SUMMUM JUS, SUMMA INJURIA

HOMMAGE  AU REGRETTE DEFUNT LAKHDAR BOUREGAA 

«Si l’on écarte la justice, que sont les royaumes, sinon de grands brigandages ! »

Saint-Augustin d’Hippone (354-430) « la Cité de Dieu »

« La justice prime l’observance religieuse ! »

Sidi al Hassan Ibn Messaoud Al Youssi (1630-1691) au Sultan Moulay Ismaïl (1612-1727). (In Mohamed Chafik – Liberté du 20 AOÜT 2011)

 

Aammi Lakhdar n’est plus. Allah Y Rahmou Bi Rahmatihi.

Cette Contribution se veut un modeste hommage à la mémoire d’un homme de bien qui a fait de sa vie un exemple de courage, d’abnégation, de permanence, dans la loyauté et la fidélité à ses croyances, ses espérances et son existence en tant qu’être humain, d’abord, et d’Algérien amazigh ensuite.

Parmi ceux qui l’ont connu, côtoyé, qui ont vécu avec lui, autour de lui, il faut espérer qu’il y en ait qui peuvent écrire sur lui, décrire sa vie dans le détail et laisser à la postérité ce que les autres ne savent pas de ce grand homme. L’auteur de ce texte l’a rencontré à plusieurs reprises, mais ne se considère pas avoir l’honneur de le connaître, ces rencontres ayant toujours été occasionnelles ; il n’en demeure pas moins qu’elles ont toujours été cordiales et enrichissantes.

L’objet de ces lignes n’est qu’un simple hommage afin que nul n’oublie que le Combattant de la Liberté qu’était Si Lakhdar Bouregaa a été embastillé à plusieurs reprises par les siens, ceux que son combat, ses luttes, ses sacrifices personnels et ceux de millions d’autres qui, comme lui, ont contribué à porter au pouvoir,  ceux-là même qui ont ordonné, cautionné, accepté et exécuté les décisions qui ont mené à ses diverses arrestations et mises en détention à plusieurs reprises depuis 1962 jusqu’à 2019.

Il est temps de dire et de décrire que les accusations portées contre lui se résumaient et se résument seulement au fait d’avoir eu le courage de ses opinions, de sa liberté, de sa qualité d’homme sans concession sur le chapitre de son combat pour que l’Algérie vive libre, démocratique et dans l’honneur pour tous ses enfants sans distinction.

Les chefs ou les complices de ceux qui ont agi contre Si Lakhdar ont fait pire avec l’aide, la complaisance et les actes d’autres séides : ils ont tenté de salir l’homme propre. Ils ont voulu jeter aux chiens  sa vie, son honneur et sa dignité  par l’utilisation criminelle des moyens de communication de la république utilisés sans vergogne pour semer de fausses informations sur lui, poussant l’outrecuidance jusqu’à l’accuser d’usurpation d’identité et d’usurpation de la vie d’un autre maquisard, voulant probablement aller jusqu’à l’accusation de faux et usage de faux, usurpation d’identité et que sais-je encore de ce que pouvait inventer des cervelles malfaisantes. Heureusement, l’infamie a des limites et il n’ont pas eu le courage d’aller jusque-là.

Le peuple algérien, de lui-même, sur le champ et avec une unanimité qui en dit long sur ses qualités et son intelligence, a rejeté les pierres sales et malsaines, puant le mensonge, la calomnie et le parjure qui ont été lancées contre Si Lakhdar.

Mais pour autant, est-ce que le mal a été extirpé des esprits malfaisants qui en ont été les auteurs, co-auteurs, complices ?

Est-ce que des procédures judiciaires ont été actionnées en vue de faire rendre gorge à ceux-là ?

Est-ce qu’il y a eu un magistrat, un procureur de la République, un procureur général, parmi ceux qui ont été tellement utilisés pour embastiller et réprimer des innocents. Qui a osé s’autosaisir, conformément à la Loi, pour rechercher, poursuivre et condamner les auteurs, co-auteurs, complices de ce crime contre l’honneur d’un homme digne de figurer parmi les meilleurs fils de l’Algérie  éternelle?

NON, bien sûr et toute l’Algérie, tous les Algériens d’ici et d’ailleurs, connaissent la réponse à ces questions : c’est l’un des objets de cette contribution.

