« Sans liens entre les arts, on risque d’avoir un climat culturel encore plus morne » (Ahmed Gasmia, écrivain)

Pour l’écrivain Ahmed Gasmia, auteur du roman de science-fiction Les peuples du ciel, finaliste du prix Orange du Livre en Afrique, la littérature, le cinéma, le théâtre et les séries télévisées « n’évoluent pas au même rythme » en Algérie. Ainsi, mettant le point sur la production cinématographique et les adaptations des œuvres littéraires, Ahmed Gasmia a noté qu’ « on ne peut pas attendre d’un secteur cinématographique en difficulté d’être à l’affût de nouveaux romans pour en faire de grands films. »

Pour commencer, vous avez publié en 2019 un roman singulier de science-fiction, intitulé Les Peuples du ciel.  Il est aujourd’hui finaliste du prix Orange du Livre en Afrique. Comment vivez-vous cette sélection ?

Avec beaucoup de satisfaction et un léger stress. Le résultat du concours sera connu fin juin prochain et je peux vous dire que cette date me semble lointaine. C’est carrément le futur. Il y a un vrai suspense.

Ceci dit, je suis particulièrement ravi de constater qu’un roman de science-fiction ait pu capter l’attention du jury alors qu’il s’agit d’un genre assez peu présent dans la littérature africaine. Les peuples du ciel, même s’il est classé dans la catégorie science-fiction, traite aussi, indirectement, de l’histoire de l’humanité et de la nature des humains eux-mêmes. Ce sont peut-être des éléments qui ont joué en sa faveur en donnant la possibilité à ceux qui n’aiment pas ce genre de littérature de trouver autre chose, dans le livre, qu’un récit d’anticipation.

En quoi cette sélection est-elle importante pour un premier roman algérien de science-fiction ?

C’est en effet, à ma connaissance, le premier roman de science-fiction à avoir été sélectionné pour un prix continental. Et c’est déjà gratifiant de voir que ce genre littéraire peut trouver sa place dans les librairies algériennes et dans un concours continental.

Plus généralement, le fait d’être parmi les six finalistes dans ce genre de concours permet de rendre un roman plus visible à l’étranger. Mon éditeur a d’ailleurs été approché par des organismes intéressés par la mise en ligne d’une version électronique, non téléchargeable, du roman dans des bibliothèques virtuelles.

Sur un plan plus personnel, j’ai la satisfaction de constater que le roman que j’ai écrit il y a un peu plus d’une année n’est pas mort, surtout dans le contexte d’une pandémie mondiale qui a bloqué beaucoup de secteurs et qui a eu un impact négatif sur le domaine de l’édition.

En Algérie, les contrées des arts vivent séparément ; les initiatives d’adapter des romans en films, séries, ou pièces théâtrales se font de plus en plus rares. Comment évaluez-vous cette situation ?

En réalité, je ne peux que faire des suppositions à ce sujet, n’étant moi-même ni réalisateur, ni scénariste. Ce dont je suis sûr, c’est que la littérature, d’un côté, et le cinéma, le théâtre et les séries télévisées, de l’autre, n’évoluent pas au même rythme. La littérature se porte un peu mieux, ce qui rend quelque peu difficile la jonction entre ces deux mondes. On ne peut pas attendre d’un secteur cinématographique en difficulté d’être à l’affut de nouveaux romans pour en faire de grands films. On a aussi du mal à imaginer l’adaptation d’un roman historique relatant les récits de grandes batailles navales ou terrestres, par exemple. Adapter un roman de science-fiction est évidemment une chose autrement plus compliquée. Bien sûr, les moyens ne sont pas le facteur déterminant. De grands films, et là je reviens aux classiques, ont marqué l’histoire alors que les sommes dépensées pour leur réalisation étaient minimes. Je pense à Duel, deuxième film de Spielberg et avant lui,  Douze hommes en colère de Sidney Lumet. Dans le premier, il y a deux acteurs, quelques figurants et deux véhicules. Dans le deuxième, douze acteurs enfermés dans une pièce pendant tout le film. Membre d’un jury, ils devaient décider si un accusé est coupable ou pas. Et cela a donné deux grands films. C’est peut-être la piste qu’il faudrait explorer pour certains réalisateurs : trouver des romans avec des idées qui marchent sans que cela ne soit coûteux. Les auteurs pourraient aussi proposer directement leurs œuvres à des réalisateurs et voir ce que cela pourrait donner.

Quels seraient les impacts de cette séparation sur les arts et les artistes ?

L’absence de possibilités d’adaptation au niveau local, pousserait naturellement un auteur à tenter sa chance à l’étranger. Du côté du cinéma, des séries et du théâtre cela réduit évidemment les possibilités d’exploiter de la bonne matière. Ceci a évidemment un impact sur la vie culturel dans le pays. S’il n’y a pas ces liens qui devraient être naturels entre la littérature, le cinéma, la télévision et le théâtre nous risquons d’avoir un paysage culturel encore plus morne où les gens se côtoient sans se voir et où la seule reconnaissance possible sera celle qui viendrait de l’étranger.

Ce n’est pas une fatalité, il suffit, en fait, de franchir le pas pour que tout change. On pourrait peut-être commencer par organiser un concours du roman le plus adaptable au cinéma et dont les membres du jury seraient des réalisateurs. Créer un vrai lien entre la littérature et le cinéma et la télévision, notamment pourrait donner lieu à une dynamique très positive. On aura plus de production dans le secteur de la culture, mais on aura aussi la possibilité d’exercer un vrai soft power en défendant l’image de notre pays au niveau international. Les Américains ont pleinement exploité cet outil et, plus proches de nous, les Egyptiens et, surtout, les Turcs.

 

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