Littératures latino-américaines : la génération de l’entre-deux-guerres (3e partie)

« L’homme est l’aliment de l’homme. Le savoir ne se distingue pas du songe, ni le rêve du faire. Le poète a mis le feu à tous les poèmes. C’en est fini des mots et des images. Abolie, la distance entre le nom et la chose ; nommer c’est créer, imaginer, c’est naître. »
Octavio Paz

À partir de 1920, le roman prend le relais du poème. On peut alors parler, au cours de ces années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, de l’émergence d’une véritable identité romanesque propre à l’Amérique latine. Partout les problèmes sociaux apparaissent et en particulier ceux concernant la situation faite aux amérindiens du Pérou et ceux du Mexique. L’indigénisme est un mouvement littéraire qui apparaît vers 1930. Il ne suscite plus aujourd’hui qu’un intérêt plus historique que proprement littéraire.

Malgré la défense idéologique de l’amérindien, le langage employé par la majeure partie des écrivains — citons par exemple l’Argentin Benito Lynch (1885-1951) et le Vénézuélien Romulo Gallegos (1884-1969) — continue d’être celui du modernisme influencé par le naturalisme à la Zola.

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L’écriture, truffée de mots plus ou moins indigènes, ne dépasse pas le cadre de l’exotisme et du pittoresque et ignore complètement les éléments constitutifs de la culture amérindienne. Il faut attendre la prise de conscience déchirante du sous-développement, postérieure à la Seconde Guerre mondiale, avivée par la pression économique, politique et militaire des Etats-Unis, pour que les écrivains latino-américains prennent eux aussi conscience « qu’ils appartiennent à un ensemble de contrées confusément unies par leurs langues, mais aussi par l’exploitation, l’analphabétisme et la misère ». (Pablo Neruda).

La littérature prend alors un nouveau tournant. Il n’est plus question pour les écrivains de s’attendrir sur le sort des pauvres et des exploités mais de lutter pour eux et d’aborder, dans sa complexité et sa diversité, tous les éléments d’une culture orale et écrite complètement réprimée ou en voie de disparition. « C’est pourquoi la réalité qui transparait dans les œuvres actuelles est mythique, ludique, allégorique, légendaire ou simplement quotidienne. » (Gabriel Garcia Marquez).

La tradition orale

Il faut rattacher à ce courant Juan Rulfo (Mexique, 1917-1986) qui, avec son roman Pedro Paramo dénonce les injustices et les atrocités de la vie paysanne au Mexique, mais surtout l’écrivain guatémaltèque Miguel Angel Asturias (1899-1974), prix Nobel de littérature 1967, champion de la promotion de la culture Maya-Quiché et de ses répercussions dans les revendications des populations amérindiennes.

Deux autres écrivains ont eu la même « révélation » que Miguel Angel Asturias mais de façon plus discrète et plus souterraine. Notons en particulier les noms du Péruvien José Maria Arguedas qui s’est suicidé à Lima (1911-1969) et le Paraguayen Augusto Roa Bastos (1917-2005). La langue du premier a été la quechua (ou kechwa) alors que le second a su rendre universel le parler populaire du Sertao.

On pourrait ajouter à cette liste bien d’autres œuvres « non-régionalistes » et « non-indigénistes » mais dont la vocation sociale et combative a pris la forme d’une protestation globale contre les répressions des régimes en place.

C’est le cas notamment du grand roman d’Alejo Carpentier (Cuba, 1904-1980), La chasse à l’homme (1957), roman dans lequel l’auteur effectue une analyse de la situation politique de Cuba sous la dictature de Machado à travers les aventures d’un jeune étudiant terroriste poursuivi par l’organisation qu’il a trahie. C’est également le cas du roman de Miguel Angel Asturias, Monsieur le Président, qui n’est rien d’autre que la caricature bouffonne et sanguinaire du dictateur guatémaltèque Ernesto Cabrera.

L’angoisse des grandes villes

Dans les pays où domine la culture des grandes villes comme au Chili, en Argentine, au Brésil ou en Uruguay, la matière romanesque est caractérisée par un changement de théâtre — le paysage urbain éclipse le paysage rural. La ville devient le lieu, le labyrinthe, où se concentrent les réalités dramatiques de ces pays. Richesse insolente et pauvreté infinie, culture grandiose et analphabétisme total, gratte-ciels impressionnants et bidonvilles misérables cohabitent dans ces espaces contigus et simultanés.

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Des romanciers comme le Mexicain Mario Vargas Llosa (1936) ou l’Argentin Julio Cortázar (1914-1984) ont illustré, chacun à sa façon, les passions, les intrigues et les misères des grandes villes. Le premier à la manière du cinéaste Luis Buñuel dans La ville et les chiens, le second en développant jusqu’à l’absurde les inquiétudes, les fantasmes et les problèmes d’identification de l’homme moderne.

La culture populaire

Si un seul élément devait caractériser l’expérimentation de ces années d’avant-Seconde Guerre mondiale — expérimentation du champ littéraire s’entend — c’est la recherche critique non seulement à l’intérieur de la littérature elle-même, mais principalement en dehors de la littérature. L’exemple le plus frappant peut être fourni par l’œuvre du romancier argentin Manuel Puig (1932-1990) dont Le plus beau tango du monde et La trahison de Rita Hayworth où il situe les récits au niveau de la culture populaire dont les manifestations les plus connues sont les feuilletons (radiophoniques, télévisés ou imprimés dans les revues), les films et les paroles des chansons — tangos et boléros essentiellement.

 

 

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