Écrit sur l’Art, Oratio pro Arti

C’est le moment où vous déchirez la vie en mille morceaux pour trouver parmi les débris, qui sont loin d’être innocents, la route qui mène vers le cœur des Hommes.  Ces derniers, face à ce que vous cassez- à moins que le travail ne soit déjà fait !- Tout en vous n’est que restes, épaves, faluns !  Mirent une esthétique déformée.  Et ne pouvant ajouter à ce désagréable inventaire de nos purges vaporeuses que de plats épithètes, ils vont pousser leurs insignifiance jusqu’à faire parler ce qui est dans la création est devenue une créature !  Sous l’œil attentif d’experts liturgiques qui expliqueront des années après, des siècles avant, le secret d’un coup de main sorti tout droit des entrailles nauséabondes d’un mortel éternel.

Les innocents n’ont pas leurs places !  Et il faut être de naissance douteuse !  L’art aime à tromper :  on ne voit, ni on ne vit la même chose !  Le doute est, le plus souvent, celui par qui tout commence !  C’est ainsi que naissent les arts et puis s’envolent !  Par l’homme, pour l’homme !  Au nom de quoi ?  De n’importe quoi ou n’importe qui accepte de coucher avec vos passions.  Il n’est pas innocent car le crime est parfait :  tuer par la vie son existence pour ressusciter son esprit !  En emportant ses secrets, ce mortel condamne vos yeux ou vos oreilles à errer dans les délices d’une bouleversante et unique, parfois universelle, génuflexion de vos essences !

Qu’est-ce l’esprit !  Un naufrage inachevé !  Le naufrage fut pour les esprits profonds le frêle esquif de la raison.  Attire les plus curieux vers l’immensité de l’existence.  C’est dans ces eaux que l’artiste plonge son pinceau ou son oreille.  Il lave ses troubles aux caresses du temps !  Serein et paisible, sa tête à peine hors de l’eau !  De cette affligeante posture, naîtra l’imagination !  L’art du naufrage !  Se laisse emmener vers les abîmes :  un sommet à l’inverse des autres, où la hauteur frappe celui qui aime regarder son esprit plonger dans le silence des secrets !

Qu’est-ce le secret !  Des oubliettes, sous la raison, où sont entassés ceux dont vous vous servez pour vous taire.  L’art est le reflet de ce que vous cachez.  L’art ni n’enferme ni ne libère, mais construit, jusqu’à la fin, ce que la parole déguise afin de donner à notre regard ce qu’il ressent !  [1] Dans son inéluctable marche l’Art, avec la plus grande peine, et à contre-courant, répare les temps.  Il a l’outrecuidance de changer les aiguilles passives des fidèles aux styles canoniques.  Il restaure l’immortalité.  Et permet à ceux que l’existence remue de rendre inoubliable leur fragilité. Lorsqu’on vient d’écouter du Mozart, même le silence qui lui succède est de lui[2], privilège du génie !

L’art, et l’essentiel des philosophies est là, agit sur la nature de l’existence.  L’art augmente la puissance d’être.  L’être humain, à travers l’art, fait l’effort de persévérer, pour reprendre le conatus spinozien ; un acharnement qui élève la raison et l’esprit.  Dieu, la nature, l’âme, le corps :  les quatre sédiments de l’art.  Aucune passion n’a jamais autant fait pour l’humanité que l’art.  Fussent-t-ils majeurs comme la peinture, la musique classique, la sculpture, pour s’étendre aux autres fioritures de l’esprit, telle que la rhétorique ou les philosophies.

Je n’aime pas le déguisement imperméable et hautain des connaisseurs !  Pourquoi ne parlerai-je pas de l’art comme d’un ami d’enfance !  Ce qui m’importe le plus se sont mes tripes !  Mes choix !  Ma liberté !  Si je ne trouve aucune originalité dans le sourire de Monalisa, pourquoi m’aplatir devant un parterre d’afficionados à louer un génie qui ne me fait répéter que des ouïes-dire.  On oublie que dans cette posture, elle ne peut être, éternellement, qu’assise, bras croisés, accrochée au mur !  Sans, pour autant, nier le génie de son géniteur !  Mais la frustration épidermique et la sensualité des pèlerins qui en parlent, m’exaspèrent au plus haut point !  Elle est là, elle n’a qu’à s’asseoir !  Moi je préfère le portrait de Un vieillard de Rembrandt, ou le Norham Castle, Sunrise de William Turner.  C’est une question de cœur !  Les spécialistes sont comme les racistes :  ils n’aiment pas mélanger les genres !  Ils classent, nomment, articulent, une litanie de nomenclature absurde !  Ils cherchent le plus petit écheveau d’originalité qui augmenterait la valeur, déjà historique et séculaire d’une toile, afin d’ériger les portes impénétrables d’une curie d’initiés, élitiste, mondaine et prédatrice.  La Monalisa n’a de génial, quand vous la fixez, que ce moment où, comme si elle est sur le point de parler !  Laissez-vous allez devant un tableau et le tableau viendra à vous !  Car c’est lui qui est le fruit d’un génie et c’est à vous de le cueillir, ce fruit, quand il sera à point ; pour paraphraser André Gide.

[1] Ajustée et inspirée, sur la parole prononcée de Talleyrand devant Napoléon qui fut, jadis, Premier Consule.

[2] Sacha Guitry.

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