Nabil Asli, cet élégant provocateur
Rares sont ceux qui reconnaissent en eux leur propre vocation étant très jeune, pourtant, Nabil Asli l’a fait. Il s’est vite imprégné de la vie théâtrale et a commencé à creuser ses sillons vers une carrière professionnelle pour être ensuite l’héritier légitime des plus grands acteurs et comédiens de son pays, l’Algérie.
Des planches à la caméra, le parcours de Nabil Asli a été ponctué de réussites, de brillances et de reconnaissances, mais quel en est le secret ? Bertolt Bercht disait toujours que « la provocation est une façon de remettre la réalité sur pied », la cerner, la contenir, voire la soumettre aux caprices du talent. C’est dans cette perspective que la carrière artistique de Nabil Asli s’inscrit. Connu par ses rôles osés, traitant de différents traumatismes de la société algérienne, ceux que cette dernière s’efforce de dissimuler pour légitimer ses pratiques insensées. Mais Asli, lui, il les dévoile, les met à l’écran pour forcer le spectateur à s’accepter et accepter la partie qu’il veut à tout prix repousser aux fins fonds de sa mémoire.
Né à Tipaza, le dakyous des Algériens a fait ses premiers débuts dans le théâtre avec des associations pour rejoindre ensuite le Théâtre National d’Algérie et décrocher son diplôme en Arts du spectacle de l’Institut National des Arts dramatiques de Bordj El Kiffan. En plus de son talent de comédien et acteur, Nabil Asli ne s’est pas contenté de camper des rôles, il s’est même lancé dans la mise en scène et l’écriture dramaturgique. C’est en 2009, à travers Harragas, avec Merzak Allouache, que Asli se révèle et inaugure une nouvelle ère dans le cinéma algérien, faite de liberté et de dissidence contre toute forme de censure et d’autocensure. Depuis, se rebeller contre le tabou, le silencieux et le honteux est devenu sa marque de fabrique et les rôles qu’il a eu y sont souvent rattachés.
Alternant longs et courts métrages, Nabil Asli a joué dans différentes productions cinématographiques : Normal, Khoya, Le Repenti, Kindil el Bahr, toutes des œuvres marquantes. « Ce que j’essaye de faire, c’est de ne pas faire la même chose à chaque fois, de ne pas tomber dans le stéréotype, ce qui est pour moi le pire ennemi d’un acteur. Dans la comédie comme dans le drame, j’essaye de choisir ce que j’appellerai un rôle de composition. Là où j’ai une expérience de jeu, quelque chose à exprimer vraiment. Premier rôle ou non, je veux simplement pratiquer mon métier », a-t-il déclaré.
Si l’art arrive à véhiculer un message pouvant changer le cours des événements, la censure quant à elle met fin à toute ces tentatives. En Algérie, patrie de la censure, du rejet et de la négligence, beaucoup d’artistes se perdent dans la complaisance et sacrifient leur talent sur l’autel de leurs ambitions. Mais Nabil Asli n’entend pas les choses de cette oreille. Bien que conscient que les artistes de son acabit forment un potentiel danger sur « l’ordre établi », qu’il soit politique, moral, social ou autre, il ne cherche pas son épanouissement artistique en dehors de cette perspective « d’engagement ». Dire et faire d’autres choses, autrement. Interroger, contester, s’insurger, douter, provoquer, mais toujours avec élégance. Dans Kahwat El Gosto, et Journal El Gosto, deux émissions phares, qui ont eu un succès phénoménal dans les milieux juvénile depuis les années 2012-2013, il a su dire toute l’opacité du système politique algérien, les travers de la société, les vices, les luttes des clans, avec une simplicité dont la beauté et la puissance happent les âmes les plus arides. Il a aussi joué avec brio le rôle de terroriste, rôle peu prisé en raison des représentations politiques inhérentes au terrorisme qui gangrènent l’imaginaire de la société algérienne, dans Le Repenti et dans Le parfum d’Algérie et su restitué l’horreur et la terreur qui meublait le quotidien des Algériens et rappeler ainsi aux oublieux que l’islamisme assassin n’est pas une vue de l’esprit, encore moins une conjuration anti-islamiste.
D’ailleurs, pour son travail à la fois rigoureux, original et politiquement osé, Nabil Asli a essuyé plusieurs censures dont la toute dernière remonte à moins d’une année. Il s’agit en effet de sa célèbre série humoristique Dakyous Ou Makyous réalisée avec son ami Nassim Hadouche, qui a été censurée pour des raisons inconnues par l’acteur lui-même. « Nous avons essayé d’élargir le concept de cette série et avons introduit de nouvelles modalités artistiques. Nous avons même fait appel à un grand réalisateur, Mohammed Gock, celui qui a réalisé le feuilleton Machaâir ainsi que Tilka El Ayama censuré à son tour », a-t-il expliqué à cette fâcheuse occasion, regrettant ainsi la démarche des parties responsables et leur silence total ainsi que les rumeurs calomnieuses à l’égard du producteur tunisien de la célèbre série.
Cette censure, loin d’être banal, a visé non pas seulement le contenu de la série qui, pour rappel était politique, mais aussi l’artiste dont on a voulu briser la carrière pour son audace jamais démentie. « Je me sens méprisé dans cette nouvelle Algérie, ainsi que les quelques 40 comédiens qui nous ont accompagnés : qui va les payer et pourquoi sont-ils privés tout comme nous de dévoiler leurs talents de comédiens et comédiennes », a-t-il regretté.
Depuis, Nabil Asli ne s’est plus montré sur les plateaux télévisés, chose qu’il abhorre déjà, et n’a plus donné signe d’une éventuelle production. Il tente probablement de se faire oublier, le temps qu’un nouveau pouvoir politique, issu du de la révolution du 22 février, se mette en place pour qu’il puisse exercer son métier d’artiste en toute liberté et revenir ainsi sur la scène artistique. Toutefois, avec les reprises autoritaires perceptibles à tous les niveau, il ne reste peut-être aucune issue aux artistes algériens, dont Nabil Asli, que de mettre leur art au service exclusif de la liberté. Ceci dit, en attendant son retour sur les écrans, Nabil Asli, aussi bien pour son engagement citoyen que pour son talent de comédien et la qualité artistiques de ses travaux, reste un repère pour les générations montantes.