Bien plus, ceux-là même qui se sont rendus coupables des dénonciations calomnieuses et des fausses accusations relatées ci-dessus, ont eu l’indécence de présenter leurs condoléances à la famille de Si Lakhdar après sa mort, osant même des louanges pour le héros décédé alors que, vivant, ils l’ont couvert de tous les maux, l’ont mis en prison pendant 6 mois et, comble de l’ignominie, l’ont condamné à une amende dérisoire certes, mais prononcée par des juges aux ordres.

Il est difficile à l’auteur de ces lignes de parler de ce grand Homme sans  commencer par le commencement. Concernant Lakhdar Bouregaa, sa biographie reste à écrire et devrait commencer à sa naissance, passer par la période de sa vie sous la colonisation et ses années de jeunesse et d’engagement, les luttes et les souffrances de l’homme d’honneur qui, les armes à la main dans la katiba Zoubiria qu’il a commandée,  le Conseil de la Wilaya IV historique dont il a été un membre hautement significatif et, enfin, les années sombres qui ont débuté pour lui à l’Indépendance de l’Algérie, pour continuer, pour lui  jusqu’à sa mort, et pour notre beau pays jusqu’à la victoire du peuple. Tout cela a généré pour le défunt tant de luttes, tant d’enfermements et tant d’affrontements sans que jamais, jamais, il n’ait eu aucun reniement ou défection à ses principes  et que jamais un marchandage n’a existé de sa part.

La dernière arrestation de Monsieur Lakhdar Bouregaa  et sa mise en détention, pour ne pas dire son enlèvement et la séquestration dont il a été victime, précédant de peu les boules puantes des informations portées contre lui notamment par la Télévision Nationale constituent une page particulièrement honteuse pour ses auteurs de la cabale menée contre lui.

Lakhdar Bouregaa, un ancien vrai héros de la Guerre de Libération nationale, alors âgé de 86 ans, a donné la preuve d’une vraie tache indélébile à jamais présente sur tous ceux, à quelque niveau de responsabilité qu’ils soient dans les échelons de la hiérarchie qui a mis en mouvement contre lui la cabale et la désinformation :

  • les services de sécurité qui ont amené à son enlèvement présenté comme une arrestation ;
  • le parquet de la République qui a avalisé cette forfaiture et requis son inculpation, puis sa détention ;
  • le ou les magistrats qui ont ordonné son incarcération d’abord et ensuite sa condamnation après plusieurs mois de prison injustes et inutiles ;
  • les moyens d’information publics qui ont déversé un flot de mensonges sur lui sans aucune retenue.

A partir de quel niveau s’arrête la discipline et commence la forfaiture ? Si Lakhdar vous attend au lieu où vous arriverez inéluctablement un jour, comme chacun de nous,  et vous ne pourrez pas lever les yeux pour regarder la victime de vos actes car vous serez sous l’œil de Dieu.

Quelle humanité peut caractériser ce magistrat qui, regardant en face un vieil homme, cet ancien Combattant dans la voie de l’honneur, de la dignité et de la liberté, qui n’a ni volé, ni frappé, ni blessé, ni tué, et qui décide de le mettre sous mandat de dépôt sans aucun égard ni pour son âge, ni pour son passé, ni – encore moins et surtout – pour son innocence.

Admettons un seul instant que les instructions reçues par ce magistrat soient réelles et qu’il aurait eu à craindre pour son avenir professionnel : cela lui serait-il suffisant pour l’amener à en perdre tout sentiment d’humanité, de courage, d’honneur et de probité. Au lieu de décider de l’incarcération du héros, de l’innocent, du vieillard, il pouvait prendre éventuellement la décision de laisser Monsieur Bouregaa chez lui ou, au pire,  sous contrôle judiciaire alors et surtout que le Code de Procédure Pénale souligne avec force que, en matière de détention provisoire, la liberté est le principe et la détention l’exception et seulement si le concerné ne remplit pas les conditions précisées par le texte ?

Nous parlons de droit et de justice, là. C’est le lieu d’être plus didactique.

Le Professeur Carbonnier que les juristes de mon âge connaissent bien pour l’avoir lu et étudié présentait l’adage romain en titre de cette contribution comme ayant été imputé à Cicéron. Il a été présenté comme un proverbe qui courrait les rues de Rome pour critiquer le juridisme d’apparence qui y régnait, en avant-plan d’actes sournois et de violations répétées des lois et adages ancestraux commis par ceux-là même qui ont la charge de dicter et de faire la Loi ainsi que de rendre la justice.

