« Le confinement est une occasion de s’interroger sur sa propre existence » (Mahmoud Boudarène, psychiatre)

Dans cette interview, Mahmoud Boudarene, médecin-psychiatre et auteur de plusieurs livres sur des questions de société, analyse les effets du coronavirus sur la société en général et les individus en particulier.  Relativisant ses conséquences sanitaires par rapport à d’autres maladies autrement plus fréquentes, il pointe néanmoins du doigt la violence de la « contagiosité »  du Covid 19 et ce qu’il peut générer comme traumatismes et autres stress post-traumatiques, à travers notamment le confinement et les ruptures des habitudes de vie qu’il implique.

Le confinement, dû à la propagation rapide du Covid-19, est probablement un événement inédit dans l’histoire de lhumanité. Quen est-il en réalité ?

Il y a eu par le passé, à l’occasion d’épidémies, des confinements partiels, des mises en quarantaine des sujets atteints ou même de villes, comme Vannes dans le Mobihan en France, atteinte en 1955 d’une épidémie de variole – maladie infectieuse aujourd’hui disparue. Il a été question en 2014 d’un confinement en France à la suite de l’épidémie du virus Ebola, mais il n’a pas été fait. Le monde a depuis toujours connu des épidémies et des mises en quarantaine mais un confinement d’une telle ampleur dans le monde est en effet inédit. Il faut croire qu’avec le Covid-19, la peur s’est emparée de la planète. C’est que la contagion par ce virus est fulgurante et ses dommages considérables. Le taux de létalité du coronavirus est compris entre 2,5 et 3% et est trente fois plus élevé que celui de la grippe saisonnière (0,1%). Son indice de contagiosité (le nombre de personnes contaminées par un malade) est également plus élevé, il est de 1,5 à 3,5 et est deux fois supérieur. Pour autant, la grippe saisonnière fait selon l’OMS entre 300000 et 650000 victimes par an, 10000 morts en France. Le Covid-19 en a tué 15000 (sur 341000 infectés) dans le monde en trois mois. La grippe espagnole a décimé au début du vingtième siècle – en deux ans – entre 20 et 50 millions de personnes à travers le monde. L’humanité venait de sortir de la première guerre mondiale. Ces chiffres donnent le tournis mais permettent de relativiser – sans toutefois ignorer le danger – la pandémie du coronavirus. Le tapage médiatique autour de cette affection ne doit pas nous faire oublier également que 400000 personnes meurent du paludisme et que le SIDA fait plus de 700000 victimes par an dans le monde. Si la grippe saisonnière fait autant de victimes sans doute que les conditions d’une mise en place du confinement ne sont pas réunies. Quant à la grippe espagnole, les populations n’étaient pas conscientes des mesures d’hygiène à observer et des précautions élémentaires à prendre comme la distanciation. Le confinement n’était même pas envisageable. L’affaiblissement des populations par le conflit mondial, le manque d’information et d’éducation sanitaire ont fait le reste.

Le confinement se fait pour éviter une rencontre potentielle avec la mort. Son avènement brutal aura-t-il un effet traumatisant sur les populations touchées ?

C’est moins le confinement lui-même que la raison qui a amené à le décréter qui constitue un événement traumatisant avec de possibles répercussions sur l’avenir psychique des sujets. C’est la rencontre avec le virus corona qui est la menace potentielle, cette perspective est effroyable pour les sujets dès lors que la mort peut-être au bout de la contagion. C’est en tout cas ce que distillent les médias et tous les spécialistes interrogés, et c’est la seule issue à la maladie qui est retenue par tous. Terrifiant ! Un événement hors du commun et un véritable traumatisme avec les réactions psychiques diverses qui y sont associées. Des réactions de stress aigu et subaigu, individuelles et collectives sont observées ici et là. Dans les comportements de grosse anxiété ou de panique qui encombrent les services d’urgences médicales ou dans des comportements grégaires des populations qui participent d’un affolement inconsidéré et qui, par exemple, dévalisent les magasins. Plus tard, l’avenir nous le dira, quand la pandémie se sera calmée, apparaitront alors sans doute des troubles qui seront plus durables, chroniques, l’état de stress post-traumatique. Le confinement n’est donc pas un traumatisme en soi, il devrait au contraire, s’il est bien géré, protéger les sujets contre le traumatisme psychique et ses retombées sur la santé. Toutefois, certaines personnes, pour des raisons diverses et propres à chacune, peuvent en souffrir et développer des désordres psychiques. Si le confinement nous éloigne du danger potentiel pour notre santé, il nous fait rencontrer des conditions qui ne sont pas habituelles. Le seul fait de perdre l’initiative sur nos journées et notre existence constitue en soi une souffrance psychique mais c’est un moment limité dans le temps et ce retrait est pour notre bien, cela devrait être un argument protecteur, lequel – associé à une bonne organisation de nos journées de confinement – constituerait un rempart à toute forme de souffrance.

Le confinement, s’il venait à durer, aura-t-il des conséquences durables sur le fonctionnement de la société et sur les rapports interindividuels ?

