La langue maternelle comme bouée de sauvetage

Les psycholinguistes ne cessent de corroborer le postulat de la spontanéité de l’acquisition  de la langue maternelle et d’enquêter sur son rôle décisif (impact/apport) dans l’apprentissage des autres langues. Les langues premières sont souvent dévalorisées, voire bannies, sous prétexte qu’elles ne sont pas dotées d’une grammaire normative et d’un lexique pur. Cette conception ou plutôt cette « représentation stéréotypisante » est bien présente chez les puristes, qualifiée des gardiens du temple, qui associent souvent une langue particulière à une considération religieuse ou une reconnaissance universalisante : langue sacrée, langue de la religion, langue internationale… Toutefois, aucune langue n’est pure ou supérieure aux autres ; elles s’enrichissent mutuellement et se dialoguent continuellement, tout comme les êtres humains, pour sur-vivre longuement. En effet, une langue qui s’isole est systématiquement vouée à s’évanouir : se sclérose, se fige et disparait progressivement. Cette présentation de la « sacralité » et de la « pureté » linguistique conduit la langue au figement et à la stagnation, voire la négation, comme certaines langues dans le monde qui perdent leur biologisation (naturalité  linguistique) à cause de leur sophistication (la langue du laboratoire) comme l’esperanto.

En nous appuyons sur la linguistique saussurienne, nous définissons la langue comme « produit de la faculté du langage et conventions nécessaires, adoptées par le  corps social… »[1] Les concepts « langage » et « conventions » déterminent toute langue acquise inconsciemment, depuis la prime enfance, et implantée substantiellement dans la structure profonde du cerveau comme entité biologique par laquelle se développe la cognition de l’enfant. Et c’est à l’autre de cette langue que s’éclaircit l’apprentissage de la langue seconde et étrangère. Car les langues partagent des propriétés communes, prendre appui sur la langue première peut clarifier les mécanismes linguistiques des langues secondes/étrangères. Comme l’affirme G. Vigner : « On n’apprend jamais une autre langue que par rapport à sa propre langue. »[2]

Pour mettre en place cette approche intercompréhensive des langues, il convient de répertorier les langues selon des modalités descriptives communément partagées. Nous distinguons, en ce sens, les langues isolantes qui sont constituées de lexèmes invariables, mono-polysyllabiques, sans morphologie… tels le chinois et le birman ; les langues flexionnelles qui sont des langues synthétiques comme le hongrois, l’albanais… les langues agglutinantes se caractérisent par l’accumulation de nombreux affixes autour d’un radical, le cas du turc et du finnois…

Nous pouvons nous appuyer également sur l’apport de la grammaire comparée pour mettre en relief les convergences-divergences co-existantes entre les langues dont le principe crucial est d’éclaircir une langue par une autre dans une foule de cas : syntaxe, lexique, grammaire…

L’incessant aller-retour ou le transfert positif d’une langue à l’autre développe une compétence métalinguistique clarifiant les apprentissages linguistiques et une réflexivité béante sur la modalité d’appropriation en passant du simple au complexe, du connu à l’inconnu et de l’endogène à l’exogène.

Enfin, appuyer la conscience linguistique de la langue à apprendre sur l’inconscience linguistique de la langue acquise permet de (re)dynamiser les apprentissages et de renforcer les acquis. L’enseignant s’appuie sur le déjà-là de l’apprenant pour faciliter le contenu d’enseignement et mobiliser ses ressources cognitives, qui sont profondément implantées et développées profusément dans le la boite noire par l’entremise de la langue maternelle. Et c’est dans cette langue que se joue le développement de la langue de la métacognition.

 

Youcef BACHA, doctorant et jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).

[1] F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Talantikit, 2002, p. 17.

[2] G. Vigner, Le français langue seconde, Hachette, 2009, p. 132.

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