Cicéron démontrait  déjà à ces gens qu’il combattait que « tout ce beau système de droit dont vous vous prévalez n’est que négation du droit, injustice suprême » : c’est en gros la traduction de l’adage romain. Il est d’abord destiné à rappeler aux détenteurs du pouvoir interpellés,  au niveau de tous les perchoirs qu’ils occupent, qu’ils y aient été placés là par les tenants du pouvoir, soit par erreur et maintenus par oubli ou qu’ils y soient installés par la fraude et la rapine ou encore par le fait du  hasard de la courtisanerie et de la corruption.

Ils sont les premiers à claironner que la loi, (pensant « leur » loi), doit être respectée et appliquée. Ils déclarent placer au premier rang de leurs préoccupations la Constitution (la leur aussi),  celle qui existe ou celle qu’ils entendent se tailler, l’ancienne comme la nouvelle, en dehors de la volonté populaire qu’ils ont dévié, trahie ou violée.

Ils sont aussi les premiers à en ignorer le texte, les principes, à la violer, à la contourner, à la manipuler, au seul bénéfice de leurs intérêts, de leur volonté, de leur opinion.

Dans cette veine, on peut, sans aucun doute, rapprocher de l’adage latin cité en titre de cet écrit la formule arabe « KOULOU MA BOUNIA ALLA  LBATEL FA HOUA BATEL » (est nul tout ce qui a été construit sur le nul) qui est aussi un autre pendant du « FRAUS OMNIA COROMPIT » latin (la fraude corrompt tout ce qu’elle touche).

En l’occurrence, la fraude constitue aussi un vol et un viol. Ils existent à tous les niveaux du Pouvoir.

Les composantes du Pouvoir Politique qui sévissent en Algérie depuis l’Indépendance confisquée, y compris ceux qui aujourd’hui cherchent à se recycler, de même (mille fois hélas) que la majorité apparente des magistrats, piétinent allègrement la Constitution, la Loi et le Droit en créant un faux nouveau droit grâce à des lois scélérates pour se revendiquer d’un juridisme tatillon qui, en réalité, n’est que de façade et fraude au droit : le peuple a raison de crier « MA KANCHE CHARIAA ! ». C’est vrai : il n’y a pas de légitimité même si vous prétendez (faussement) qu’il y a légalité, étant précisé que celle-là ne peut procéder que de celle-ci.

Il était à espérer que le changement intervenu au sein du Syndicat de la Magistrature allait être de bonne augure car il s’inscrivait, au départ, en droite ligne des revendications du Hirak en général et, en particulier des femmes et des hommes de robe (magistrats, avocats et autres professionnels du droit)  tels qu’ils sont censés appartenir  tous à la grande famille judiciaire.

Les avocats se sont formidablement engagés, à titre individuel devant la frilosité de leurs organes représentatifs, dans la défense de tous les prévenus subissant la répression pour avoir exercé leurs droits d’exprimer leurs opinions, de manifestation pacifique librement et des journalistes pour un exercice libre de leur profession.

Chaque génération a eu sa période. Dans cette Algérie rebelle, les siècles passent et chacun d’eux nous laissent des raisons de fierté,  de liberté et d’actions: autant ceux d’avant ont combattu et résisté contre les occupations étrangères, ceux de 1954 ont donné leurs vies pour la liberté du pays,  ceux d’après n’ont fait que continuer le combat pour la grandeur du pays et le droit de chacun d’y vivre libre. Je parle des hommes et des femmes libres, qu’ils soient politiques ou professionnels.  Il y eût les Jugurtha et les Dhyhia, il y eut les bandits d’honneur de la Kabylie, des Aurès, les Zaatchas et les Ouled Sidi Cheikh. Plus près de nous, le printemps berbère qui a enfanté les Sadi, Ait Djoudi et autres Khelil (ils étaient quarante, chantait le regretté Lounès Matoub), ensuite les étudiants de l’Université d’Alger, brillants, courageux, téméraires. Après l’odieux assassinat de Kamal Amzal, sont venues les arrestations d’Abderrezak (fils du Colonel Haouas), d’El Kadi Ihsène, Arezki Ait Larbi, Mustapha Bacha  et autres Mustapha Benkhemou (tous leurs noms ne me reviennent pas, mais ceux qui sont ici nommés peuvent en parler) et leur incarcération à El Harrach.

