COVID-19 et l’Apocalypse d’Alexandre, fils de Philippe de Macédoine

Par les temps si difficiles qui courent, la pandémie mondiale du COVID-19 a remis en scène la question qui, jadis, déchirait les églises du monde tardo-antique : celle du salut sur terre et après la mort, celle du péché et du châtiment, celle des prières et de la rédemption. En effet, on assiste depuis le début de la pandémie à une prolifération accrue des discours religieux, surtout fanatiques, de toutes sortes : musulman, chrétien ou juif. On nous exhorte à lire les Écritures, les Livres, à effectuer des prières, à braver le confinement et se rendre aux mosquées, aux églises et aux synagogues. Cet appel assidu et insistant du retour à la religion et à Dieu n’est qu’une réminiscence de l’esprit apocalyptique qui motive la quasi-totalité des eschatologies monothéistes, musulmane qu’elles soient, chrétienne, juive ou zoroastrienne. Face au doute, au vide, à l’inconnu, à l’incertitude, à la finitude, aux limites de l’entendement humain, certains imams et prédicateurs islamistes ont décidé de faire face  à la pandémie qui ne cesse de décimer des milliers de vies humaines de par le monde, depuis le mois de janvier 2020, par la répétition quotidienne et effrénée de psalmodie coranique, d’incantation divine, de prière ; par la réadaptation et la recontextualisation de certains hadiths (les dits du prophète) attribués à Muhammad, qui parlent de peste, de choléra et de famine comme punition divine afin de laisser entendre que la seule rédemption possible réside dans le retour à la vraie Religion : l’Islam. Bien évidemment, cette vision apocalyptique fonctionne sur un schème pavlovien : au triptyque stimulus/réponse/récompense se substitue le tryptique péché/punition/rédemption.

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Si les apocalypses des différentes traditions religieuses, prises dans leur sens étymologique ( du grec apocalypsis « révélation »), sont définies par les historiens des religions comme « un genre de littérature de révélation avec une structure narrative, dans laquelle une révélation est transmise par un être surnaturel à un être humain, révélant une réalité transcendante, à la fois temporelle, en ce qu’elle envisage un salut eschatologique, et spatiale, en ce qu’elle implique un autre monde, supranaturel.[1]», elles sont par ailleurs définies par les tenants de la Loi et les protecteurs des dogmes statutaires comme des vérités absolues, éternelles, déterminant le salut des hommes, le sort après la mort, le jugement et la rétribution.  Ce qui explique aujourd’hui, en France, le retentissement de l’appel à la prière, l’adhan, depuis le commencement du confinement et l’exacerbation du nombre des morts qui succombent à l’épidémie ravageuse du COVID-19. On assiste ici au déploiement du schème d’une apocalypse historique qui consiste en la revue de l’histoire du monde qui s’achève ou se purifie à travers le passage par de grands bouleversements, crises, guerres, catastrophes naturelles, famines, etc.

Le discours religieux, islamique en l’occurrence, reste imprégné par l’imaginaire apocalyptique qui contient énormément de figures bibliques, de symbolismes, de tropes et de figures messianiques. Parmi ces figures qui restent toujours d’actualité, on retrouve la figure de Gog et Magog, d’Alexandre le Grand et celle de la vision prophétique, souvent annoncée par un ange dans un rêve. Si on lit l’épidémie du COVID-19 à l’aune de la figure d’Alexandre le Grand dans les apocalypses syriaques du VIIe siècle, on constate que cette littérature abondante a laissé des traces indélébiles dans l’imaginaire collectif de l’Orient chrétien et plus tard musulman. Cette figure mythologique d’Alexandre le Grand, loin d’être celle de l’Alexandre de Macédoine historique, mort à Babylone probablement entre l’an 356-323 avant l’ère chrétienne,  est due principalement au roman « grec » du Psaudo-Callisthène qui connut un succès phénoménal dans tout le pourtour méditerranéen puis dans le monde entier. La traduction de ce roman en syriaque a donné par la suite naissance à un nombre considérable de texte écrits en syriaque, à caractère prophétique et apocalyptique : Les Exploits d’Alexandre  et Le Memra sur Alexandre et les portes du Nord[2], par exemple. Dans le premier texte syriaque qui vient d’être mentionné, les parallèles avec les origines du COVID-19, sa propagation, la lutte contre le mal qu’il engendre et la délivrance finale de son mal sont frappants. Ce récit fictionnel montre Alexandre en roi quittant Alexandrie avec une nombreuse armée et des forgerons pour voir les régions au-delà du royaume de Gog et Magog, c’est-à-dire les territoires des Huns. Il apprend par des sages que le royaume de Dieu se trouve au-delà des montagnes qui bornent le pays des Huns, peuple décrit de façon abominable dans le texte. Pour empêcher que leur mal se répande sur l’humanité entière, Alexandre fit construire entre deux montagnes une énorme porte de fer, sur laquelle il va inscrire au niveau de son linteau une prophétie disant qu’un jour, les Huns sortiraient pour punir les hommes de leurs péchés par la volonté de Dieu. Alexandre fut prévenu aussi par Dieu dans un rêve que le roi des Perses, Tubarlaq, marche contre lui et qu’il (Dieu) va l’aider par l’envoi d’une armée céleste, pour avoir raison sur le roi des Perses, aboutissant à la récupération et le transfert à Jérusalem du trône d’argent ( renvoyant au trône de Salomon) sur lequel siégera le Messie à son retour. Le texte présente un Alexandre victorieux, sur le modèle du Christ Pantocrator, guidé par la volonté de Dieu pour ordonner le déroulement de l’histoire du monde jusqu’à son terme. 

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Ici, Alexandre de Macédoine n’est pas très loin – ou peut-être le même – du fameux personnage du Coran Dhu-l-Qarnayn « le biscornu », abondamment cité dans les sourates 18 :82-99 et 21 :96-97. Ce récit apocalyptique est parfaitement compatibles dans l’esprit des prédicateurs islamistes avec les éléments qui constituent le contexte d’émergence du COVID-19 : Le pays des Huns aux mœurs bizarres pour la source du virus (la Chine et le penchant de ses habitants pour les chauve-souris) ; l’Occident athée, sans moralité, aux mœurs dégradées comme objet de punition en raison d’une immense accumulation de péchés ; et enfin, la figure du « Sage Musulman », sur le modèle du sage Alexandre ou Dhu-l-Qarnayn, éclairé par les lumière de la révélation coranique, venant apprendre aux âmes égarés le chemin juste et la véritable voie de Dieu.  

Cette persistance de l’esprit légendaire et mythologique, mettant en avant des explications apocalyptique et déraisonnées du monde qui nous entoure en dit long sur le triomphe de l’épistémè  religieuse dans les géographies et chez certaines personnes dites musulmanes, au détriment d’une vision rationnelle et scientifique qui pourrait contribuer à mieux comprendre le monde avec les « lunettes » du XXIe et non avec celle du Moyen-âge, où la religion était un code juridique, un programme politique et un manuel de spiritualité. Entendre aujourd’hui des imams et des prédicateurs, parfois certains savants, dire que le COVID-19 est un châtiment divin prouve que l’islam malade dont parlait Abdelwahab Meddeb est au bord de l’agonie.


[1] Muriel DEBIE, Les apocalypses syriaques,  in Le Coran des Historiens, dir. Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Guillaume DYE,  Paris, Cerf, 2019, p.547-548.

[2] Muriel DEBIE, op.cit., p.566-567-568-569.

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