L’épopée de la diplomatie algérienne de guerre racontée par Karim Younes
Il est bien connu que le rôle de la diplomatie algérienne dans la mission de libération de l’Algérie du joug colonial a été primordial. Les nationalistes algériens se sont en effet centrés sur le volet diplomatique comme prolongement de la lutte armée mais aussi comme axe stratégique de leur combat légitime pour recouvrer l’indépendance. C’est l’idée phare autour de laquelle tourne le dernier ouvrage De nos montagnes aux coulisses de l’ONU de l’écrivain et homme politique algérien Karim Younes, préfacé par Hassane Rabehi, ancien ministre, ancien ambassadeur et secrétaire adjoint de la Ligue arabe.
Dans une démarche à cheval sur la recherche historique et la compilation journalistique, Karim Younes dresse l’évolution chronologique de la mouvance diplomatique algérienne durant la colonisation française depuis l’Emir Khaled, jusqu’à l’indépendance du pays. « Incontestablement, l’Emir Khaled (1875-1936), petit-fils de l’Emir Abdelkader, figure parmi les premiers Algériens à proclamer haut et fort la nécessité de s’affranchir de la situation de colonisé et d’engager le combat politique pour la libération de l’Algérie du joug colonial, dans les conditions et avec les moyens de l’époque, »lit-on dans la premier chapitre. Toutefois, explique Karim Younes, bien que l’Emir Khaled soit pour l’abolition de l’indigénat et l’instauration de l’égalité entre les Français et les Algériens, il a perdu la main devant la montée du nationalisme radical du PPA-MTLD qui revendiquait sans nuance l’indépendance de l’Algérie. Mais, entre temps, l’Emir Khaled, en privilégiant la lutte politique, aura inauguré la voie diplomatique devant les indépendantistes qui l’investiront avec audace et dévouement et tenteront de tirer profit des conflits et différends qui minaient la scène politique internationale d’alors. « La politique indépendantiste prônée par le courant radical du mouvement national prend naissance et s’imprègne d’abord des luttes qui opposent les tendances capitalistes et socialo-communistes de l’époque, en France et en Europe, de façon générale, et de la Russie, en particulier, qui se fond dans un ensemble – URSS – en 1922. Elle s’inspire aussi et très vite du facteur religieux pour instaurer une idéologie de lutte en faveur d’un projet de société qui tienne compte des réalités et des aspirations des masses populaires attirées, qu’on le veuille ou non, par un monde arabo-musulman en pleine effervescence. C’est certainement là le secret de sa réussite, contrairement aux autres courants dont le discours est articulé autour de revendications politiques touchant une minorité « francisée » et donc, dans l’imaginaire collectif, bourgeoise, » écrit Karim Younes.
Sachant que « la stratégie arrêtée était de se battre à l’intérieur et de solliciter l’aide de pays amis à l’extérieur, » Younes écrit que « le FLN, instrument de lutte, avait décidé de mener son combat par l’action armée en vue de l’accession à l’indépendance nationale » mais sans perdre de vue l’action diplomatique qui devait être constante. Il cite dans ce sens le succès engrangé par le FLN à Bandung grâce au travail méticuleux et acharné de Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid et qui fait que « les Etats communistes d’Asie présents à la Conférence de Bandoeng ont accueilli chaleureusement la délégation algérienne et lui ont apporté tout le soutien nécessaire, politique et logistique ». « «La conférence historique de Bandoeng fut un succès non seulement pour l’Algérie et l’Afrique du Nord mais pour tous les peuples du monde en lutte contre la colonisation, la ségrégation, pour la liberté et leur droit à disposer d’eux-mêmes, » écrit Karim Younes en soulignant quemême l’Europe, où les représentants du FLN étaient présents et géraient des réseaux de soutien à la révolution algérienne, a joué un rôle dans les succès diplomatiques de la révolution algérienne et l’accession de l’Algérie à son indépendance. « Les pays d’Europe, n’ont pas manqué, dès la Xème session de l’ONU, de voter en faveur de l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de celle-ci, » note-t-il.