Ainsi qu’on le constate, ce n’est pas nouveau. Comme dit Ait Menguellet, « chaque génération arrive en son temps pour combattre le feu allumé ». Il a été pour tous un grand bonheur que Lakhdar Bouregaa (Que Dieu ait son âme) ait côtoyé ceux de la dernière génération, celle de Khaled Drareni, Samira Messouci et autres Mohamed Tajadit (quel beau nom que celui-là !).

Avant de s’en aller rejoindre ses compagnons de la Révolution de 1954  dans le Paradis des Justes, il a aimé les jeunes qui l’ont vénéré dans la même prison : je suis sûr qu’il ne sera jamais oublié.

Les avocats aussi étaient là. Ils l’étaient durant la Guerre de Libération nationale et avant et, d’Ahmed Boumendjel jusqu’à Pierre Popie, en passant par Ait Ahcène, Bentoumi et Ben Abdallah, sans oublier les Gisèle Halimi et autre Jacques Vergès et d’autres et d’autres. Leurs noms, même s’ils sont rarement écrits quelque part, ne figurent pas dans un Panthéon algérien : pourtant, ils y auraient incontestablement leur place.

Mais ceux de la génération d’après étaient aussi et encore là durant les années 1980-1988. Beaucoup d’entre eux sont encore vivants, même s’ils sont vieux, et c’est la raison pour laquelle je ne les nommerais pas, par respect pour ce qu’ils ont fait et parce qu’ils le considèrent comme un devoir : ils n’en ont jamais tiré gloire ou honneur et cela aussi était normal.

Quand bien même leurs noms, leurs images n’aient figuré dans aucun média de l’époque compte tenu des circonstances (il n’y avait pas les réseaux sociaux d’aujourd’hui, ni les vidéos sur internet.) L’Histoire retiendra le fait de la permanence de leurs justes combats pour de justes causes. Mais les jeunes d’alors qu’ils ont eu à défendre, côtoyer, encourager, notamment par les visites au parloir de la prison,  les connaissent et ne les ont certainement, ni eux, ni leurs familles, oubliés : si vous les interrogez, ils vous en parleront certainement.

Ces avocats sont encore là, aujourd’hui avec une la génération des Abdelghani Badi, Zoubida Assoul, Mustapha Bouchachi et autres Nabila Smail et d’autres et d’autres. A la différence des anciens et grâce aux médias, aux réseaux sociaux, ceux-là sont vus, entendus, appréciés et aimés : c’est normal et ils le méritent. Leurs aînés les aiment aussi parce qu’ils  leur rappellent leur jeunesse et ses combats.

Les uns (les anciens) et les autres (les contemporains) ne peuvent être  tous cités par leurs noms : ceux qui sont portés ici sont leurs représentants dignes et parlent au nom de tous les leurs au titre de chaque génération.

Ces rappels sont de l’histoire. Mais c’est une histoire vraie, celle de l’Algérie éternelle qui trouve toujours dans ses enfants l’honneur et la dignité qui est la sienne même si, en face, il y a autre chose : mais le vieux proverbe paysan dit bien que tous les champs ont aussi des épines et des mauvaises herbes.

La vérité oblige l’histoire à dire et regretter profondément que la magistrature, qu’elle soit du parquet ou de jugement, n’a brillé, sous réserve d’exceptions vraiment exceptionnelles qui se comptent sur les doigts de la main, depuis longtemps dans notre pays,  que soit par une obéissance aveugle et fidèle au pouvoir exécutif, soit en se considérant et en agissant en tant que boîte à outils du système de gouvernance par la répression qui a été l’apanage des détenteurs du pouvoir algérien depuis 1962, elle représente la grande déception du peuple algérien.

Cette magistrature dont la mission, logiquement et professionnellement bien comprise,  est de rendre la Justice qui détient le pouvoir et les moyens légaux et légitimes de remettre les choses en place : c’est sa responsabilité et sa mission, c’est son honneur,  de faire en sorte que la voix de la victime (saouth el madhloum) lui parvienne et soit entendue. C’est elle qui a le pouvoir, oui, le POUVOIR de remettre les choses en leur état normal, JUSTE. FORCE EST DE RECONNAITRE QU’ELLE NE L’A PAS FAIT. Bien au contraire, à de rares, très rares,  exceptions près, cette magistrature n’a pas donné au peuple algérien les raisons d’en être fier.

