanda à visiter la Kabylie. Il fut invité à Yakourène et en tant que membre de l’armée de libération du Maroc, il fut reçu par une délégation d’anciens maquisards parmi lesquels figurait Cheikh Youcef Yalaoui qui se déclara heureux et honoré de recevoir un digne fils de « Al Maghreb Al Arabi ». Sans attendre la fin du speach de bienvenue, Aherdane coupa son hôte avec sa manière : rude et directe pour dire : « Ini-d Al Maɣrib amaziɣ, dis le Maghreb amazighe. » Le vieux Cheikh Youcef défaillit. Sous Boumediène le mot berbère ou amazigh était synonyme de sédition ou même de trahison. C’était Aherdane. Quand il s’agissait d’amazighité, il n’y avait place ni pour les calculs politiques, ni pour les élégances protocolaires ni même pour les précautions diplomatiques. Dans une monarchie surfant sur les clivages ethniques et politiques, Aherdane qui fut plusieurs fois ministre, sut demeurer fidèle à ses origines, ses convictions et rester debout, quitte à exposer sa famille comme lors de l’emprisonnement de son fils Ouzzine quand celui-ci lança la revue Amazigh.
Tant que lui et Mohamed Chafik, cet autre monument du combat amazighe, pouvaient encore recevoir, je n’ai pas manqué une seule occasion de leur rendre visite lors de mes passages au Maroc. Aherdane était un puits de science qui rayonnait par sa simplicité et sa droiture. Il fait partie de ceux dont l’engagement vertueux rend meilleurs les autres. On aimait le côtoyer car on apprenait et on était mis en confiance. Je n’ai jamais senti un seul instant qu’il y avait une frontière ou une nationalité qui me séparait de lui. Il savait que Tamazgha est le sol de nos racines et le sel de notre âme. Son apport à notre culture est immense. Ce patrimoine sera la source qui assouvira les soifs de nos mémoires de générations en générations. Il y a des gens dont la vie est plus qu’une existence personnelle : c’est un miroir qui reflète et fait vivre les vérités interdites aux peuples.
A son fils Ouzzin, à Meryam Demnati, à Ahmed Assid et toutes celles et ceux qui ont eu le privilège d’approcher l’homme et le militant et qui ont su lui offrir de son vivant l’irremplaçable bonheur de la transmission accomplie, je vous dis qu’en ce jour, nous sommes tous orphelins de l’Amghar qui nous regarde de là haut. Mais je crois qu’il va reposer en paix car il sait que de la même manière que nous avons honoré son combat hier, nous saurons être dignes de sa bienveillance aujourd’hui et demain.