Éloge des langues régionales

Le rêve, la préconception, l’intuition, l’intelligibilité, la cognition et la spontanéité discursive se produisent et se traduisent dans et par les langues régionales qui demeurent, majoritairement, scotomisées. Elles sont condamnées au mutisme. Un mutisme légitimé au profit de la vocalisation d’une/des langue(s) imposée(s) délogeant la naturalité de la rêverie, le flottement de la bizarrerie et la magie des mots. Des mots professés jaillissent de l’esprit sans manipulation, sans sophistication et sans aucune manutention. Ces langues ne lient pas uniquement les mots aux choses, mais également les mots à la pensée et la pensée à l’émotion. Ces mots sont un geste d’esprit et une poésie de l’âme, en effet. Quand nous parlons, nous exprimons un sentiment tonitruant, un langage profond et un tréfonds.

Les langues-cultures régionales sont un antalgique et une panacée magique ; elles traduisent aisément la pensée, aident immensément à penser et construisent profondément la pensée. Elles autorisent l’imaginativité, désemprisonnent la créativité et manifestent l’émotivité. Des variations patentes font surface dans les allocutions  des sujets parlants exprimant leur idole et leur idéal où l’expression fidèle et l’expressivité fétiche se construisent concomitamment et la robustesse de la parole et la promptitude de la pensée s’embrassent fortement. Nous convoquons le verbe « dire » et le substantif « cuillère » pour élucider cette variation linguistique intrinsèque : « dire » : [gal] , [qal] , [a :l] ; « cuillère » : [moġRaf] ; [moqRaf] ;        [m’ġiRfa].

Les ouvrages chantiers de la psycholinguistique et de la neuro-didactique explicitent le modèle escalier ou « le module du langage »[1] relatif à la langue maternelle constituant une inférence procédurale, sustentant la cogitation et gouvernant les actions. « Il est évident que la réflexion métalinguistique d’un apprenant de LE est alimentée par les savoirs (linguistiques, référentiels, conceptuels, pragmatiques…) qui relèvent de la maîtrise de sa langue maternelle. »[2]

En minorisant la langue régionale, les composantes linguistiques retenues en mémoire ne sont pas activées, car l’opération cérébrale de traitement de l’information -appelée procéduralisation- implique une dépense de ressources attentionnées et implantées dans le cerveau.

Cette langue, enfin, n’est pas uniquement des préceptes prescrivant l’ordre des mots ou un palmarès de mot d’ordre mais elle est aussi une expression de la cogitation, une expressivité des émotions prégnantes et une verbalisation d’un langage inhibé et d’un (in)confort ressenti. La valorisation des langues régionales autorise le pouvoir des mots sur les mots du pouvoir, désenclave l’imagination qui a un rapport à soi et à un monde inexploré et sécurise le linguistique[3] via un processus de rétroaction. Elles constituent le cordon ombilical, le cœur battant et le cortex cérébral.

Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

[1] Selon N. Chomsky, il existe une quantité de règles sous-jacentes et communes à un bon nombre d’idiomes.

[2] Peter Griggs, Rita Carol et Pierre Bange, La dimension cognitive dans l’apprentissage des langues étrangères, dans Revue française de linguistique appliquée, 2002/2, Vol. (5), pp. 25-38. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2002-2-page-25.htm

[3] Contrairement à l’insécurité linguistique qui entraîne l’inconfort caractérisant le comportement d’un locuteur non natif.

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