En effet, cette même vérité qui nous oblige à écrire cela, ne saurait accepter ou permettre que l’on oublie les noms de ces magistrats (quelques-unes et quelques-uns seulement), d’autant plus remarquables et honorables qu’ils ont payé chèrement et au comptant le prix de leur indépendance et de leur honneur par des mesures de vengeance iniques des tenants du système (mutations, suspensions, révocations) qui n’ont été ni publiées, ni assumées par leurs auteurs.

Ceux-là sont la fierté de leur corps, même s’ils sont peu nombreux : ils n’en ont que plus de mérite et ils ne sont pas responsables du fait que leurs collègues auront manqué de courage, voire d’honneur.

En effet, ni l’attaque subie par les magistrats de la Cour d’Oran, ni les poursuites et les menaces proférées ou mises en œuvre contre des membres du Club des Magistrats, ni la soumission du Syndicat National de la Magistrature, ni la retenue des organes officiels de la corporation des avocats, n’ont été en mesure de redonner aux institutions judiciaires la moralité et l’honorabilité qui doivent être les leurs.

Le constat amer de cette réalité démontre  que, dans leur grande majorité, les magistrats sont loin de se délivrer de  la complaisance au téléphone et/ou d’une auto-obéissance à des volontés supérieures exprimées sous forme d’ordres exécutoires ou d’indices interprétés comme des souhaits des chefs auxquels il faut obéir: il est bien connu que l’autocensure est bien plus néfaste que la censure.

Avec ce qui a été écrit sur Lakhdar Bouregaa, l’affaire Khaled Drareni est un autre exemple d’une rare limpidité et d’une fracassante actualité.

Le courage de ses opinions et le courage de les afficher est, en Algérie, une denrée qui se fait de plus en plus rare au sein des corporations de ceux qui ont théoriquement la charge de porter et soutenir l’information crédible, honnête et sérieuse. Les journalistes n’échappent pas non plus à la règle de la sélection par le vide : si certains ont tenu à leur honneur et le paie cher, d’autres continuent à faire le dos rond et écouter les faux serments et les ventes concomitantes du pouvoir.

Khaled Drareni demeurera le symbole de la rectitude, de la droiture et de l’honneur des journalistes : en digne fils de l’Algérie, il a balayé publiquement les pressions et les menaces qu’il a subies, étant précisé qu’il savait parfaitement ce qu’il risquait et assumait en tant que tel. Cet homme debout a tenu alors que le système revanchard exerçait une vengeance inutile contre un homme libre qui le demeurera.

Il faut sacrifier à la vérité et répéter qu’il n’est pas le seul, heureusement et chacun de ceux qui liront ce papier aura d’autres noms à l’esprit,  de Karim Tabou à Fodil  Boumala et de Samira Messouci à Mohamed Tadjadit, les noms de nos jeunes héros ne seront pas oubliés.

Ces réalités sont une constante des Algériens, toujours renouvelée, le dernier acte ayant commencé le 16 Février 2019 à Kherrata pour se répandre sur l’ensemble du territoire ainsi que dans le Monde de la diaspora, malgré plus de répression et de rigueur que par le passé, ce qui amène un observateur objectif à se demander, à juste titre, concernant les gens du Pouvoir,  si celui qui est venu n’est pas pire que celui qui est parti.

Naïveté mise à part, c’est bien le constat amer de la réalité : la brutalité des tenants du pouvoir aujourd’hui, leur déni des vérités du pays ajoutés à une incompétence évidente, les empêche de définir une stratégie politique sérieuse.

Cette situation leur évite de tirer les conséquences réelles des actes et des faits marquants de ces dernières années  qui constituent des exemples, ni isolés, ni plus importants que ceux qui, inévitablement, vont certainement se reproduire, voire se durcir et se cristalliser pour compliquer encore davantage la situation qu’ils auront à gérer.