Le confinement est en principe toujours limité dans le temps. Il a un objectif précis, empêcher la contagion en réduisant le processus de prolifération du virus. Ce dernier – le virus – est non seulement transporté par l’être humain et transmis à son prochain mais il y prolifère aussi, car le virus ne peut pas se développer dans la nature, en dehors de son hôte. Ce cycle, cette prolifération, dure 14 jours environ, c’est l’incubation, et le virus est prêt à quitter son hôte et à coloniser d’autres individus. Si ce process – si je peux appeler cela comme ça – est interrompu, la contagion ne se fait plus. C’est le rôle du confinement. Quand celui-ci est scrupuleusement respecté par tous, le virus ne peut plus se reproduire et la pandémie s’éteint. En principe, le confinement ne dure pas et le peu de répercussions que celui-ci aurait pu avoir sur le fonctionnement de la société et/ou sur les rapports individuels trouvent rapidement arrangement. Le confinement, je le soulignais dans ma réponse à la question précédente, peut générer une souffrance individuelle mais peut aussi, du fait « de la promiscuité » dans les foyers, être à l’origine des tensions dans les couples et les familles. Mais il peut y avoir aussi des conflits entre les individus, notamment quand des problèmes de ravitaillements se posent et quand l’accès aux soins – dans les structures de santé – posent problème. Une question de territoire… L’angoisse qui étreint les individus chosifie les consciences et fait émerger l’instinct grégaire qui est en chacun de nous et chacun de nous veut être servi le premier. Si le confinement est bien géré et si l’information est correctement donnée, les conséquences sont minimes.

Qu’en est-il des individus ? Ne pensez-vous pas que le confinement peut être une occasion pour les humains de revisiter leur rapport à eux-mêmes ?

Voilà un regard profitable sur cette contrainte qu’est le confinement. J’utilise le mot contrainte à dessein pour bien insister sur la nécessité de l’observer et le singulier impératif de le respecter. On ne peut donc y déroger sous aucun prétexte. C’est pourquoi ce confinement doit non seulement avoir un objectif mais aussi du sens. En l’occurrence, le sens premier est à relier à celui que l’on attribue à sa propre existence. La pandémie Covid-19, par la menace qu’elle fait peser sur notre vie, est là pour nous le rappeler. Et si on confère du sens à ce confinement, c’est parce que notre existence doit aussi en avoir. Vue sous cet angle, la contrainte n’est plus, elle est nécessité et impératif à la fois. Dès lors, la souffrance psychique que le confinement est susceptible de générer disparait. Enfin, en principe. Quoiqu’il en soit, ce « retrait sur soi » devrait être l’occasion  pour tout un chacun d’interroger sa propre existence. Chacun se questionnera à sa manière, sur la vie et la mort, sur la relation aux autres et aux choses, chacun selon sa personnalité, son histoire, ses croyances et convictions, et sa projection dans l’avenir. Les uns sortiront de cette épreuve rassurés et renforcés, les autres feront l’expérience de la souffrance et verront leur avenir psychique plus ou moins compromis ; ils seront fragilisés et auront sans doute besoin de soutien.

Avec le confinement, les réseaux sociaux, qui étaient déjà les principaux canaux de communications à travers le monde, sont confirmés comme étant le principal vecteur de communication entre les humains. Sommes-nous entrés dans une ère nouvelle ?

Si le monde entre dans une ère nouvelle, ce ne sera pas à cause des réseaux sociaux mais plutôt grâce à cette douloureuse épreuve infligée par la pandémie mondiale Covid-19. Il faut croire que les expériences précédentes n’ont pas été utiles. Les réseaux sociaux ont contribué à transporter non pas l’infection mais la grosse frayeur que celle-ci a suscitée en amplifiant notamment ses effets. La mort au bout du compte. L’information a circulé d’un bout à l’autre de la planète beaucoup plus vite que les personnes qui ont essaimé le virus aux quatre coins du globe. Heureusement d’ailleurs, parce que cela a permis de la contenir plus ou moins bien. Beaucoup de contrées dans le monde s’y sont préparées avant même l’arrivée de l’infection. Imaginez un instant que les Chinois aient exporté le virus sans que le monde ne soit informé de ce qui se passe à l’intérieur de leur territoire. Les nations auraient été infectées avant même qu’elles ne comprennent ce qui leur arrive. Imaginez la perte de temps, le temps que les uns et les autres réalisent… Regardez ce qui se passe en Italie et en France et ailleurs, et ces pays avaient connaissance de la pandémie qui venait de flamber dans le Wuhan chinois. La communication est un indéniable bienfait et les réseaux sociaux en sont devenus un vecteur indispensable, quand bien même ils ont quelques fois un effet pervers : l’inflation et/ou la manipulation de l’information. L’ère nouvelle comme vous dites se manifestera peut-être dans une re-fondation des relations entre les nations et les peuples. S’il y a une leçon à tirer de cette pandémie, c’est l’insignifiance de la vie, la fragilité de l’existence de l’être humain et le dérisoire de ses richesses, de ses possessions accumulées. Il faut souhaiter que cet événement amène les peuples à plus de solidarité, de compassion, que les nations les plus riches fassent preuve de moins d’arrogance et regardent un peu plus souvent du côté des plus démunis. Cela dit, il est vrai qu’avec le confinement des populations, la consommation des réseaux sociaux fera un bond exponentiel. Ils réduiront davantage les distances entre les hommes ; il reste à espérer qu’avec l’épreuve que nous connaissons ils rapprocheront aussi les cœurs.

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