La chanson algérienne : une fresque de langues et une orchestration de cultures
Le terme chanson apparaît pour la première fois au XIe siècle dans l’appellation de la chanson de geste, poème épique en décasyllabes ou en alexandrins.
Loin d’être un outil de plaisir, la chanson communique une pluralité linguistique frappante ; loin d’être un simple assemblage de mots psalmodiés, elle traduit une culture tigrée imitant la voix d’une génération et vocalisant « l’existant » d’une population. Elle peut être aussi un outil efficace pour l’enseignement/apprentissage des langues dans la mesure où l’enseignant met en place des capsules vidéo ou des morceaux audio pour débattre un thème déterminé.
Les mots qui y sont introduits peuvent être francs, tranchants ou caméléons décrivant une situation et se conjuguant en fonction de la multiplicité générique : le rock, le jazz, le rap, le slam…
La chanson de rap est, actuellement, fort répandue. Elle peut être un excellent support de communicabilité (inter)culturelle et d’intercompréhension, enveloppant des structures polymorphes comme couplet, refrain, strophe, laisse, canon… Elle peut être monodie ou polyphonie comme dans un choral.
La fourchette suivante extraite de la célèbre chanson de Soolking qui devient l’hymne de la jeunesse, car elle est catégorisée parmi les titres les plus écoutées au monde.
Liberté, c’est tout ce qui nous reste
C’est fini, le verre est plein. En bas ils crient, entends-tu leur voix ? La voix de ces familles pleine de chagrin, la voix qui crie, pour un meilleur destin.
« Liberté » revient comme un leitmotiv (refrain) tout au long de la chanson, conçue comme valeur universelle, morale et immortelle, a été écrite en écho à la restriction de son champ sémantique. Une liberté usurpée, violentée et ôtée. Ce maître-mot est repris en chœur qui galvanise les foules affolées de liberté. Aussi, le couplet mélodique est imprimé par un oxymore : pessimisme (chagrin) vs optimisme (meilleur destin). Cette tonalité « positivante » parachevant les strophes poétiques de la chanson suscite le plaisir chez l’auditeur, éveille son désir et sustente son espoir. Le chanteur ne met pas uniquement son auditeur dans un contexte harassant, mais il lui propose également une thérapie.
Il met en mots, en effet, l’existence acerbe d’un peuple chagriné et assoiffé de liberté. Une liberté incarcérée et enserrée. Par ses mots épurés et éplorés, il gagne son public en se proposant d’être à la fois un porteur de la voix et un acteur de la paix.
Par ailleurs, un nombre croissant de chansons sont égrenées de mots empruntés miroitant une pluralité linguistique patente et verbalisant copieusement le vécu d’une tranche sociétale. Comme le montre soigneusement cette séquence verbale extraite de la chanson de Cheb Bilal intitulée « Mi amor » qui évoque la langue de Cervantès, car ce mot est largement employé et communément entendu.
Mi amor
Mel el dania fik qlil
Icha bla bik difficile
Nahbel kon dqoli adieu
Rani nahki mani sérieux
L’injection des mots de la langue française dans les séquences musicales jouent une fonction poétique captivant l’attention de l’auditeur à travers la rime plate (adieu/sérieux). Le dialectal constitue la chape de base de la musicalité car les mots relèvent d’un registre familier qui miment la réalité sociale et vocalisent l’intention de l’auditeur. Le fait dialogique est bien remarquable : « Nahbel kon dqoli adieu ; Rani nahki mani sérieux », ce qui implique la présence de l’auditeur et convoque son inclusion dans le fait narré.
Le mot [gamil] relève du parler égyptien dont la phonie rime avec le mot « difficile ».
Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).
Référence bibliographique
Encyclopaedia Universalis. https://www.universalis.fr/encyclopedie/chanson/
Il y a eu pas mal de travaux sur ce sujet en Algérie que vous auriez pu au moins citer depuis 20 ans.