Le peuple, cet éternel perdant !

Malaxé, formaté, recomposé, le peuple, cette notion qui a fait le lit de la  théorie des Etats, finit par s’user à force de manipulation dans tous les sens, déformée en objet d’amusement  par des marionnettistes, qui tirent sur des ficelles au bout desquelles il ne reste plus rien d’autres que des cadavres. Remué par des slogans où son nom est utilisé narcissiquement, le peuple a cru en une grandeur qu’il pensait nature, pour s’apercevoir enfin, qu’elle ne meublait que des phrases bégayées, relookées selon les époques et les hommes. Parmi nos historiens, ceux qui ont l’honnêteté de l’analyse, et qui se sont démarqué des sphères du pouvoir pour s’assurer l’indépendance à leurs dires, nous apprennent que la « Révolution » a été initiée par une poignée de l’intelligentsia qui a eu la chance de profiter de l’ouverture de la colonisation et d’apprendre les rudiments de la libération d’un pays mais dont on s’est débarrassé, une fois les choses clarifiées. Ensuite vint le peuple, dispersé dans un pays divisé par le tribalisme, analphabète, pauvre, auquel il a fallu inculquer ce que conscience nationale voulait dire, en s’appuyant sur ses revendications sociales, sur sa misère, sur sa participation à une guerre qui n’était pas la sienne, la deuxième guerre mondiale, mais qui lui a permis de retenir que la liberté s’arrache par les armes de Verdun à Monte Cassino. Et la leçon fut comprise. La leçon du 8 Mai 1945 et des morts par milliers, et des blessures qui ne se cicatriseront jamais parce que versées dans la mémoire malgré les amnésies passagères. Et c’est par la mort que le peuple est devenu peuple. Par la perte. Puis vint l’élite, qui devait récupérer, analyser, organiser, politiser, vulgariser, pour parler de nation, de pays, de martyres, de sacrifices, de libération, puis de guerre. La guerre avait besoin du peuple qui devait choisir par nécessité de s’engager d’un côté ou d’un autre sans autre idéologie que celle qui devait le rapprocher de lui-même, de ses croyances, de ses rites culturels ou religieux face à un ennemi qui n’était pas commun à tous, puisqu’il faudra bien expliquer un jour pourquoi il y a eu des moudjahidine et des harkis en une confusion maladive. Pourquoi l’idéal n’était pas le même pour tous ? Qui a fait quoi et pourquoi ? Ce pourquoi le silence a été maintenu et remplacé par des phrases toutes faites puisées dans des répertoires non répertoriés livrés en vrac, à un peuple qui a continué à mourir parce qu’il y a cru ? Par noblesse et désir d’identification à une cause, à un rêve : se soustraire à une domination coloniale et fonder une nation d’où devaient disparaître toutes formes de marginalisations. Fonder, enraciner et créer un véritable Etat sur un sol, une terre qui en avait marre de pleurer son sang, de sentir l’odeur de corps putréfiés par la bêtise des discours. D’autres milliers sont morts et on décida de leur nombre alors qu’il n’était pas si rond que ça. Un peu plus, un peu moins. Qui sait ? Il faudra pourtant en dresser la liste un jour ou l’autre et la mettre à la disposition du peuple pour qu’il sache qui est mort, où et pourquoi. Que cette liste remplace un jour celle des attributions de logements sur les murs de chaque mairie, sur chaque stèle, sans qu’elle soit suivie de feux incendiaires, de pneus brûlés. Dans chaque discours. Le peuple venait de gagner la guerre mais pas forcément la liberté. Une fois la guerre terminée, une armée fraîche, structurée et équipée jaillit des frontières et le peuple se demandait où était cette armée pendant la guerre, pendant qu’il avait besoin d’elle. Car il faudra bien dire un jour ce qu’elle faisait hors des champs de l’honneur pendant que des enfants, des femmes des hommes mourraient chaque jour un peu plus, par manque d’armes et de vivres ou étaient chassés de leurs douars, de leurs villages et de leurs villes entourés de fil barbelé.  Le peuple venait alors de perdre son premier espoir mais s’accrocha aux discours d’une nouvelle langue par sentiments profonds envers une nation qu’il cherchait dans le regard des martyres sans pouvoir les interroger. De ses seuls repères d’outre-tombe. Ses enfants, ses pères ses mères ses frères et ses sœurs. Chacun découvrait un drapeau et l’hymne par qui l’on jura fidélité à la vie de l’Algérie qu’il chanta à en perdre la voix. Et il la perdit pour toujours. Il découvrit en contrepartie des photos de zaïms qu’il a apprit à applaudir,  aligné le long des trottoirs ou massé dans des stades de football. Des zaïms utilisant des mots sortis de prison et allant droit au cœur parce que porteurs d’exil sans royaume que celui à construire et qui venaient de remettre en cause la légitimité d’un gouvernement provisoire. Un maquis bouleversa le peuple et embrasa une région. Et il faudra bien dire un jour pourquoi et à quoi cela a servi de faire s’entretuer les enfants d’un même peuple pour expliquer la perte du deuxième espoir à la veille même d’un coup d’Etat, transformé en un clin d’œil en redressement ou en réajustement, pour ne pas effrayé le peuple. Mais à Annaba, à Alger, à Tlemcen, dans son élan d’incompréhension, le peuple sortit réclamer son dû, sa vérité. Et le Chili n’a rien inventé après les massacres du stade de Annaba. Il faut bien dire un jour ou l’autre ce qui s’y est passé. Les zaïms se dispersèrent aux quatre coins du monde ou furent mis en prison et le peuple rejoignit son domicile sur