La malédiction d’Ésope

 Ibn ‘Arabi nous l’avait dit, pourtant. Rien n’est plus impudent que ces apôtres hardis, qui s’évertuent à prêcher le déterminisme d’une cause qu’ils savent irrévocablement fausse. Il savait de quoi il parlait. Il en va ainsi de tous ces apôtres de la question linguistique en Algérie. Une question qui revient chaque fois plus embrouillée. Encore plus confuse et plus alambiquée. Alors que l’échec cuisant de son traitement à la hussarde, lors du sinistre épisode « arabêtisant » a montré ostensiblement son inanité. Et tous les dégâts qui peuvent être infligés à l’école et à la société. Et a fortiori à l’université. Une université qui a depuis longtemps donné sa langue au chat. Malgré ses mille et un cherchoirs. Des centres, des laboratoires, des ateliers, des unités et des projets à foison.  Des structures branlantes. Chancelantes. Bringuebalantes. Pour une prétendue recherche scientifique désespérément cahotante. Ensevelie sous le carcan brumeux d’une nébuleuse bureaucratique. Avec ses lourdeurs géniques. Et ses pesanteurs ataviques. Une myriade de structures aussi insensées les unes que les autres.  Et dont l’acte fondateur n’est certainement pas de produire du sens. Mais plutôt de le dissiper. Se cantonnant seulement à proférer d’affligeantes généralités. Et à égrener des chapelets de banalités. De là à songer publier quoi que ce soit de pertinent, de surcroît en anglais, autant leur demander de traverser l’Atlantique en apnée. Car ce micmac institutionnalisé exclut d’emblée les quelques rares universitaires authentiques, portés sur la recherche de la signifiance. Les indécrottables chercheurs de la dissonance. Les dissidents de la sérénissime complaisance. Ceux dont les livres et les publications ne se trouvent jamais dans les pâles bibliothèques orphelines. Ces caveaux glaciaux d’une l’université tout aussi orpheline. Et où les rares chercheurs chevronnés sont la cible privilégiée des dépositaires attitrés de l’insignifiance institutionnalisée. Les sentinelles de la paresse de l’esprit béatifiée. Les vigiles de l’immobilité gratifiée.  Ces factionnaires de la vacuité officielle dont la seule raison d’exister et de crétiniser copieusement l’université. Afin d’abrutir profusément la société. Chaque fois au nom d’une langue. Toujours tirée par son cheveu du milieu. Ignorant que, quelque soit la langue, toute recherche créative et imaginative requiert des conditions fondamentales. Des exigences capitales. Des modalités vitales. À commencer par le cadre épistémologique qui est le garant de l’objectivation, c’est-à-dire de la genèse cognitive dans la production de l’objet scientifique. Ensuite, l’appareillage théorique, qui constitue le moment d’élaboration des langages scientifiques. Une condition qui détermine le procès constitutif de la conceptualisation. Et enfin la dimension configurative qui stimule les méthodes et les procédés du cadre d’analyse. Dans l’état actuel des choses, ces trois exigences essentielles, parmi d’autres, sont inexistantes au sein de l’université algérienne. Elles n’existent ni en arabe, ni en tamazight, ni en algérien, ni en français. Ni dans aucune autre langue. Alors les ânonner péniblement ou les chuchoter laborieusement en anglais, en turc, en chinois ou en nabathéen, ne secouera en rien les indolences et les somnolences du palmier. Et ce n’est certainement pas l’incantation jubilatoire d’un scientisme balbutiant, aux accents vaguement britanniques, qui sortira l’université algérienne de son épaisse torpeur somnambulique.

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