  1. La mort tragique du Docteur Fekhar n’a pas été seulement, comme cela a été soutenu, le résultat négatif du travail des médecins : il est certain que ces derniers ont fait ce qu’ils pouvaient pour tenter de sauver leur confrère qui s’était mis en grève de la faim en sachant parfaitement ce qui pouvait lui arriver. Elle peut objectivement s’analyser au plan du droit comme le résultat d’une condamnation à mort qui n’a pas dit son nom et qui aurait pu être ordonnée par les magistrats qui ont connu du dossier. Même si elle n’a pas été prononcée en tant que peine dans un jugement, toute personne censée est en droit, de penser que ce sont les magistrats qui, en ordonnant la mise en détention de Monsieur Fekhar, puis refusé de le faire libérer et/ou de le transférer pour le faire soigner,  ont créé les circonstances qui ont amené sa mort ; ils auront été, pour le moins, les exécutants d’une décision politique qu’ils se refusent de dévoiler, ayant entraîné sa mort : qu’ils soient du siège ou du parquet, ils ont appliqué ce qui leur a été ordonné (ou suggéré) ou qu’ils se sont imaginé faire pour plaire à ceux d’en-haut. Dans cette affaire, il est incontestable qu’ils n’ont pas, sereinement, appliqué la loi objective, impersonnelle et de droit, à laquelle, en leur âme et conscience, ils ont prêté serment à leur prise de fonction. C’est l’exécution d’un oukase qui leur a été ordonné ou qu’ils se sont cru en mesure de penser que tel était le souhait des puissants du moment : la suite et le résultat, on le connaît.
  2. Monsieur Issad Mabrouk, alors qu’il venait d’être élu à la tête du Syndicat National de la Magistrature au lieu et place du zélé Djamel Laidouni, avait fait part, à son arrivée, de sa vision de la justice et soulignait que cette dernière doit être indépendante et libre de faire son travail, ajoutant qu’aucune pression venant de quelque personne, institution ou intervenant à quelque titre que ce soit, ne serait acceptable de ses pairs. Encore aurait-il fallu qu’il soit convaincu que lui et ses collègues soient conscients de leur responsabilité autant morale que professionnelle : le chemin est encore long sur ce tracé et nos magistrats ont certainement moins besoin d’indépendance que de formation, de cœur et de courage. La volte-face que ce Syndicat a opérée après un mouvement de grève subitement éteint relevait de l’effet mangeoire plus que de convictions professionnelles sérieuses. Il vient encore de s’illustrer dans son analyse de la violation par son collègue du Tribunal d’Alger des droits sacrés de la défense avec un outrage caractérisé et humiliant à l’égard de la totalité des avocats de ce pays.
  3. Le défunt Chef d’Etat-major de l’Armée avait décidé que brandir le drapeau amazigh était un acte criminel : ce faisant, Monsieur Gaid Salah avait décidé par cet oukase que tout porteur de ce drapeau devait être arrêté et déféré devant les Tribunaux. Cette décision ne saurait relever que d’un dictateur, sachant que Monsieur Gaid Salah n’avait ni qualité, ni compétence pour légiférer en la matière. La déclaration du défunt Chef d’Etat-Major de l’Armée a suffi à l’immense majorité des magistrats, autant du parquet que du siège, pour trouver le moyen juridique d’embastiller tous ceux qui, malgré le fait d’arborer avec fierté et respect le drapeau national, seraient porteur du symbole de l’amazighité. Selon ce que nous savons, une magistrate, d’Annaba, la première de sa profession, bravant la position de son procureur qui réclamait 10 ans de réclusion criminelle, a donné sa vraie dimension juridique et judiciaire à cette affaire. Bien que cette décision n’ait pas été publiée et qu’un commentaire professionnel sérieux en serait présomptueux en l’état, voire injustifié scientifiquement, on a le droit de conjecturer dans la ligne de cette contribution sous toutes réserves. En effet, rendant un jugement de relaxe assorti de la restitution des deux drapeaux, on peut, sans que cela ne soit une outrance, émettre l’opinion objective que ce magistrat a, par sa décision, souligné que les deux emblèmes brandis ensemble par un citoyen, ne constituent aucune manifestation d’atteinte à l’unité nationale et ne sont, dès lors, ni contradictoires, ni opposables, mais au contraires unis et complémentaires sur le plan national. D’autre part, l’acte incriminé ne pouvait servir de base à une condamnation non établie alors et surtout que le principe légal du Code Pénal qu’il n’y a jamais de peine sans texte : en l’occurrence, le défunt Chef d’Etat-Major de l’Armée n’avait, en effet, aucun droit de légiférer en la matière et sa déclaration n’est qu’une opinion personnelle et ne saurait constituer , en aucun cas, ni une loi, ni un texte réglementaire, d’où il suit que les faits reprochés ne constituent ni un délit, ni crime.
  4. C’est là que la probité, l’honneur et le respect de leur engagement personnel et de conscience professionnelle ou simplement humaine, attendait d’abord les procureurs de la république dont la fonction est de poursuivre au nom et en tant que représentants de la société (et non le gouvernement ou le système), c’est-à-dire du peuple souverain.  Ceux-là, tout en étant soumis à la hiérarchie savent bien que le Chef d’Etat-major de l’Armée, fût-il légitimement vice-Ministre de la Défense Nationale ce dont (compte tenu des réalités juridiques, on était en droit de douter : le président de la république en titre était aussi ministre de la défense nationale avec un vice-ministre ; dès lors qu’il a démissionné de ses fonctions, il n’était plus ministre de la défense nationale et le président intérimaire n’étaient pas constitutionnellement ministre de la défense nationale . Il ne peut y avoir de vice-ministre sans ministre) ne fait nullement partie de cette hiérarchie. Même si le ministre de la Justice en titre, le Garde des Sceaux, fait courbette et reçoit ses ordres en lui disant « mille fois merci », les magistrats ont le droit et le devoir de refuser de poursuivre les prétendus délinquants désignés par M. Gaid Salah. Ils pouvaient et devaient prendre cette décision-là et aucune autre en appliquant simplement le droit. Le droit algérien, en l’occurrence, dispose incontestablement que :

