Croyance sans connaissance n'est que ruine de l'âme

Je m’approprie dans ce titre la fameuse citation de Rabelais, en la paraphrasant légèrement: « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » pour introduire ma chronique hebdomadaire.

J’écoutais récemment l’islamologue Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France, dans l’une de ses brillantes et très érudites interventions où il affirmait, en parlant de notre rapport à l’Islam, que le musulman est presque toujours dans une croyance sans la connaissance et un culte sans la culture.

Je trouve la phrase sublime: « Nous sommes dans une croyance sans la connaissance et un culte sans culture ».

En plus de la pertinence de ses propos et de cette sentence percutante de Bencheikh, il est plus qu’évident que tous les commentaires que l’on entend sur l’Islam sont, dans leur majorité, empreints d’une relative méconnaissance du fait divin et en fait d’une ignorance et d’une incompréhension flagrante de l’Islam.

On juge, on condamne, on décrète ce qui est licite ou illicite. On statue sur ce qui est hallal ou haram, on décide sur ce qui est bon ou mauvais pour le musulman, on commente (je veux dire les hommes commentent) le rôle de la femme en Islam. On discute de l’importance de la prière dans les écoles comme s’il s’agissait d’un thème transcendant. Bref, un nombre impressionnant de diktats, de certitudes et d’intransigeances dogmatiques.

Faut-il donc désacraliser le sacré ? Faut-il détruire les mythes ?

Nous faut-il une déconstruction des chroniques et de la légende qui entoure le message divin? Est-on prêt à accepter et comprendre surtout, par exemple, que la qaaba, lieu saint par excellence, était à l’origine un temple païen et polythéiste où les poètes dansaient autour et suspendaient leurs poésies, d’où les « mu’allaqat », avant qu’elle ne soit consacrée par le Prophète qu’au Dieu unique, Allah et au « tawwaf », un des rites du pèlerinage.

Mais encore, je m’interroge: ces néo-censeurs de la religion ont-ils lu d’abord le Saint Coran dans son intégralité, l’ont-ils appréhendé dans sa globalité et sa dimension humaine, historique, je dirais même « historiciste » ? Plus encore, ont-ils lu des penseurs qui ont consacré toute leur vie à l’islamologie? Aux études islamiques dans leur plus ample acception? Et pas seulement ceux qui interprètent le Coran et font du « tafsir », je dirai, primaire.

Les référents de l’Islam ne peuvent pas être que Ibn Abd al Wahab ou Ibn Taymiyya dont se nourrit le wahabisme rampant qui gangrène nos sociétés musulmanes.

Ont-ils lu les mou’tazilite (littéralement, ceux qui s’isolent, qui prennent de la distance) qui ont depuis longtemps défendu l’idée du libre arbitre? Mou’tazilite dont se prévaut par ailleurs Kahina Bahloul qui combat pour un Islam érudit et décliné au féminin ? Parmi eux, on peut citer Al-Kindi (796-873), encyclopédiste et philosophe arabe qui a contribué à la diffusion de la philosophie grecque dans le monde musulman. Ou Ibn Sina (980-1037), (Avicenne), qui fut à la fois philosophe, médecin, mathématicien et astronome. Il est peut-être le meilleur représentant de l’universalité des connaissances. L’élévation de sa pensée ainsi que la qualité de ses écrits furent parmi les plus remarquables du génie humain.

Connaissent-ils al Farabi, al Ghazali, ibn Rochd, (Averroès) dont les travaux cherchent à libérer la pensée musulmane de l’emprise d’un juridisme étroit et d’une théologie faussement spéculative? Ont-ils entendu parler du soufi Ibn Arabi (1165-1240)? Des écrits spirituels (Al mawâqif, « les méditations mystiques ») de Ibn Muhieddine, plus connu sous le nom d’Emir Abdelkader (1808-1883)? Ou encore Djalal ed dine Rumi (XIIème siècle), et tous les mystiques, ceux qui professent une lecture ésotérique du Coran? (Les « bâtinîs »: le « bâtin » étant le côté secret des choses.)

Ont-ils lu des penseurs éclairés modernes tels Mohammed Arkoun qui fait une analyse sémiotique du Coran, l’anthropologue Malek Chebel, Abdelwahab Bouhadiba avec son ouvrage sur la sexualité en Islam, Abdelwahab Meddeb ou Fethi Benslama qui utilise la psychanalyse dans le divin ou encore Jacqueline Chabbi qui travaille sur les étymologies divines ? (voir « les mots du Coran ») ? Et tant d’autres dont la liste serait longue à énoncer…

On pouvait lire dans l’hebdomadaire Marianne, il y a quelques années, sous la plume de Natacha Polony, les propos suivants: « opposer les lumières de la raison aux ténèbres de l’obscurantisme: c’était la mission que s’étaient assignées les philosophes du XVIIIème siècle, Voltaire, Diderot ou Montesquieu. C’est également l’espoir de ces intellectuels d’origine maghrébine, universitaires, psychanalystes ou écrivains qui luttent par leurs écrits contre l’appropriation sauvage de l’Islam’ par l’islamisme. »

Alors à quand notre Voltaire ou notre Diderot, ou peut-être même notre Luther ?

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