« Pour El-Hachemi Chérif, l’islamisme modéré est une fable » (Moulay Idriss Chentouf)
Dans cette interview qu’il a accordée à Algérie Cultures à l’occasion du quinzième anniversaire de la disparition d’El-Hachemi Chérif, homme politique se définissant comme « démocrate républicain » et intellectuel prolifique et aux positions franchement acquises aux élans progressistes de la société algérienne, Moulay Chentouf, son ami et ancien camarade lutte, aujourd’hui porte parole du PLD, évoque le caractère visionnaire de sa pensée et l’irréductibilité de ses convictions qui le placent aujourd’hui comme repère incontournable de « la famille qui avance ».
On fête le quinzième anniversaire de la disparition d’El-Hachemi Cherif, une personnalité politique de premier plan. Quelle évaluation faites-vous de son héritage quand on voit que sa famille politique, le MDS, s’est complètement dispersée?
Le plus grand apport d’El-Hachemi Chérif est d’avoir saisi très tôt que l’islamisme politique est un ennemi redoutable et que la crise des années 90 n’était pas une crise de pouvoir mais une crise de l’État et de ses institutions. L`État hybride, affirmait-il, avait épuisé toutes ses possibilités et ne pouvait plus garantir la pérennité de l’Algérie. Du ventre de celui-ci, poursuivait-il, est né un mouvement totalitaire, l’islamisme politique dont les capacités meurtrières sont en mesure d`anéantir tous les acquis du mouvement national.
En effet, tout pouvoir, fusse-t-il le plus compétent, qui aurait eu à cœur de travailler dans le cadre du système en place et dans la continuité de ses lois aurait essuyé l`échec. C`est la raison pour laquelle le statu quo a sonné le glas de tout réformisme et que toute tentative d`amender de l’intérieur le système se serait soldée par le fiasco. C`est ce que d`aucuns constatent aujourd`hui. L`unique destination du système est la poubelle de l`histoire !
De ce point de vue, El-Hachemi Chérif est un véritable révolutionnaire. Il change radicalement de paradigme. Il ne parle plus de réforme mais de rupture et préconise d`envisager la politique autrement. Pour lui, l’obsolescence touche toute la classe politique, y compris les formations qu’il essaye lui-même de reconstruire et de rénover. El-Hachemi Chérif ne fait pas dans des retouches cosmétiques mais dans un chambardement tel que des camarades ne comprennent pas les nouveaux enjeux ou rejettent carrément la nouvelle stratégie, d`où les fractures et la dispersion. La vie a de toute façon tranché : la classe politique actuelle est à des années-lumière des urgences de l`heure. La nouvelle émergera du magnifique mouvement citoyen du 22 février qui chevauche tout le pays.
El-Hachemi Cherif est l’un des rares hommes politiques algérien, à coté de Saïd Sadi, à avoir affronté l’islamisme et son corollaire, le terrorisme, lorsqu’il était à son apogée. L’islamisme représente-t-il toujours une menace pour l’Algérie et pour le projet démocratisation du pays ?
Deux choses ont permis à El-Hachemi Chérif de prendre de la hauteur dans les années 90. La guerre de libération nationale lui a permis d`engranger une grande expérience politique en tant qu`officier de l`ALN. Puis le cataclysme iranien qui a été pour lui une source d`apprentissage inestimable. Le cuisant échec des forces démocratiques iraniennes lui a permis de changer complètement de lunettes d`analyse. .Ce qui est éminemment positif est qu’un démocrate aussi important que Said Sadi, que le représentant du PLD en France, mon ami et camarade Fewzi Benhabib a rencontré à Paris le 18 juillet dernier, soit sur la même longueur d’onde que le regretté Hachemi Cherif quant à la qualification de l’islamisme politique et la nécessité de le combattre sans merci.
En effet, la prise du pouvoir en 1979, réglée comme un papier de musique par Khomeiny, a joué le rôle d’un véritable séisme dans sa pensée politique. Le précédent iranien a décillé les yeux aux observateurs avertis mais El-Hachemi Chérif en a tiré les plus grands enseignements. Il a compris que l’islamisme politique faisait feu de tout bois pour arriver à ses fins et qu’il ne s`embarrassait pas de liquider physiquement non seulement ceux qui ne lui font pas allégeance, mais aussi et sans aucun état d’âme, ceux qu`il a instrumentalisés pour aller à la conquête du pouvoir. Le courage qu`il a eu pendant les années noires du terrorisme islamiste s’appuyait d’abord et avant tout sur le socle de convictions fortes. Il martelait à qui voulait bien l’entendre que l’essence de l’islamisme politique est la violence et que l’islamisme modéré est une fable !
