Une langue qui s’isole est vouée à s’évanouir

Désignant l’insertion des vocables ou des traits linguistiques et conçu comme la sève nourricière des langues, l’emprunt est le phénomène le plus répandu où une langue emprunte à d’autres des termes pour s’enrichir. Étant donné que les systèmes linguistiques possèdent une propriété biologique, il est nécessaire que les langues s’enrichissent mutuellement pour survivre longuement.

Les linguistes font un distinguo entre deux grandes catégories d’emprunt : emprunt interne qui s’effectue d’un domaine à l’autre à l’intérieur de la même langue, et emprunt externe désignant la migration des termes d’une langue à l’autre. André Martinet[1], quant à lui, démarque l’emprunt populaire se produisant à travers des interférences entre des communautés linguistiques de l’emprunt savant qui est issu d’anciennes langues dites mères.

Ce fait linguistique est éminemment perçu comme moteur puissant et fécond pour la survie des langues et leur (co)existence. C. Hagège entérine cette thèse : « l’emprunt n’est pas le signe d’une menace pour la langue.» [2]

Les études pionnières sur les langues ont procédé à/par la comparaison des systèmes linguistiques aux phénomènes naturels et humains. Schleicher (1821-1868), était botaniste, a considéré la langue comme un phénomène naturel. F. Bopp dans son fameux ouvrage Grammaire comparée du sanskrit, du zend, du latin, du lituanien, du vieux-slave, du gotique et de l’allemand (1833) compare les langues aux corps naturels qui sont régis par des lois. Cette conceptions fait remarquer que leurs écrits sont imprimés par des termes redondants tels que la physionomie du langage, l’anatomie linguistique, le classement des langues en famille : chamito-sémitique, gréco-latine, germanique, etc.

Notre langue est les langues des autres, car nous parlons les autres langues à la lumière de la nôtre. Les exemples ci-après montrent que toute langue est nourrie d’emprunt. Nous prenons le français qui est la langue la plus parlée dans le contexte francophone et qui est fortement imbue des mots voyageurs :

 

  1. le mot « café »[3] tire son origine de cahveh, qui vient de cahouah, verbe arabe, signifiant avoir du dégoût de manger, n’avoir point d’appétit. Une autre version élucide que ce mot vient du cahuet qui désigne force et vigueur car son effet est de fortifier ;
  2. l’origine du mot « chocolat » [4]est mexicaine, et composé de tchoco, qui signifie « bruit » ou « son », et de latté ou latl qui est le nom mexicain de l’eau : on faisait fortement mousser cette substance dans l’eau avant de la prendre ;
  3. le mot « tomate »[5] vient du mot mexicain tomalt. Mais aussi tomate a un nom en français rarement employé « pomme d’amour ». Ce substantif est presque le même dans toutes les langues vivantes : en anglais Love-applo; en allemand liebes-Appel; en hollandais liefdes-appel ;
  4. le mot « pâte »[6] est américain potataoe. 

La liste est exhaustive et les exemples sont nombreux et multiples disqualifiant le mythe de la pureté linguistique qui est une représentation stéréotypée que se font les adeptes de la Norme et les gardiens du temple et que la richesse linguistique réside a fortiori dans l’ouverture d’une langue sur les autres. Pour conclure, nous paraphrasons les propos sentencieux de C. Hagège qui montrent que les langues participent à l’existence des communautés humaines. « Si les sociétés ne meurent pas, ce n’est pas seulement parce qu’elles ont des historiens, ou des analystes ou narrateurs officiels. C’est aussi parce qu’elles ont des langues, et sont racontées par ces dernières.»[7]

 

Youcef BACHA, doctorant en sociodidactique et didactique du plurilinguisme, Laboratoire de DLT, Université de Blida 2, Algérie

 

[1] André Martinet (2015). Éléments de linguistique générale. Armand Colin, p. 171.

[2] Claude Hagège (2000). Halte à la mort des langues, Paris, Odile Jacob, p. 105.

[3] Auguste Penilleau (1864). Étude sur le café au point de vue historique, physiologique, hygiénique et alimentaire. Paris, Chez l’Auteur, Rue Saint-Dominique, p. 03.

[4] Arthur Mangin (1862). Le cacao et le chocolat considérés aux points de vue botanique, chimique, physiologique, agricole, commercial, industriel et économique. Paris, p. 127.

[5] Société régionale d’horticulture. Du nord de la France (1890). p. 186.

[6] Auguste Scheler. Dictionnaire d’étymologie française d’après les résultats de la science moderne

[7] Claude Hagère, op. cit., p. 21.

4 thoughts on “Une langue qui s’isole est vouée à s’évanouir

  1. la liste est exhaustive signifie que la liste proposée est complète, totale. il me semble que l’auteur voulait dire que la liste proposée n’est pas exhaustive.

    1. Votre impression vous a trahi !  »liste exhaustive  » veut dire que les exemples restent nombreux et qu’on ne peut les citer entièrement. Prière de respecter la majuscule et la concordance du temps dans votre courte phrase. Avec mes cordiales pensées.

  2. Votre impression vous a trahi (il vous semble). Liste exhaustive veut dire que les exemples restent nombreux et que l’on ne peut les citer entièrement. Prière de respecter la majuscule et la concordance du temps dans votre courte phrase.

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