Nouaisons culturelles
Retour à l’unité anthropologique de base. Par les cultures de la quotidienneté. Et de la sensibilité. Retour à ce qu’on appelle, non sans péjoration, les cultures populaires. Les cultures du local. Les cultures du vrai. Et qu’on a toujours fait semblant de raccommoder. En les enfouissant, plus profondément, dans l’oubli. En les enterrant, encore plus loin, dans le déni. Dans l’infirmation, la dénégation et la récusation. Et pourtant elles sont d’une résistance forçant l’admiration. Ces derniers mois l’ont montré avec exaltation. C’est le retour de la société à ses véritables ressorts. À ses marques de toujours. Ce retour est un formidable signe de vigueur, de ferveur et de vitalité. Face aux indécrottables béances des officialités. Retour aux équilibres absents des sinuosités d’une pâle institutionnalité. Les galimatias inaudibles des ternes conventionnalités. C’est le retour aux cultures du terroir. Que la société entend réhabiliter. Se les restituer. Des cultures étrangères à ce fourre-tout qu’on désigne par le terme nébuleux de société civile. Ce pullulement d’associations prétendument culturelles. Aussi éloignées de la chose culturelle que l’est Neptune de la Lune. Par des années-lumière ou plus précisément des années-obscurité. Cette prétendue société civile qui s’est toujours prévalue d’une vague représentativité, notamment en matière culturelle. Lui permettant surtout de s’engouffrer hardiment dans les réseaux brumeux des complicités. Avant de se faufiler subrepticement dans l’enchevêtrement trouble des opacités. Au nom de la culture. Au nom de la défense ou de la préservation du patrimoine culturel. Le patrimoine transformé en fonds de commerce honteux par des associeux ténébreux. Ces marchands occasionnels de quelques lambeaux de mémoire. Blessés, délaissés. Éclaboussés. Le patrimoine réduit en slogan fastidieusement ressassé. Aux antipodes de sa diversité, de sa complexité et de sa réalité harassée. Que cette soit disant société civile veut négocier. Vainement. Car une société civile, aussi insignifiante soit-elle, ne se décrète pas. Cette notion de société civile a une histoire. À l’origine, elle a été forgée pour exprimer fondamentalement l’idée d’un contre-pouvoir, face à la société politique. Dans les sociétés occidentales évidemment. Par la suite, son universalisation s’est accompagnée de sa polysémisation. Et donc de son pervertissement. Tant et si bien que son usage, en Algérie, est synonyme d’ambivalence. D’ambiguité et d’inconsistance. Convoquée d’abord pour désigner un mouvement associatif, tous azimuts prétendant s’inscrire dans le projet de consolidation du lien social, une mission fondamentale. Une mission qui n’a jamais été remplie, en Algérie, par ces frétillantes associations satellisées. Ce magma difforme composé d’agrégats contrefaits. Instrumentalisés à souhait. À des fins de caution. Recevant en contrepartie, de mirobolantes subventions. Mais également des strapontins dans l’armature institutionnelle. Une forme de corruption silencieuse qui a gangrené ces institutions. Ce retour de la société à ses ressorts intrinsèques est également un désaveu des attroupements prétendument culturels. Et de tous les bouffons les représentant. Ce retour à l’organisation culturelle de base est indubitablement une réaction de survie. La réactivation des mécanismes de défense d’une société qui refuse de se laisser dissoudre dans les eaux glacées d’une désagrégation prononcée. Dans les marécages d’une désintégration annoncée. C’est le retour aux cultures de la vie. Des retrouvailles avec soi grâce à des rampes de l’esprit. Des contes de toutes les régions d’Algérie. Des chants dans toutes les langues. Des danses de toutes les époques, des mimiques et des musiques dans toutes les rythmiques. Des pièces de théâtre, des poèmes et des tableaux de peinture savamment réinventés. Des conversations passionnément échangées et des lectures délibérément prolongées. Des plaisirs ordinaires longtemps boudés. Des familles entièrement ressoudées. Une redécouverte des arts culinaires et une réconciliation avec le génie de nos tenues vestimentaires. Un fonds culturel gorgé de lumière. Eclairant, de nouveau, des quartiers qui retrouvent le sens du partage. Une solidarité enthousiaste, qui se sustente de la sève créatrice des profondeurs. Des sillons de la mémoire des douleurs. Et des élans vigoureux de l’incommensurable sens de l’honneur.