S’agissant de l’apport des États-Unis à la révolution algérienne, Karim Younes insiste sur le rôle du tandem Abdelkader Chanderli et M’hamed Yazid, qui ont joué un rôle prépondérant auprès de John Kennedy, alors sénateur, qui a prononcé un discours au congrès américain pour plaider l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de l’ONU. Dans ce sens, il écrit : « Abdelkader Chanderli à l’origine du discours ? Les historiens qui travaillent sur le rapport de Kennedy à l’Algérie ne s’accordent pas sur le « cerveau » qui a soufflé les grandes lignes du discours. L’une des pistes, soutenue par Yves Courrière et Alistar Hornes, concerne Abdelkader Chanderli, représentant du FLN à l’ONU, présenté comme un ami « intime » du sénateur américain, qui « allait souvent partager le sandwich qui servait de déjeuner au sénateur, pour parler de la situation en Algérie ». Il aurait également fourni à Kennedy la documentation du discours. C’est qu’à cette époque, le duo Abdelkader Chanderli et M’hamed Yazid débordait d’activité pour imposer la question algérienne sur la scène internationale. Et tout porte à croire que Chanderli connaissait le contenu du discours avant qu’il ne soit prononcé. Il aura été le premier à féliciter le jeune sénateur pour son engagement. »
Par ailleurs, Karim Younes évoque le travail de fourmi effectué par la diplomatie algérienne de guerre qui a gagné le soutien des voisins immédiats de l’Algérie, notamment le Maroc et la Tunisie, la Libye et l’Egypte qui ont considérablement contribué à la lutte des Algériens pour le recouvrement de leur souveraineté. « Le Président Bourguiba et le Roi Mohamed V puis son successeur Hassan II ont constamment appuyé la cause algérienne en lui apportant leur soutien dans les capitales africaines et occidentales. La Libye frontalière a apporté une aide considérable à l’organisation de convois d’armes, de même qu’elle a ouvert ses camps à l’entrainement des djounoud algériens. L’Egypte a abrité le siège des mouvements de libération de l’Afrique du Nord. »
L’autre élément évoqué par Karim Younes dans son livre, c’est le rôle des ONG, collectifs et organisations des droits de l’Homme qui, sensibilisés par la diplomatie algérienne, ont mobilisé leur personnel pour se tenir aux côtés du peuple algérien. Il évoque aussi les footballeurs algériens jouant dans des clubs français et les artistes qui ont abandonné leur carrière pour aller en Tunisie se mettre au service de la révolution algérienne grâce à l’action diplomatique du FLN. « Outre les actions conduites sur le champ de bataille qui ont valu à bon nombre d’entre eux internements et tortures, à l’image des comédiens Mohamed Touri ou Habib Reda, responsable de haut niveau dans la zone autonome d’Alger, de la célèbre chanteuse Fadhila Dziria, un nombre important d’hommes de théâtre, de chanteurs, de musiciens, d’auteurs compositeurs, ont également rejoint la Tunisie pour constituer la première troupe nationale algérienne, », rappelle Karim Younes.
Ce livre riche en informations, rend un hommage largement mérité aux diplomates qui ont su faire conquérir à l’Algérie une place dans le concert des nations au moment où elle était encore en lutte pour son indépendance. Relatant les grands moments de l’épopée révolutionnaire algérienne, avant et après le 1er Novembre 1954, en mettant en relief l’engagement personnel de chacun des acteurs qui, grâce à leur foi inébranlable en l’action politique, ont fait recouvrer à l’Algérie son indépendance, il éclaire les chemins par lesquels est passée sa diplomatie de guerre pour s’élever au rang d’école.
Karim Younes, De nos montagnes aux coulisses de l’ONU, préface de Hassane Rabehi, Éd. Anep, Alger.