fonds de la «Bataille d’Alger ». Une nouvelle langue pris la place de l’ancienne pour faire du peuple le plus vaillant, le plus fort des peuples de la terre et il y a cru parce qu’il ne voyait pas pourquoi il ne le serait pas. Puis vint le pétrole et le gaz qui remplacèrent le peuple par des pipes line  et les discours devinrent incompréhensibles, parce que trop techniques, des discours importés de pays importants et le peuple se rendit compte qu’il n’était ni aussi important ni aussi grand qu’on le lui a fait croire. Qu’il avait tout à apprendre des autres après avoir cru leur avoir donné une leçon d’Histoire. Et les autres commencèrent à débarquer pour forer des puits et en extraire de quoi faire manger le peuple qui se trouvait juste au-dessus sans le savoir. Naquirent alors des industries dont on disait qu’elles allaient industrialiser le pays et durent convertir une main d’œuvre de la terre et de l’élevage en une autre des usines. Le peuple ne comprenait rien aux usines et pourtant il se convertit et abandonna la terre. La pomme de terre devenue une affaire nationale ne date pas d’hier et n’a rien de conjoncturel. Il faudra bien un jour dire comment et pourquoi le peuple a perdu la terre, l’espoir qui va avec et s’est mis à tendre sa bouche vers les ports et SONATRACH.  Du temps où Driassa chantait « khoud el meftah ya fellah » avec quelques fausses notes par manque d’une partition sociale, juste pour plaire. De nouvelles richesses apparurent ou plutôt de nouveaux riches sortis des entrailles du pétrole, des licences d’importation et des plans de développement. Moins que de nos jours. Les fortunes apparaissaient au grand jour, et leurs signes extérieurs n’étaient visibles que par le peuple. La politique se résumait à quelques pas dans des jardins cachés et les étrangers se frottaient les mains de voir un pays se mettre en marche vers le développement qui leur ouvrait des marchés juteux et sans conditions. Des russes soviétisés, des américains pétrolés, des français à fortes gauloiseries, des allemands repentis d’une guerre, des chinois tiers-mondistes par élargissement idéologique et bien d’autres aux côtés de révolutionnaires qui ont fait d’Alger leur Mecque. Mais Alger n’était pas l’Algérie. Pas encore cette Algérie là. C’était du temps où le peuple apprenait à scander le fameux «  Djeich, Chââb, mââk… » et qu’il continue de scander sans se demander pourquoi faut-il tout le temps rassurer les hommes du moment du soutien du djeich, sensé n’être qu’une institution parmi tant d’autres. Car il faudra un jour dire pourquoi. Puis le djeich sortit le 5 Octobre 88 pour calmer un peuple qui ne supportait plus la transformation du GNL 3 en un immense monument aux morts au cœur de la capitale. Et le peuple mourut une fois de plus sous les balles d’un djeich issu de ses entrailles. C’était l’époque du « sidi hram alikoum » suivie de l’émergence de barbes qui ont compris qu’une « démocratie » sait se faire couper avec un rasoir en faisant semblant de la tailler. L’époque de la cessation de paiement pour cause inconnue jusqu’alors. Car il faudra bien dire un jour pourquoi, comment et qui. Qui a avalé les richesses du peuple même si on l’a toujours infantilisé même si tout le monde le sait ? Et le retour des zaïms par air ou par mer n’y a rien changé. Ils avaient autant vieilli que leurs discours, une autre génération sourde et assourdissante était arrivée. Une génération de chômeurs et de célibataires endurcis par défaut de dote. Une génération de raï et de rappeurs. Une génération parabolée malgré le couscoussier géant proposé par un député hystérique d’une APN unique en son genre, affichant sa volonté naïve de protéger le pays de l’ « invasion culturelle » alors qu’elle était chaque jour sous son nez, sur sa table à manger. Mais comment la voir sans nez ? Puis vint le dernier des zouâma, celui qu’on appela au secours d’un système mourant et qui fut tué en direct quelques mois plus tard.  Il tendit une main et on la lui mangea crue. Le peuple quant à lui commençait à ne plus manger, à ne plus croire qu’en Dieu et la facilité d’un autre discours plus compréhensible, moins technique prenait le pas. Le maquis une fois de plus tranchait par une nouvelle division en croyants et non croyants. Le peuple en est mort aussi. L’intelligentsia en paya un prix qui ne se mesure que par l’absence de mémoire à vouloir à tout prix réconcilier le peuple avec lui-même après l’avoir divisé. Et malgré la certitude des uns et des autres il faudra bien dire un jour qui tua qui ? Malgré les balbutiements des chiffres devenus inquiétant dans la bouche des « pénaliseurs » de non votants, il faudra bien le dire un jour. Un jour qu’ils ne seront plus là et que s’ouvriront des débats sur cette Histoire d’un peuple qui a tout supporté y compris des marches de soutien  « spontanées » scandant à tue-tête « djeich, chââb, mâk… » .Puisqu’il y a cru. Car c’est aussi le peule qui vient de mourir à Batna par une main étrange qu’on préfère appeler étrangère par peur du péril. Du piège que se tendent les uns dans leurs guerres contre les autres. Le peuple quant à lui s’est trouvé ses propres pièges. Ne plus croire en rien et faire semblant. Il en mourra sûrement mais il en restera suffisamment pour faire le procès de ce qui s’est passé dans un pays où le peuple a toujours perdu. Ce n’est qu’alors qu’il commencera à gagner.

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