Changer le « pouvoir symbolique » sur les langues minorées

Les représentations sociales exercent un pouvoir déterminant et un rôle décisif sur les langues, notamment celles de socialisation. Elles peuvent être valorisantes ou dévalorisantes, mais jamais objectivantes. En effet, elles établissent le lien entre « subjectivité et socialité »[1]

Ces représentations sont une réalité cristallisée, construite socialement et collectivement, comme le définit D. Jodelet : « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. »[2]

Pierre Bourdieu analyse les comportements langagiers des locuteurs qui sont souvent subordonnés à ce qu’il appelle la « police symbolique », car ces images caricaturales érigent et subordonnent les visions des locuteurs, portant sur les pratiques sociales, ou pour reprendre autrement la métaphore de « la pompe » de L.-J. Calvet qui absorbe et recrache les faits sociétaux.

Certains locuteurs se font des représentations négatives des langues premières ; d’autres y accordent des représentations positives. Par exemple, qualifier une langue de facile ou de difficile, de pure ou d’impure n’émane que de l’ordre représentationnel. Ces « champs représentationnels »[3] se traduisent souvent par des attitudes observables comme refuser ou d’accepter de parler une langue particulière dans un contexte déterminé ou comme discriminer des locuteurs en fonction de leur façon de parler.

L’exemple patent et frappant est l’arabe dialectal, dans le contexte algérien, qui est relégué au statut d’une langue minorée, bien qu’il soit parlé par la majorité des locuteurs, et l’arabe classique qualifié de langue sacrée ou pure, usé dans l’espace administratif et officiel, quoiqu’il ne soit pas la langue  d’usage quotidien.

Le changement ou le dépassement de ces « conduites organisatrices » est nécessaire pour qu’une langue soit reconnue et valorisée socialement. De nombreuses pistes sont possibles pour changer les attitudes, entre autres :

– travailler sur des supports différents qui sont écrits dans plusieurs langues, y compris les langues premières ;

– aménager le statut des langues premières, c’est-à-dire les valoriser politiquement ;

– cultiver l’altérité linguistique ;

– sensibiliser et conscientiser les acteurs sociaux, y compris les enseignants de langues, à l’importance des langues, notamment les langues premières en tant que langues véhiculaires ;

–  intégrer les langues premières dites minorées dans le contexte scolaire.

Le changement des représentations est important pour apaiser les tensions empoisonnées entre groupes sociaux et désemprisonner certaines parlures confinées dans des zones isolées et éloignées, car une « langue qui se ferme est une langue morte », [4] dont les locuteurs sont parfois discriminés et négativement catégorisés. Ainsi, ces langues ne sont pas uniquement des moyens de communication mais aussi sont des outils sur lesquels on s’appuie pour apprendre les autres langues.

 

[1] Denise JODELET, Les représentations sociales comme construction de la réalité ordinaire. Lien :  https://www.youtube.com/watch?v=zbMyMHbYcIk&t=931s

 

[2] Ruth AMOSSY et Anne HERSCHBERG PIERROT, Stéréotypes et clichés, Langue, discours, société, Paris, Dunod Editeur, 2015, p. 50.

[3] Patricia GARDIES, Stéréotypes et interculturalité : pistes pédagogiques, dans Henri Boyer (dir), Stéréotypes, stéréotypages : fonctionnements ordinaires et mise en scène. Tome 3, Education, école et didactique, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 101.

[4]  Foudil CHERIGUEN, Essai de sémiotique du nom propre et du texte, Alger, OPU, 2008, p. 21.

Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

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