Autour de la culture (1ère partie)

De nombreux chercheurs, d’auteurs de différentes disciplines (Ethnologie, sociologie, anthropologie, psychologie) ont essayé de définir la culture. Qu’est-ce que la culture ? Comment évolue-t-elle ? Quel est son rapport avec la nature ? Qu’entendons-nous par multiculturel et interculturel ? Ce sont toutes ces questions auxquelles nous essayerons de répondre dans cet article. En premier lieu, à la lumière de différentes disciplines nous tenterons d’explorer la notion de culture. En second lieu, nous traiterons de la culture et de ses enjeux identitaires, ensuite nous nous intéresserons à la question de culture et nature ainsi que le propre de l’homme. Dans une dernière partie de cet article nous, nous attacherons à rappeler le multiculturel et l’interculturel, des notions qui impliquent la coprésence et l’interaction de plusieurs communautés culturelles en un espace et un temps donnée.

  1. Notion de culture

Tout comme le patrimoine, la notion de « culture » est aussi difficile à cerner, à définir en raison de son ancrage dans l’histoire des groupes sociaux, qui, on le sait évolue constamment. Etymologiquement, le terme culture renvoie au latin colere, qui signifie cultiver, prendre soin, entretenir, préserver[1]. Et cela se réfère à l’activité humaine.  Les Romains qui ont hérité et préservé  la culture grecque ont une conception de la culture complètement différente de celle des Grecques. Pour les Romains la culture ne peut être dissociée de l’agriculture. Elle a une connotation naturelle et spontanée. Chez les Romains, cultiver la terre, la nature est vue tel un art comme l’écrit H. Arendt (2007, 272) : « l’art devait naitre aussi naturellement que la campagne ; il devait être de la nature cultivée(…) »[2]. Les Grecques par contre, conçoivent la culture comme un élément de fabrication, d’«artifices » techniques permettant la domination et la domestication de la nature. Pour eux, labourer la terre revient à la déranger, à la violer[3]. Ainsi on trouve le terme de « culture » du latin culura lié à l’origine du monde de l’agriculture. Il désigne le soin apporté à la terre, l’état de l’objet cultivé[4]. Les termes culture et agriculture ont le même radical « culture » et tous les deux font référence à l’action de cultiver quelque chose. L’agriculture a pour objet de cultiver la terre, d’exploiter le milieu naturel pour produire les besoins de l’homme en végétaux et en animaux. Pour la culture, il s’agit de cultiver l’esprit par l’acquisition de connaissances, de  savoirs, du savoir-faire et permettre l’émergence mentale. Elle façonne l’esprit des individus en ce sens qu’elle lui fournit les outils leurs permettant de construire des significations qui, par leur interactions les individus construisent leurs univers, la capacité à intervenir. La culture intègre les individus dans la complexité sociale et conditionne le développement de leur complexité individuelle[5]. En d’autres termes, l’agriculture cultive la terre et la culture cultive l’esprit comme le dit Cicéron dans ses Tusculanes : « l’esprit est comme un champ qui ne peut produire sans être convenablement cultivé »[6]. A partir du XVIème siècle, le terme « culture » connait une évolution sémantique, il passe de la culture de la terre à la culture de l’esprit c’est-à-dire qu’il y a eu un glissement du sens pratique à un sens figuré. Ce dernier usage s’impose progressivement pour faire son apparition dans le dictionnaire de l’académie française à partir de 1418[7] et dans son usage figuré le terme culture est appliqué aux arts, aux lettres et aux sciences. De l’autre côté, les philosophes des lumières conçoivent la culture comme ce qui transcende la nature. Cette conception universaliste de la culture sera réfutée par E.B. Tylor qui donne une définition opératoire de la culture. Il estime que toutes les sociétés humaines y compris les primitives possèdent une culture. Cependant, il hiérarchise ces cultures en stades