Plurilinguisme et déconfinement : le nécessaire éveil à la diversité

La question des langues est le terrain couvant les débats qui marquent les questions liées aux différents domaines de la vie de notre pays. On ne peut pas, aujourd’hui, ignorer les différents qui opposent les progressistes aux conservateurs. Car œuvrer pour la modernité suppose l’acceptation de la diversité et de la pluralité, le contraire serait une volonté de rétrogradation et un refus de la modernité. Pour dire simple : une politique linguistique qui œuvre pour la modernité ne peut se passer de la diversité et de la pluralité. Elle œuvre pour la promotion de ces dernières et combat les appels à l’unicité dans tous les secteurs de la vie. Au contraire, une politique de monolinguisme est l’œuvre des exclusionistes et des ennemis du progrès et du développement durable. Le plurilinguisme se trouve donc au centre du débat sur le développement et la modernité. On ne peut pas continuer à se voiler la face, en se présentant comme un peuple, un État ou une communauté qui promeut la diversité à travers des textes de lois ou des décisions politiques tout en faisant son contraire dans les pratiques réelles.

De la sorte, dans notre pays, la diversité semble être combattue et persécutée dans l’une des institutions les plus névralgiques où se forment le citoyen de demain. L’institution scolaire est la première à subir, en Algérie, les conséquences d’une politique linguistique confuse, soumise et instable. Cette confusion résulte des concessions permanentes qu’accordent les autorités algériennes à l’idéologie de la régression portée non seulement par les islamistes, mais aussi par les hésitants dans le camp des progressistes. Ces derniers, par leur silence et leur agitation négative, bloquent le processus de la réforme de l’école.

Aujourd’hui, la reconnaissance de tamazight et, peut-être demain, de l’arabe algérien ne serait qu’insignifiante devant les larges concessions accordées à l’islamisme politique qui gangrène l’école et l’université algérienne. C’est dans ces deux espaces que le combat pour la diversité essuie des échecs au quotidien et, ils sont même cédés en guise de reconnaissance à la famille qui recule pour ralentir et/ou punir la marche de la famille qui avance. Il suffit de voir comment on a pu accepter d’enseigner, dans nos universités, les Mathématiques, l’Économie, l’intelligence artificielle, les sciences de l’Univers, les énergies renouvelables et l’Informatique en langue arabe et qui sait, demain peut-être, c’est autour de la médecine de s’arabiser puisque les prescriptions de certains médecins zélés commencent déjà à se faire dans cette langue. 

Espaces officiels vs espaces officieux : faire parler le sujet et faire taire le citoyen

Les appels au meurtre des langues maternelles, de la langue française et le combat acharné contre la modernité ont abouti à la négation de la diversité et au squat des lieux de savoir et de la science : la mosquée, l’école et l’université. Les islamistes y accèdent et sont les maîtres des lieux, ils sont libres d’y prêcher ce qu’ils veulent et les progressistes y sont pourchassés et réduits au silence. Les citoyens, qui par peur, qui par sympathie, qui par méfiance, qui par passivité et qui par complicité se laissent faire et ne semblent pas être inquiets des méfaits d’une telle orientation. Le débat sur l’enseignement des langues étrangères et des langues maternelles semble devenir un tabou dans une société qui accuse à tort et à travers tout scientifique qui montre sa volonté de dissocier la question de l’enseignement des langues, des subterfuges de la mauvaise foi des religieux ritualistes et des politiciens conservateurs qui se dressent comme défenseurs de la communauté des croyants et de la tradition. Encore et encore des concessions pour ne pas fâcher et ne pas éveiller l’animosité des extrémistes ! C’est cet extrémisme qui empêche l’éclosion de la diversité ou plutôt sa marche, car, fondamentalement, elle est une réalité sociale. Elle a juste besoin d’être arrosée là où il faut et au moment opportun. Elle est l’essence de la vie et le contraire de l’extrémisme et se nourrit de nos rencontres, de nos différences et de nos échanges. 

Le plurilinguisme est une pratique sociale des peuples et ne saurait être une ordonnance d’un législateur et n’a ni besoin d’être inventé et ni d’être orienté. Il fait sa marche tout seul, il fait partie de l’humanité et est une preuve de sa capacité à coexister et à partager. Il se conjugue au pluriel et prend plusieurs formes en passant d’une société à une autre. Il est combattu comme pratique officielle et s’impose comme pratique officieuse et c’est dans l’espace de l’officialité qu’il est le plus renié. C’est dans cet espace qu’on le craint le plus, car il est la marque de la culture anthropologique et le concurrent redoutable de la culture cultivée. C’est pour cette raison qu’il est ignoré, car il est la voie qui rétablit l’homme dans ses droits les plus élémentaires. 

