De Descartes à Saussure : le langage au cœur d’une convergence
Descartes et la philosophie du langage
Dans l’exposé de la théorie cartésienne, et plus précisément dans la cinquième partie du Discours de la méthode (1637), Descartes associe le langage à l’être humain en tant que sujet parlant et pensant. Cette importante caractéristique le distingue des autres « bêtes ». « Mais la principale raison, selon moi, qui peut nous persuader que les bêtes sont privées de raison, est que, bien que parmi celles d’une même espèce les unes soient plus parfaites que les autres, comme dans les hommes, ce qui particulièrement dans les chevaux et dans les chiens dont les uns ont plus de dispositions que les autres à retenir ce qu’on leur apprend, et bien qu’elles nous fassent toutes connaître clairement leurs mouvements naturels de colère, de crainte, de faim, et d’autres semblables […] qu’aucun animal fût parvenu à ce degré de perfection d’user d’un véritable langage.», écrit-il. Cette démonstration illustre que les êtres humains se singularisent par la propriété du langage par le biais duquel ils s’expriment et expriment leurs attentes au quotidien et traduisent également leurs pensées. Cette faculté pose, par conséquent, les jalons de l’identité entre animalité et humanité.
« Tous les hommes les plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l’on peut prendre pour la véritable différence entre l’homme et la bête », écrit René Descartes dans Lettres à Morus, 5 février 1649. De cette assertion, il se révèle que les humains qui sont les moins dotés et doués ou privés d’organes usent de stratagèmes compensatoires plus sagaces et efficients que les bêtes. En effet, ces derniers traduisent leur besoins et communiquent au moyen des signaux ou stimulations biologiques contrairement à l’homme qui use d’un système de signes qui combine à fois un signifiant et un signifié, par exemple les danses chez les abeilles étudiées par le zoologiste suisse Karl von Frisch (1886-1892), fondateur de l’éthologie, qui en distingue deux modalités : – la danse en rond : désigne une ressource (pollen) à proximité de la ruche (moins d’une cinquantaine à une centaine de mètres), où l’information principale est l’odeur de la fleur à exploiter que la danseuse porte sur son corps ; – La danse frétillante, plus complexe, qui indique la direction par rapport au soleil de la zone à explorer, par l’orientation de l’axe de la danse par rapport à la verticale ; la distance de la zone, par la vitesse du frétillement ; et la nature du butin, par l’odeur dont le corps de la danseuse est imprégné). Ainsi explique-t-il que les animaux ne sont pas dotés de l’âme, étant donné que cette dernière est une entité inhérente au cogito. Ce dualisme âme/corps est explicité par la devise affichée sur les frontons de la théorie cartésienne : cogito, ergo sum qui accorde une primauté à la pensée, dans la mesure où l’essence affirme l’existence.
A Saussure, une philosophie triptyque : langue, langage et parole
Par définition, la langue est un mécanisme linguistique structuré et structurant et l’expression de la pensée par laquelle le sujet parlant communique ses idées, agit et interagit avec/sur l’autre. Ferdinand de Saussure, linguiste genevois et précurseur de la linguistique moderne, identifie la langue, dans son œuvre posthume (1916) Cours de linguistique générale, comme : « un produit social de la faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires, adopté par le corps social pour permettre l’exercice de cette faculté chez les individus.» (p. 17) Cette conception montre que la langue est une institution sociale et un héritage collectivement partagé et passivement enregistré (ontogenèse), contrairement à la parole qui en est l’usage singulier (phylogenèse). Quant à la langue est biface : elle a une dimension individuelle et sociale que l’on ne peut concevoir l’une sans l’autre. Bref, c’est une chose acquise et conventionnelle. Le langage est conçu comme aptitude ou capacité innée et universelle qu’utilise le locuteur pour entretenir un rapport d’échange avec autrui dans une situation de communication définie. Il explique qu’« il [langage] est multiforme et hétéroclite, à cheval sur plusieurs domaines, à la fois physique, physiologique et psychique, il appartient au domaine individuel et au domaine social… » (p. 17). Nombreuses sont les thèses psycholinguistiques corroborant l’idée de la nativité du langage, entre autres Broca montre que la faculté de parler est localisée dans la troisième circonvolution frontale gauche. Cette démonstration épistémologique attribue au langage un trait de naturalité et de nativité.
Nous remarquons à partir de cette lecture témoignée une convergence nette reposant sur la propriété du langage, autrement dit cette entité est à la fois abstraite et concrète définit l’homme en tant que tel ou plutôt en tant qu’être parlant et pensant.
Youcef BACHA, doctorant et jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).