(a) l’amazighité est l’un des trois piliers fondamentaux de la Nation tels que déterminés par la Constitution. Comment, dès lors, incriminer un citoyen qui s’en réclame en arborant un emblème amazigh d’une main et le drapeau national de l’autre ?

(b) la loi pénale est d’application et d’interprétation strictes : comment, dès lors, poursuivre sur la base d’un texte législatif ou règlementaire qui ne précise aucune incrimination pour port de symbole de l’amazighité ?

(c) le fait, en lui-même, ne présente aucun caractère de dangerosité : comment, dès lors, poursuivre et requérir une détention préventive alors et surtout que la disposition concernée du Code de Procédure Pénale encadre d’une manière aussi rigoureuse que précise les conditions d’une telle mesure de privation de la liberté en la qualifiant d’exceptionnelle.

  1. Les juges (magistrats du siège) aussi bien au niveau de l’instruction que du jugement : il leur appartient de prendre les décisions qui relèvent de leur conscience et de l’application correcte de la loi en référence à la réalité de leur société (dixit tout dernièrement le Ministre de la Justice, lui-même ancien procureur qui a eu à subir les affres des conséquences de ses actes pourtant alors légitimes, malgré ses erreurs de caractère professionnel). Les juges d’instruction saisis avaient et ont le droit, la responsabilité et le devoir, en toute conscience, d’appliquer la loi et de rendre des décisions de non-lieu à poursuites chaque fois que les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit ne sont pas établis. Au minimum, ils pouvaient laisser les prévenus en liberté pour permettre au juge du fond de prendre ses décisions en temps utile, celles-ci ne devant jamais être contraires aux principes sus évoqués.
  2. Tout le monde sait malheureusement que dans la magistrature, qu’elle soit du siège ou du parquet, la catégorie de ce Procureur qui a requis 10 ans de réclusion criminelle pour le cas précité l’emporte largement sur celle de la magistrature d’Annaba qui, semble-t-il aurait été mutée après sa décision précitée. La presse nous apprend que ce procureur a retourné sa veste très vite puisqu’il a été photographié parmi les magistrats d’Annaba qui manifestaient pour le Hirak et l’indépendance de leur corps au tout début des manifestations : on peut dire qu’il a fait du chemin, celui-là.

Ces quelques exemples soulignés ne sont, hélas, ni exhaustifs, ni isolés. Ils démontrent que la justice algérienne a, certes, besoin d’indépendance. Il s’agit là d’un principe de droit, constitutionnel au plus haut degré de sacralité.

Mais la justice algérienne a aussi et, pour sa part, cette contribution dirait aussi et surtout, besoin d’hommes et de femmes avec une conscience, un cœur, de l’honneur et de la dignité. Ce sont ces qualités d’abord qui amèneront la vraie indépendance de la magistrature et pas seulement la revendication ou même la modification du Statut de la Magistrature.  La formation et la compétence viendront obligatoirement et s’obtiendront par ceux-là qui ont d’abord ces qualités de cœur et de sentiment.