C’est cette qualité fondamentale du plurilinguisme qui justifie sa répugnance dans l’espace officiel : il sent la société et impose l’apprentissage de la coexistence et du partage. Il n’est donc admis que sous une forme purifiée qui aboutit à ce que les spécialistes appellent la norme. Car c’est sous cette forme que sont facilités le contrôle des cerveaux et la formation des sujets soumis à la contrainte. 

C’est à travers cette démarche qu’on intimide tout une population et on réduit au silence le citoyen pour faire parler le sujet. C’est comme ça qu’on a créé une pathologie que les médecins de la langue appellent « l’insécurité linguistique, l’hypercorrection, l’auto-odi, etc. » et à laquelle on continue à prescrire de la norme sous toutes ses formes.

L’éveil à la diversité et le développement durable

L’Algérie est un pays qui œuvre pour la paix et la coexistence dans le monde, elle n’a d’autres choix que celui de la promotion de la diversité et du plurilinguisme. Néanmoins, cette voie ne peut se concrétiser sans la récupération de l’école qui, depuis longtemps, est abandonnée aux fondamentalistes et conservateurs qui la façonnent à leur guise. Ils se posent comme des gardiens du temple et sèment la gabegie et la sujétion dans les esprits de nos enfants. La nostalgie chatouilleuse dont voulait se départir l’ex-président de la république A. Bouteflika, (Beyrouth, octobre 2002) semble bien ancrée dans les esprits des Algériens. L’école, selon les avis des observateurs, n’est plus le lieu de la transmission des valeurs universelles. Les défis de la modernité exigent un renouveau de la politique linguistique qui devrait non seulement concerner les langues algériennes, mais aussi les langues étrangères ; ce renouveau mesurera notre capacité à nous réformer, à nous adapter et à nous reconstruire : « Il n’y a pas de honte à utiliser un matériau étranger si c’est pour construire sa propre maison » (Grandguillaume., G 1983 : 159).

Le plurilinguisme et/ou le multilinguisme est une source de richesse et de puissance à mettre au service du développement durable du pays comme le confirme si bien, Abdellatif Mami, une universitaire algérienne, spécialiste en didactique des langues : « La vraie nécessité aujourd’hui est de reconnaître officiellement le principe de la « diversité » culturelle et linguistique dans les écoles et d’accepter le multilinguisme comme une source de puissance et de richesse. Cette reconnaissance peut être traduite dans les réformes éducatives et sculptée dans les mentalités des générations futures. Hors des discours politisés et instrumentalisants, l’école algérienne doit œuvrer à une meilleure gestion du multilinguisme. L’aménagement linguistique doit dépasser les idéologies réductrices et penser l’épanouissement du savoir et du développement de l’Algérie. »

En ces moments de la pandémie qui frappe le monde, nous découvrons que les extrémismes qui ont prévalu jusque-là n’ont servi qu’à endormir et à retarder l’évolution de notre pays. Les ministères de l’Éducation national et de l’Enseignement supérieur souhaiteraient sauver l’année scolaire et l’année universitaire. On vient de découvrir que le E-Learning est plus que nécessaire pour la transmission des savoirs. Mais le retard accumulé accentue notre incapacité à répondre aux besoins du moment. Les programmes enseignés sont en déphasage avec l’époque moderne, car les langues dans lesquelles ils sont dispensés le sont aussi.

Cette maladie qui nous impose le confinement, nous met devant nos faiblesses de communication. Un confinement sans communication serait le synonyme d’une mort cérébrale, sociale, ou plutôt d’une disparition certaine de ceux qui ne peuvent pas communiquer. Il en est ainsi de nos écoles, de nos universités, de nos écoles privés et de nos centres de formation. Ils sont tous mis en mode Off, car nous avons choisi, depuis longtemps, de nous enfermer, bien avant le confinement, dans l’unanimisme et le monolinguisme stériles. N’est-il donc pas le moment le plus opportun pour comprendre que l’éveil à la diversité, par le biais d’une politique linguistique qui assume tout à la fois notre histoire et nos aspirations à la modernité et au progrès, est la voie la plus sûre du déconfinement véritable qui permettra l’éveil à la bonne gouvernance, l’éveil aux énergies renouvelables et l’éveil aux nouvelles technologies et l’éveil à l’économie du savoir et l’éveil à l’écocitoyenneté ?

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