François Rabelais ou l’éloge des langues et des cultures

La lettre de Gargantua à son fils Pantagruel n’est pas un fait hasardeux, mais un programme intellectuel prometteur, une missive de sagesse et de bonheur, une mission et une éducation humaniste. Cette lettre, ayant une visée didactique, coïncide avec l’effervescence de l’art et de la science : l’invention de l’imprimerie, le développement de la médecine, l’apogée de la pensée littéraire…

Qu’apprend-on ? Et comment ?

C’est à Rabelais que nous empruntons la réponse  pionnière et unique en son genre :

 « Je veux et j’entends que tu apprennes les langues parfaitement : premièrement la Grecque, comme le veut Quintilien, secondement la Latine, et puis l’Hébraïque pour les Saintes Lettres, et la Chaldaïque et l’Arabique pareillement ; et que tu formes ton style, quant à la Grecque, à l’imitation de Platon, quant à la Latine, à Cicéron.»

Les langues recommandées sont considérées comme langues mères, en l’occurrence le grec, le latin, l’arabe. Elles ont donné genèse à l’apparente diversité des langues, le cas du latin duquel sont dérivés le français, l’italien, l’espagnol… Quant à l’arabe, il connait aussi une pluralité linguistique (variétés/variantes) fort répandue, actuellement, sur toutes les poches géographiques. Rabelais, dans ce récit, recommande et souhaite un apprentissage efficient et efficace des langues, dont chacune a pour vocation pragmatique : « la Grecque » pour la rhétorique, étant représentée par la figue titulaire du rhéteur et du pédagogue latin Marcus Fabius Quintilien (1er siècle  apr. J.-C.) ;  « la Latine » et « l’Hébraïque » pour l’apprentissage du texte sacré. Ce programme éducatif vise l’équilibre entre le profane et le sacré, l’esprit et l’âme.

La stylistique est apprise par la mimesis des grands philosophes helléniques : Platon et Cicéron. Chacun des deux érudits représente une langue particulière : Cicéron (106-43) pour le latin et Platon pour le grec.

Cette pédagogie ne se limite pas aux langues, mais elle embrasse également les beaux arts. Soulignons que cette feuille programmatique montre la transition réfléchie des langues aux arts, dans la mesure où l’acquisition des langues précède a fortiori l’apprentissage des sciences. En d’autres mots, on apprend à parler d’abord, puis on parle de

« Des arts libéraux : géométrie, arithmétique et musique, je t’en donnai quelque goût quand tu étais encore petit, en l’âge de cinq à six ans ; poursuis le reste, et d’astronomie saches-en tous les canons. Laisse-moi l’astrologie divinatrice et l’art de Lullius, comme abus et vanités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes et me les confères avec philosophie. »

L’extrait rabelaisien  nous meut vers une pédagogie centrée sur le psittacisme et la réflexion « saches par coeur…me confère avec philosophie ». Effectivement, tout apprentissage rudimentaire se fonde sur une logique inductive/déductive, où le passage raisonné du partiel au total, du simple au complexe, de l’imitation à la création et du concret à l’abstrait est manifestement recommandé. « Je t’en donnai quelque goût… poursuis le reste. »

Dans la réflexion rabelaisienne se déploient une philosophie encyclopédique et une logique interdisciplinaire, qui sont explicitement traduites par un apprentis-sage approfondi et ouvert sur toutes les langues et tous les arts. Rabelais expose son idéalisme pédagogique bordé par la valeur de la connaissance (humanisme) et la vertu de la conscience (rationalisme), tel qu’il est élucidé par la formule monumentale : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Youcef BACHA, doctorant et jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

Référence : 

François Rabelais, Pantagruel, chapitre VIII, « Comment Pantagruel, étant à Paris, reçut lettres de son père Gargantua, et la copie d’icelles » (1532).

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *