Autour de la culture (2ème partie)
B. Culture et ses enjeux identitaires
En 1774 J.J.Herder réfute l’universalisme des philosophes des lumières et préconise la singularité de l’histoire, de la culture de chaque peuple[1]. Chaque groupe humain a ses caractéristiques culturelles propres. Mais cette spécificité de la culture ne tardera pas à faire l’objet d’enjeux identitaires. Elle sera utilisée à des fins idéologiques, pour montrer la supériorité d’une population à une autre, pour des revendications identitaires. Cette conception guidée par la fierté nationale, est en adéquation avec le mode ethno-racial qui a permis l’édification de l’Etat-Nation comme l’écrit G. Vinsonnean (2002, p.21) : « le glissement entre des particularités d’une culture et l’affirmation de la supériorité de celle-ci exprime la montée du nationalisme ». Au XVIIIème siècle, le mot kultur au sens figuré fait son apparition dans la langue allemande. Il ne tarda pas à devenir un enjeu politique dans le sens que la bourgeoisie allemande maintenue à distance du pouvoir qui s’est approprié le terme, l’instrumentalise pour se confronter, s’apposer à l’aristocratie de la cour. Ce conflit intra-national en Allemagne entre l’aristocratie de la cour qui prône la civilisation et les bourgeois intellectuels qui, eux s’attachent aux valeurs positives, c’est-à-dire aux valeurs fondées sur les connaissances scientifiques, artistiques, philosophiques ne tarda pas à se déplacer vers un conflit entre nations. Ainsi, progressivement, la conception ethno-raciale qui a présidé à la fondation de l’Etat-Nation s’impose. Bien que les travaux des biologistes tel que Darwin ont montré l’unanimité cognitive de toute considération raciale[2], il ne demeure pas moins que la théorie de l’évolution a été détournée et a été utilisée à des fin idéologistes, nationalistes comme c’est le cas en Allemagne avec le nazisme. Ce modèle de culture a amené aussi les chercheurs archéologues, ethnologues et historiens à s’interroger sur l’origine des peuples tels que les Germains, les Celtes, les Grecs les Juifs, les Arabes…[3]Ainsi, par exemple, le berlinois G. Kossinna, parti en quête des origines germaniques fut le premier à développer la théorie « Culture archéologique, un peuple », une théorie qui se résume à identifier un peuple à partir seulement d’objets archéologiques. Il considère « les provinces culturelles nettement délimitées sur le plan archéologique, coïncident à toutes les époques avec des tribus ou des peuples bien précis »[4]. Ce lien « culture archéologique », « peuple » ou « ethnie » appliquée pour l’archéologie protohistorique, considérée comme la science des origines germaniques n’est pas sans un sentiment nationaliste[5]. Ce modèle appliquée par G. Kossinna n’est pas sans rapport, du moins implicitement avec le modèle biologiste développé par Darwin à la même époque. La notion de « sélection naturelle » qui a été élargie à tort aux sociétés humaines d’homo-sapiens par les archéologues et les ethnologues du XIXème siècle, qui voient que certaines sociétés humaines l’ont emporté sur les autres, a induit une vision réductrice de la théorie de Darwin. Bien que cette théorie soit décriée, cela n’a pas empêché les grandes nations à utiliser l’archéologie pour leurs constructions identitaires. Ainsi, pour affirmer leur identité nationale les Etats-Nations investissent beaucoup dans les sciences humaines telles que l’histoire, l’ethnologie et l’archéologie. A la fin du XIXème siècle, les archéologues dont la mission est d’établir l’histoire des nations auxquels ils appartiennent, ont spontanément et inconsciemment reproduit en archéologie le modèle de l’Etat-Nation défini par un territoire unique, une culture matérielle unique, une langue unique, un passé unique (souvent mystifié)[6]. La théorie évolutionniste qui est de rigueur au XIX siècle est l’œuvre des premiers ethnologues et anthropologues comme Tylor, qui préconise l’unicité de la culture. En s’interrogeant sur l’origine de la culture et de son évolution, Tylor construit une échelle hiérarchique des stades de l’évolution de la culture humaine en faisant recours à la méthode comparative. Pour lui les cultures des populations « primitives » contemporaines de celles des « civilisées » se présentent comme des survivances archaïques, dépassées par le progrès culturel[7]. Cette théorie qui préconise une hiérarchie entre les populations humaines : les peuples de tradition non occidentale (primitifs) sont en bas de l’échelle et les occidentaux (les civilisés) en haut de l’échelle. A ce propos P. Pick pense qu’ : « on touche là au pire des errements d’une idéologie forgée sur l’idée de progrès conçu par et pour l’homme occidental. Dans les zoos sont exhibés côte à côte des grands singes des peuples de « primitifs » ou de « sauvages », cannibales, Inuits, Canaques-, destinés à amuser le public européen »[8]. C’est dans ce contexte historique du XIXème siècle, imprégné de l’universalisme abstrait des lumières qu’a eu lieu d’ailleurs, sous la bannière d’une mission civilisatrice la colonisation des populations non occidentales. Quoi qu’il en soit E.B. Tylor fut le premier ethnologue à rompre avec les auteurs qui l’ont précédé qui, voyaient une différence de nature entre les primitifs et les civilisés. Ses observations ont permis de mettre en évidence que le caractère collectif de la culture acquise est présente dans toutes les sociétés humaines y compris celles dites « primitives »[9]. La théorie évolutionniste unilinéaire mise au point aux débuts de l’anthropologie qui préconise l’unicité de la culture, la périodisation des stades de l’évolution de la culture, alimentée d’une part par l’idéologie judéo-chrétienne qui voit en l’homme l’image de dieu ; et d’autre part par les philosophes des lumières, qui distinguent en la culture un élément transcendant la nature, a conduit à penser que la culture est propre à l’espèce humaine. Cette théorie préconisant que la culture est une caractéristique par laquelle l’homme s’arrache à la nature, c’est-à-dire se différencie de l’espèce animale est en train d’être dépassée avec les nouvelles découvertes de l’éthologie de terrain, de la primatologie, de la paléontologie et de la biologie.
[1] Op. cit., VINSONNEAN Géneviève, 2002, p. 21.
[2] SCHAEFFER J.M., La fin de l’exception humaine, Editions Gallimard, 2007, p.205.
[3]DEMOULE Jean-Paul, 2009, « Théorie et interprétation en archéologie », in Guides des méthodes de l’archéologie (3ème éditions), Paris, La Découverte, Coll. Grands Repères, 2009. p.223.
[4] Op. cit., KOSINA Gustave, cité par DEMOULE J.P., 2009, p.223
[5] SCHNAPP Alain, « Histoire de l’archéologie et l’archéologie dans l’histoire », in Guides des méthodes de l’archéologie (3ème éditions), Paris, La découverte, Coll., Grands Repères, 2009, p.25.
[6] Op. cit., DEMOULE J.P., 2009, p.223.
[7] Op. cit., VINSONNEAN Géneviève, 2002, p.22.
[8] PICQ P, Aux origines de l’humanité, Le propre d l’homme, PICQ P, COPPENS Y (dir.), Paris, Ed. Fayard, 2001, p.19.
[9] Op. cit., VINSONNEAN Géneviève, 2002, p.22.