La diversité des langues et des cultures : terme usé et épuisé
Le rapport aux langues devient, plus que jamais, un lieu de débats intarissables, fertiles et florissants entre les chercheurs de toutes disciplines confondues.
Désigner le contexte algérien par la pluralité linguistique et culturelle relève, sans conteste, de la trivialité. En effet, l’observateur du terrain algérien est frappé d’emblée, intrinsèquement et extrinsèquement, par l’omniprésence d’une mosaïque linguistique et culturelle manifeste : arabe littéral, dialectal, français, anglais, tamazigh, chaoui, chenoui, mozabite, tamacheq… Cette pluralité linguistique dépeint la territorialité nationale qui participe à l’édification du patrimoine anthropo-linguisticoculturel.
Maints qualificatifs désignant cette contexture linguale : diversité, adversité, complexité, pluralité, multilinguité, multilinguisme, plurilinguisme, interlinguisme, contact de langues, langues en contact, etc. Toutes ces terminologies vivantes et mouvantes sont épuisées avec une nuance épistémologique effleurée, en les réduisant constamment à un simple écran de projection linguistique. A cet effet, une relecture terminologique est importante pour déterminer le sens singulier de chaque tissu linguistique.
Dans ce qui suit, nous nuançons quelques termes occurrents dans les études sociolinguistiques.
-Diversité linguistique : La notion de diversité peut se concevoir aussi bien entre des langues diverses qu’à l’intérieur d’une même langue.
-Variation : L’existence des variations linguistiques à l’intérieur d’une même langue.
-Plurilinguisme : La différence est plus subtile entre « pluri » et « multi » (Rispail, 2017 : 95), car les deux affixes ont la même synonymie en latin : beaucoup, nombreux… mais cette signification reste linéaire et élémentaire. On désigne par compétence plurilingue le remaniement de maintes langues de façon décloisonnée, hétérogène, partielle et plurielle par un locuteur
-Multilinguisme : La coexistence des langues dans un territoire donné. On passe donc d’une logique centrée sur les langues à une autre axée sur les locuteurs.
Certains chercheurs y introduisent d’autres concepts pour caractériser la référencialité multidimensionnelle du contexte sociolinguistique ; ceux-ci escamotent la stratification cuisante entre idiolecte, régiolecte, sociolecte, variété, langue… Parmi ces concepts, nous citons les plus occurrents : pluralité linguistique ou interlinguistique (Ph. Blanchet), polyglossie (W. Marçais), polynomie (J.-B. Marcellesi)…
Au sein du brassage linguistique (Benrabah, 1999 : 27), figure le concept de la complexité (cf. E. Morin) qui abolit les lisières entre « ici » et « ailleurs », entre « je » et « tu », entre « l’un » et « l’Autre » en établissant un rapport dialectique et en mobilisant à la fois les notions de l’hétérogénéité, de la réflexivité, de l’altérité et de la diversité qui produisent, à leur tour, l’indissociabilité entre spatialité et temporalité, unité et diversité… Nous convoquons ici le propos assertif de V. Castellotti qui accorde un privilège au concept de complexité dans les études sociolinguistiques : « On peut, évidemment, choisir de construire l’espace de manière binaire (ici/ailleurs) mais il apparait plus cohérent dans une perspective réflexive qui se construit dans la complexité, de l’appréhender comme multiple et, aussi et surtout, dynamique » (2009 : 133)
Les termes supra sont souvent usés à tort et à travers pour désigner la même réalité (socio)linguistique. En ce sens, une critique épistémologique s’y impose et une (re)lecture terminologique est fort nécessaire pour caractériser le contexte maghrébin, et algérien en particulier, qui est toujours perçu sous le prisme d’une pluralité linguistique frappante et patente.
En effet, la délimitation des confins entre ces concepts est importante, car aucun terme ne peut se substituer à l’autre pour désigner la même réalité (socio)linguistique, qui pourrait paradoxalement paraître identique à première vue, dont la caractérisation intrinsèque est définie par de nombreux qualificatifs : contigüité (juxtaposition), d’entrelacs (interlangue), hiérarchisation (superposition)…
Enfin, les rapports entre les langues, en Algérie, peuvent être perçus sous différents angles : le rapport de contigüitédéfinit la juxtaposition des langues dans une poche géolinguistique particulière ; le rapport de polyglossie marque l’intersection des langues ou la mutation des vocables d’une langue à l’autre ; le rapport de hiérarchisation suppose la stratification des langues : langue haute vs langue basse, langue normée vs langue minorée ; le rapport diglossique(conflictuel) définit l’opposition entre arabophonie (arabe littéral dit classique) vs francophonie (français).
La particularité de ces concepts doit être reconfigurée et conjuguée en fonction de la singularité de chaque aire géographique, en recourant à une approche contextualisée.
De ce champ épistémologique naissent des questionnements phares et toniques tels que la disjonction entre langue et culture qui est souvent exprimée par le « trait gênant » ; l’uniformisation de langue-culture est indiquée par l’absence du marquage de pluralité « s » ; la luxation des langues et des cultures est introduite par l’exclusion de l’affixe « inter »…
Youcef BACHA, jeune chercheur en didactique des langues, en linguistique et en littérature française. Attaché au laboratoire de Didactique de la Langue et des Textes, Université de Ali Lounici-Blida 2 (Algérie).
Références bibliographiques
Henri Boyer (2001). Introduction à la sociolinguistique, Paris, Dunod.
Ibtissem Chachou (2018). Sociolinguistique du Maghreb, El-Biar, Hibr Editions.
Jean-Baptiste Marcellesi (2003). Sociolinguistique. Epistémologie, Langues régionales, Polynomie, Paris, L’Harmattan.
Marielle Rispail (dir.) (2017). Abécédaire de sociodidactique. 65 notions et concepts. Publications de l’Université de Saint-Etienne.
Mohamed Benrabah (1999). Langue et pouvoir en Algérie. Histoire d’un traumatisme linguistique. Paris, Séguier.
Véronique Castellotti (2009). Réflexivité et pluralité/diversité/hétérogénéité : soi-même comme des autres ?, dans Cahiers de sociolinguistique, Vol. 1, n° 14, pp. 129-144. https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-sociolinguistique-2009-1-page-129.htm