La preuve en a été administrée par la grève déclenchée pour des raisons de salaires et d’avantages matériels qui s’est arrêtée comme elle a commencé sans gloire et sans passion. Elle vient, de nouveau, d’être revivifiée par l’épisode de la circulaire de l’Inspecteur Général du Ministère de la Justice annulée par le Secrétaire Général du même Ministère, après avoir été dénoncée par les magistrats qui ont crié à la violation de leur indépendance dont ils savent très bien et pertinemment qu’elle est sujette à caution depuis de nombreuses années, sinon depuis toujours. La dernière estocade qui lui a été donnée vient de ce parquetier du Tribunal de Sidi M’Hamed à Alger qui a fait une véritable révolution dont on parlera longtemps pour savoir si c’est un coup de théâtre ou un vrai tournant dans l’un des piliers de la gouvernance, sinon le premier et dernier rempart contre l’arbitraire et la négation de l’humanité pour notre peuple. Dans le premier cas, l’attitude de ce parquetier rejoindra l’exemple de la juge d’Annaba et de tous ceux qui ont rendu la justice : nous savons que le procureur qui a plaidé au nom du peuple a été muté à Guemar.

Pour le reste, nous continuerons à constater qu’une hirondelle, même deux, trois ou dix ne font pas le printemps et le combat des magistrats continuera.

La jurisprudence algérienne ne se construira que sur la base d’une réelle application du droit par des magistrats consciencieux et dignes qui n’accepteront plus jamais

  • qu’un Lakhdar Bouregaa, ancien moudjahid ayant combattu les armes à la main pour la liberté de l’Algérie perde la sienne à la fin de sa vie parce qu’un militaire borné l’a décidé, parce qu’un magistrat aux ordres a suivi des instructions qui lui ont données ou, pire encore, qu’il ait cru que, ce faisant, il plairait au maître du moment ;
  • que des jeunes avides d’une liberté à laquelle ils ont droit, parce que leurs aînés ont donné leurs vies pour elle soient emprisonnés à l’orée de leur avenir pour des idées de démocratie et de droit qui sont le socle fondateur de leur pays depuis Massinissa et Jugurtha, jusqu’à Ben M’hidi, Amirouche et autres Fatma N’Soumer et Djamila Bouhired ou Louisette Ighilahriz.

Il est évident que ni l’Histoire, ni le Peuple algérien, ne fermeront jamais les yeux sur les détournements, les enrichissements personnels sans cause, les dilapidations et détournements des deniers et des biens publics, ce qui est connu et qui, de toute manière, sera difficile autant à évaluer qu’à prouver dans l’immédiat.

Cela signifie que les poursuites engagées contre les prédateurs, les voleurs, les faussaires et les apprentis dictateurs sont nécessaires et justifiées : mais elles ne doivent, en aucun cas et d’aucune manière, ignorer les règles de forme et de fond du droit au premier rang desquelles se trouvent la présomption d’innocence et le principe de liberté qui, juridiquement, protègent les citoyens, tous les citoyens.

C’est pour toutes ces raisons que cette contribution veut rappeler que des faits concrets, accomplis ici et maintenant, en relation avec les derniers évènements qui ont amené le départ de Bouteflika et, inexorablement la chute du régime par lequel le pays a été phagocyté. Ces faits, graves, sérieux, importants, devaient objectivement interpeller et inciter les autorités judiciaires compétentes à agir avec fermeté et célérité pour la recherche de la vérité dans les dossiers évidents : leur ouverture judiciaire par une auto saisine du parquet de la République donnera, bien plus que les décisions de détention provisoire injustes,  la preuve que la magistrature s’est enfin manifestée dans la réalité de ce qui a été toujours proclamée comme étant « rendue au nom du Peuple Algérien ».

Tout ce qui se passe démontre en réalité que, aujourd’hui comme hier, avant comme après le départ de l’ex-Président, un dictateur en remplace un autre, une force constitutionnelle en apparence ayant remplacé une force non constitutionnelle sous le paravent d’un homme impotent, qui ne parlait, pas n’écrivait pas, ne signait pas et au nom duquel un apprenti dictateur se superposait, par fraude, rapine et ambition démesurée.

On voit bien que nous revenons allègrement vers le titre de ce document : le sommet de l’injustice est de se prévaloir de la justice pour commettre les pires attentats contre le droit et la justice : on présente souvent cette dernière avec un bandeau sur les yeux. Cette contribution démontre que derrière les mots et les slogans, il y a la réalité qui doit nous faire comprendre que le bandeau sur les yeux de la justice peut cacher le fait qu’elle peut avoir les yeux énucléés.

On aura beau lui enlever le bandeau, la justice n’y voit pas plus clairement.

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