Certains effets de manche donneraient à penser que l’islamisme politique aurait changé. En effet, hier, ennemi mortel des libertés et porte-voix du terrorisme, l’islamisme s’affiche aujourd’hui comme le fer de lance de la démocratie et l’étendard de la non-violence. Aurait-il alors réellement changé ? L’islamisme politique fait dans la communication. Toutes ses postures sont inspirées d’une stratégie réfléchie et sont essentiellement destinées à faire fructifier son fonds de commerce au tam-tam de la takia. Hier, il portait les oripeaux du FIS. Aujourd’hui, il porte le masque de Rachad. D`ailleurs, l’islamisme politique carbure de la même manière partout dans le monde.
Erdogan a toujours été présenté comme le prototype des islamistes modérés mais qu`est-il devenu aujourd`hui ? Le masque ôté, il se révèle sous son véritable visage, celui d`un monarque belliciste qui rêve d’empire. Chassez le naturel, il revient au galop ! Il tente non seulement de détruire tous les acquis de la modernité dans son propre pays mais il projette… de coloniser l`Afrique du Nord ! Son objectif est clair : recréer l`empire ottoman pour le soumettre sous les bottes du califat. C`est pourquoi la plus grande vigilance doit être observée à l’endroit des islamistes d`autant que Rachad, qui n`est rien d`autre que l`ex-FIS, est dans l’axe Turquie/Qatar.
El-Hachemi Cherif, en plus d’être un politique de race, est un intellectuel qui a irrigué la scène algérienne de ses idées pendant plusieurs années. Il a notamment prôné la double rupture avec l’islamisme et le système, il a parlé de la crise qui secoue l’armée algérienne, l’incompatibilité de l’islamisme avec la démocratie, etc. Peut-on dire que ses idées gagnent du terrain ?
Les idées d’El-Hachemi Chérif sont d’une fraîcheur et d’une jeunesse inouïes. Son analyse n’a pas pris une seule ride et sa stratégie de lutte est en écho avec le combat que mènent aujourd’hui des centaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes et qui, comme lui, sont dans la radicalité du changement.
Il y a déjà plus de 25 ans, au chevet de l’Algérie malade, El-Hachemi Chérif avait dressé un diagnostic juste et prescrit un remède sans appel. En effet, il a été le seul homme politique à avoir identifié avec justesse les causes profondes de la crise du pays. L’Algérie, disait-il, a deux ennemis irréductibles : le système rentier et mafieux et l’islamisme politique. C’est pourquoi, dans le fracas des armes et la trahison des lâches, il avait appelé l’ensemble des patriotes et des républicains à disqualifier ceux qui avaient fait de l’Algérie un champ de ruine et mené le peuple à l’abattoir. Ce double combat ou, pour reprendre sa formule désormais historique, « la double rupture », est malheureusement toujours à l’ordre du jour.
Preuve irréfutable de sa pertinence politique, il illumine de son empreinte le magnifique mouvement citoyen du 22 février. Comme lui, la contestation populaire revendique une « Djazair horra dimokratia », affranchie du système, ancrée dans son histoire millénaire et ouverte à la pluralité culturelle.
Une véritable alternative ne viendra pas d`une classe politique engluée jusqu’au cou dans les basses manœuvres de l’islamisme politique et du système. L`ANP, comme la société, est traversée par des contradictions. L`Algérie a besoin d`une ANP républicaine et démocratique pour assurer le caractère pacifique à une transition politique dont l`unique ambition est de placer l`Algérie sur les rails de l`État de droit.
El-Hachemi Cherif est aussi réalisateur et auteur de plusieurs réflexions dont son célèbre livre Algérie modernité enjeux en jeu. Pouvez-vous-nous parler de ces deux facettes que les nouvelles générations ignorent ?
El-Hachemi Chérif forçait l`admiration par l`étendue de sa vaste culture. Il avait eu l`opportunité rare de maitriser deux langues, l’arabe et le français. Ce qui lui valut d’avoir une connaissance approfondie du patrimoine et une grande ouverture sur les derniers acquis de la culture universelle.
Mais il a été emporté très jeune par le tourbillon de la vie, la guerre de libération nationale puis l`organisation politique après l’indépendance car il avait l’Algérie chevillée au cœur et au corps. Il était touche à tout. Il s’intéresse à la radio, au théâtre et au cinéma. Il fait ses premières armes à la radio ou il y travaille comme assistant de réalisation et au lendemain de l’indépendance, il réalise un long-métrage en hommage au combat anticolonial du peuple sud-africain. Une vie politique dense et mouvementée contrarie de nombreux projets culturels dont celui qu’il avait projeté de réaliser avec le grand dramaturge Abdelkader Alloula. L`unique livre qu’il écrit Enjeux en jeu est un essai. Il reprend en fait ses grandes idées politiques mais il a été surtout un penseur qui alliait la réflexion à la pratique sur le terrain des luttes. Excellent orateur, il allait systématiquement vers les amis et les camarades pour livrer ses analyses mais n’oubliait jamais de se prêter à l’exercice de l’échange et du débat.