d’évolutions. L’évolutionnisme culturel d’E.B. Tylor est vivement critiqué par Boas par exemple. Ce dernier rejette la méthode de périodisation, qui consiste à reconstituer les stades évolutifs d’après des hypothèses culturelles[8]. En se servant de la méthode de l’observation participante F. Boas  avance que « chaque culture exprime une modalité singulière d’être humain »[9]. Il pense que chaque peuple a sa culture spécifique et mérite d’être reconnue dans sa singularité. La France du XIX imprégnée par les philosophes des lumières est marquée comme on vient de l’entrevoir plus haut par l’histoire de la colonisation. Durkheim qui fonda la sociologie française n’avait pas avancé une quelconque théorie de la culture, cependant, il a fait illusion dans sa théorie de la « conscience collective » à la culture, en traitant des formes élémentaires de la religion[10]. B. Malinowski quant à lui, se démarque à la fois du diffusionnisme qui préconise une théorie fondée sur la reconstitution historique et l’évolutionnisme qui plaide la hiérarchisation de la culture. Il opte pour le caractère fonctionnel de la culture « le fonctionnalisme ».  Il estime que les éléments constitutifs de la culture auraient pour vocation de satisfaire les impératifs fondamentaux de l’homme comme les institutions, qui ne sont que des éléments qui forment la culture[11]. Pour B. Malinowski, la culture est un système d’organisation que chaque société invente pour satisfaire ses besoins élémentaires, qui sont évolutifs. Ils répondent aux besoins de développement d’une étape donnée de l’évolution historique d’une société donnée[12]. De son côté, la psychologie culturelle s’est intéressée à la relation entre la culture et l’individu, comment les individus l’intériorisent en devenant porteurs de culture, et réagissent dans leur milieu culturel et contribuent au changement de leur culture au cours de sa transmission[13].  Ainsi,  chaque culture se traduit à travers la personnalité de l’individu qui la porte. S’inspirant du structuralisme, le linguiste de F. Saussure, l’anthropologue structuraliste Lévi-Strauss définissent la culture comme « un ensemble de systèmes symboliques, au premier rang desquels se plaçait le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects  de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalités entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres»[14]. Lévi-Strauss estime qu’on peut appréhender la culture d’une communauté en dehors de ses individus, en étudiant ses institutions, ses coutumes, ses traditions et son système symbolique.  Comme on vient de le voir, la notion de culture est loin d’avoir une seule définition, elle varie selon le temps et le regard sous laquelle elle est appréhendée.  Si on reconnait la spécificité de la culture de chaque peuple et qu’on plaide que celle-ci doit être respectée et prise en charge, il n’en demeure pas moins que cet aspect de spécificité de la culture sera utilisée à des fins idéologiques.

[1] MONGALEF.R., « Education, goût et culture », in MOUCHTOURIS A (dir.), Culture et pratique culturelle, Perpignan, P.U.Perpignan, 2009, p. 55.

[2] ARENDT Hannah, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 2007, p.272.

[3] Ibidem.

[4] VINSONNEAN Géneviève, L’identité culturelle, Paris, Ed. Armand-Collin, 2002, p. 19.

[5] MORIN Edgar, La Méthode, Paris, Editions du Seuil, 2001, p. 189.

[6] CICERON, cité par ARENDT Hannah, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 2007, p.271.

[7] Op. cit., VINSONNEAN Géneviève, 2002, p.19.

[8] Ibid, p.23.

[9] BOAS Franz, cité par VINSONNEAN Géneviève, 2002, p.19.

[10] Op. cit., VINSONNEAN Géneviève, 2002, p.24.

[11] Ibid, p.26.

[12] NGUYEN Thi Hanh Trang, « Dynamique sociale et transformation culturelle », in MOUCHTOURIS A (dir.), Culture et pratique culturelle, Perpignan, P.U.Perpignan, 2009, p. 155.

[13]Op. cit., VINSONNEAN Géneviève, 2002, p.27.

[14] Ibid, p.40.

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