Les aubes endolories
L’enfance est l’âge d’or des questions. Et c’est de réponses que l’homme meurt. Une bien triste sentence, léguée par Henri Michaux. Mais c’est également au nom de ces mêmes réponses que l’homme tue. En tirant, souvent, sur la gâchette de ses certitudes. De plus en plus. Au nom de n’importe quelle fausse vérité. Deux autres enfants viennent de s’engouffrer dans cette funeste réalité. Deux créatures fragiles, ravies aux pulsations de la vie. Ravies aux palpitations joyeuses de l’âge d’or des questions. L’une, égorgée par son père. Pour un soupçon de célébration de la joie d’être. Pour un bourgeon d’aimance. Sur les prés, à peine fleurissants, de l’adolescence. Et l’autre enfant précipité de l’autre côté du miroir, par les étouffements mortels d’un faussaire de psaumes. Un contrebandier de versets. Sous forme de divinations, d’occultisme, d’invocations et d’exorcisme. Juste en psalmodiant des onomatopées prétendument anti-sataniques. Des galimatias et un charabia mensongèrement thérapeutiques. Une fumisterie meurtrière que toute une partie de la société couvre de sa scandaleuse impunité. Au nom d’une sacralité aussi scabreuse que frelatée. Les deux exécuteurs, comme bien d’autres, commettent leur crime au nom d’une croyance piteusement bigotée. Une foi de tricherie, de tromperie, de simulation et de dissimulation. La foi de la falsification et de la mystification. Largement relayée par des forbans des ondes et des bouffons des écrans. Dans leur sacerdoce d’inanités, servies sous forme de pieuses sonorités. Enfonçant, encore plus, des grappes touffues de téléspectateurs dans leur impénétrable impassibilité. Parmi lesquels se trouvent les bourreaux de ces enfants maltraités, brutalisés, martyrisés, rejetés. Une morale mortifère. Pour les dépouiller de leurs rêves graciles. Les déposséder de leur existence fragile. Car à force de les immerger dans la pénitence, ils ont fini par avoir la vocation de l’évanescence. Et pour beaucoup d’entre eux, la chaleur familiale, et l’affection parentale ne sont plus que de maigres et lointaines réminiscences. Dans une société ou beaucoup bombent ostensiblement le torse quand cette morale cogneuse exhibe ses victimes en guise de trophées. Prompts à outrager odieusement la vulnérabilité de ces adolescentes devenues des mères célibataires. Ces jeunes filles ayant osé donner à un désir, un semblant d’avenir. Des adolescentes jetée en pâture aux crocs de la horde furibonde. Cette horde qui ne dit pas un mot sur la pédophilie. Pas un mot sur la maltraitance. Rien sur les drames de l’enfance. Sur ses afflictions et ses souffrances. Rien sur les innombrables tragédies qui l’habitent. Et les insoutenables outrances qui l’agitent. Strictement rien. Et à peine quelques soupirs sourds sur ces innommables crimes des aubes de l’existence. Des forfaits abjects devant lesquels une grande partie de la société, détourne, chaque fois, le regard. Pour éviter les lueurs diaphanes de ces aubes éblouissantes. Pour esquiver les rêves cristallins de ces créatures étincelantes. Pour se soustraire à ces aubes chargées de promesses. Pleines d’indociles pulsions de vie, en liesse.
Quelle belle description de cette société qui refuse de faire un travail sur soit même, qui accepte sans gêne aucune ses sadismes religieux contre le corps de femme et de l’innocence.
L’évolution de cette triste situation dépend, pour beaucoup, de notre attitude. Il s’agit de réagir avec détermination à toutes les dérives devenues, pour certaines , hélas de l’ordre du banal. les drames de l’enfance, bien sûr, mais également les violences faites aux femmes, les viols impunis et toute atteinte physique ou morale contre l’intégrité et la dignité de la personne humaine.