Al Andalus, entre mythification et mystification

Al Andalus fut une grande civilisation. Celle qui a engendré des poètes, philosophes, astronomes, médecins, mathématiciens, savants, érudits et penseurs: Ibn Zaydun, Ibn al Jatib, Hafsa, Ibn Hazm, Ibn Gabirol, Ibn Rushd, al Mutamid, Ibn Maymun, Ibn Arabi, Wallada, Ibn Zamrak, Ziryab, et tant d’autres figures qui en sont les témoins…

Mais…

Al Andalus fut-elle réellement un havre de paix et de tolérance?

J’entends souvent parler de tolérance, de compréhension, de respect de l’autre dans l’histoire de l’islam de l’Espagne d’al Andalus.

Et j’ai moi-même quelquefois écrit sur cet « âge d’or »

Et pourtant…

Sans vouloir faire polémique, déranger, déplaire, froisser, choquer, ceux pour qui al Andalus était un Eden, un paradis sur terre, et où musulmans, chrétiens et juifs vivaient dans l’entente, la communion et la fraternité les plus cordiales…

La réalité était toute autre, ou du moins, il faut parfois nuancer, souvent atténuer, tempérer les ardeurs des admirateurs sans bornes de cette époque…

C’est la thèse de beaucoup d’historiens et chercheurs espagnols (Voir les écrits de José Cruz Díaz, Jorge Aguadé, Emilio González Ferrín, F. J. Escalera, J.A. González Alcantud…)

En Al Andalus, plutôt que « vivre ensemble » dans une coexistence idyllique, ont cohabité trois religions.

Et ce, sans préjugés, ni a priori, ni  anachronismes…

Néanmoins, l’une des réalités, que l’on veut parfois occulter, c’est qu’il y avait des régimes juridiques très distincts. Les trois entités, les trois « cultures » vivaient dans des quartiers séparés. Il faut savoir, et oser le dire, que ceux qui ne pratiquaient pas la foi, et le rite des « vainqueurs » étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. Tout blasphème était condamnable et condamné.

Plus qu’un espace de tolérance, on « tolérait » l’autre comme un moindre mal, une altération mineure… et ce, des deux côtés que l’on se tourne.

Le meilleur exemple est, qu’il semblerait qu’il n’y avait pratiquement aucune église du côté musulman, et vice-versa, et que les mariages entre couples de différentes confessions étaient « mal vus », pour ne pas dire « interdits ». La femme était encore au service de l’homme, malgré quelques exceptions. L’esclavage était permis et étendu. On lapidait l’adultère et les homosexuels…

Même si tout cela doit être contextualisé avec le siècle et l’époque…

Il y eut, bien sûr, des exceptions comme la figure du juif Hasdaï ibn Shaprut (915-970), et quelques autres, nommé médecin du calife omeyyade de Cordoue Abd al-Rahman III, devenant le premier juif à accéder à une telle fonction.

Il gagne par ses manières, ses connaissances, son savoir et sa personnalité, les faveurs de son maître, devenant son confident et fidèle conseiller. Bien que ne pouvant être nommé vizir (justement) du fait de sa judéité, il en exerce officieusement les fonctions. Il est responsable des affaires étrangères, ainsi que des douanes.

Ce ne fut pas, malheureusement, la conjonction et la fusion de trois cultures qui exista en al Andalus, mais plutôt trois religions qui ont essayé de « coexister » et pas toujours dans les mêmes conditions d’égalité, car le « conquérant » avait « sa croyance », et les autres devaient s’y aligner, s’y adapter.

J’insiste sur le fait de « nuancer » les propos, car l’idéalisation, la mythifaction de l’ère d’al Andalus est en soi malveillant et dénaturé, et peut être considérée comme une mystification, car nous ne sommes pas dans une situation socio-politique idyllique.

La condition de « dhimmi »  (en arabe : ذمّي, terme historique du droit musulman qui désigne les sujets non musulmans d’un État sous gouvernance musulmane, liés à celui-ci par un « pacte de protection » discriminatoire) des « Gens du Livre » des juifs et des chrétiens en al Andalus: (en arabe أهل الكتاب, Ahl al- Kitâb), nom par lequel on désigne en islam les croyants des religions abrahamiques ou monothéistes qui, selon certaines interprétations du Coran méritent un plus grand respect que les idôlatres, les polythéistes ou les athées, étaient loin d’être une situation de liberté de total mouvement et acte.

Le mérite, la « vertu » de ces trois religions au moyen-âge, c’est qu’elles n’étaient pas monolithiques. Elles étaient flexibles, souples, malléables, et elles avaient tendance, ce qui est tout à leur honneur, de ne pas lutter, combattre ouvertement « l’autre », mais d’essayer de négocier, composer: une des traditions et qualités de ce climat de tolérance.

On peut avancer enfin, pour conclure, que al Andalus ne se démarque pas par l’harmonie et l’entente, ni par l’inexistence de conflits, mais plutôt par cette « culture de la paix », ce désir de « négocier », « composer », « parlementer » avec « l’autre »…

Ce que personne ne met en doute dans l’historiographie espagnole.

Une des qualités qui nous manque au jour d’aujourd’hui avec la contrainte et l’imposition des credos d’un islam sclérosé et dogmatique…

 

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