« Sauver l’école » : un cri de détresse lancé par des universitaires algériens

Des universitaires algériens dont Ahmed Djebar, Abderrazak Dourari, Mohammed Harbi, Wassiny Laredj, Khaoula Taleb-Ibrahimi, Houari Touati, ont lancé un appel en faveur de la nécessité de la réforme de l’école algérienne intitulé Sauver l’école, publié au Quotidien d’Oran.

Cet appel, présenté comme « comme une bouteille à la mer jetée par des Algériens qui ne représentent ni un comité, ni une organisation, mais seulement eux-mêmes », part du constat que le nationalisme algérien «  a manqué d’une réflexion approfondie sur les questions nationales et sociales. Il en est résulté des divisions et des déchirements dont nous ne voyons pas encore la fin. » Ainsi, notant que l’école est au cœur de cette problématique, l’appel réfléchit différents aspects où la réforme doit s’imposer.

 

L’école algérienne en proie à l’arabité islamité  

En effet, les auteurs de Sauver l’école ont soulevé, en premier lieu, le code par lequel se transmettent le savoir et les connaissances à l’école algérienne, il s’agit de la langue arabe.  « La langue arabe est, chez nous, mal parlée, mal apprise, parce qu’elle est sans contenu, aussi pauvre et sèche qu’un filet d’oued saharien. Tant qu’on n’aura pas compris que le contenu et la richesse d’une langue, ce que l’on nomme son génie, c’est sa culture, telle qu’elle est cristallisée dans ses monuments littéraires et esthétiques et qu’elle se déploie à travers sa créativité présente et future, elle restera sans contenu », lit-on dans l’appel, qui poursuit : « plus on affecte de s’indigner pour elle, et plus on s’emploie à œuvrer à sa décrépitude et à sa déchéance. »

Le même appel maintient sa cadence contestatrice et revient aux sources de cette « défense bruyante » de la langue arabe qui sévit sur l’école algérienne. « On a bien fait dire au prophète Muhammad que, de toutes les langues, c’est l’arabe qui était sa préférée parce qu’elle est « la langue des gens du paradis » (lughat ahl al-janna), mais ce pseudo-hadith est considéré y compris parmi les grands maîtres de l’école juridique hanbalite comme une « forgerie » (mawḍū‘) », lit-on encore dans l’appel.

Quant aux salafistes, précise l’appel, c’est leur discours « qui tient lieu de religion à l’école algérienne comme en témoigne la vidéo mise en ligne le jour même de la rentrée scolaire de cette année 2016-2017, en signe de provocation, dans la continuité d’un été au cours duquel les «authentiques» défenseurs de l’arabité et de l’islamité de notre éducation nationale, non contents d’avoir hystérisé le débat à des sommets rarement atteints, se sont livrés à des actes répréhensibles pour faire dégénérer leur guerre de l’école en guerre civile. »

Une nécessité de rassembler

Sauver l’école a également tenu à souligner que l’école « doit d’ores et déjà s’atteler à enseigner » poésies, gestes, mythes de la culture et littératures berbères. Cet enseignement ne doit aucunement être limité aux zones berbérophones. « Elle (langue-culture berbère) doit aussi bien être enseignée à la partie arabophone du pays, qui doit la redécouvrir et l’assimiler comme une part oubliée de sa propre profondeur historico-culturelle. Il faut, par conséquent, que, dans ses programmes, l’école algérienne fasse côtoyer les poètes berbères aux côtés des poètes arabes et universels, au même titre que les poètes du malḥūn, cette mémoire et encyclopédie de notre moyen-arabe maghrébin dont Ibn Khaldūn disait qu’il constituait une langue dont l’absence d’inflexions grammaticales n’influe nullement sur la juste expression de la pensée et dont il nous a légué les spécimens poétiques les plus anciens », insistent les auteurs de l’appel.

 

L’école algérienne, terrain de tous les caprices idéologiques

Les six universitaires, auteurs de l’appel se sont penchés sur une question qui a été loupée pendant longtemps par les pédagogues, il s’agit du tiraillement idéologique qui fait et défait l’école algérienne depuis l’indépendance. « À la vérité, depuis l’époque du Président Ben Bella, les gouvernants successifs sont restés prisonniers – intellectuellement s’entend – des paradigmes pédagogiques des parties qui ont fait de l’école leur terrain de compétition politique et idéologique. Pour les fondamentalistes, qui avaient les yeux tournés vers le passé, l’école est d’abord une institution éducative. À ce titre, sa principale fonction est la transmission des valeurs. Quant aux modernistes, pour eux, l’école ne peut et ne pouvait être qu’une institution chargée de pourvoir les générations montantes de l’instruction nécessaire pour gagner la bataille de la production, comme on disait du temps du Président Boumediène, ou pour répondre aux besoins du marché, comme on dit aujourd’hui, tout en s’interdisant de développer un véritable discours de modernisation sociale », martèle l’appel, avant de démontrer que « l’école n’est ni l’une ni l’autre de ces deux institutions, ou plutôt, elle est les deux à la fois : en même temps qu’elle est un cadre de socialisation, c’est-à-dire d’inculcation des normes et valeurs de la société (ou de la partie dominante de la société qui a prise sur elle, ce qui est souvent le cas), elle est le lieu d’apprentissage des fondamentaux de la connaissance, en particulier ceux qui sont immédiatement traduisibles en termes de qualification et de compétence. »

 

La crise de l’État aggrave « le démembrement de l’école »

Abordant la responsabilité de l’État algérien, l’appel  souligné que ce dernier « a aggravé ce démembrement de l’école. » « Son autorité ne sera rétablie que le jour où l’État reprendra la main sur l’école, non pas tant pour exercer sa dictature sur elle que pour lui tracer le cap à suivre. Car un État moderne, et c’est ce vers quoi aspire l’État algérien, en dépit de sa forfaiture, est d’abord et avant tout une institution d’arbitrage et de régulation », précisent les auteurs, qui relèvent encore « une médiocrité » au sein de l’école. « Hélas, connaissez-vous autour de vous beaucoup d’élèves qui lisent ? » s’interrogent-ils.

 

L’école doit former le bon citoyen  

Alors que l’école algérienne devrait être le berceau de la formation du bon citoyen responsable de ses actes, elle se retire de cette mission et se livre à la mainmise politique obscurantiste.  « Les théologiens rationalistes qui ont concouru à distinguer l’homme de l’animal en lui reconnaissant la capacité (qudra) et le discernement (tamyyīz) ont voulu qu’il soit responsable de ses actes et qu’il ne se dérobe pas à sa responsabilité. N’est-ce pas ce dont on a besoin aujourd’hui pour former de futurs citoyens libres, capables et perspicaces dans leur jugement et leur prise de décision ? Cela signifie clairement que la religion, bien comprise, ne s’oppose pas à la modernisation de l’école et de l’éducation ; elle y encourage en conviant à la réflexion rationnelle avant d’opérer ses choix pour agir en connaissance de cause – «bi-‘ilm», comme disaient les ulémas d’époque classique », soulignent encore les auteurs de Sauver l’école, rappelant qu’ « il faut que l’école puisse donner à nos enfants les clés de leur être-au-monde afin que notre Algérie soit digne de son rang dans le concert des nations et qu’elle œuvre au bonheur et à la prospérité de tous comme une part de son humanité. »

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