Le patrimoine culturel immatériel (PCI) et ses enjeux (3e partie)
3. De la protection à la sauvegarde
Le principe de « biens communs » et la valeur de « sauvegarde » par laquelle se caractérise la convention de 2003 ont fait beaucoup évoluer le patrimoine culturel. D’une part, en s’élargissant, à partir du XVIIe siècle, aux productions culturelles les plus variées, le terme patrimoine prend un autre sens, se démarque de celui de « monument historique », avec qui, il est en concurrence, et s’ouvre vers une conception moins matérielle. D’autre part, en englobant tous les biens, il les consacre comme biens publics voire universels comme le préconisaient déjà les philosophes des Lumières. Cette idée d’extrapatrimonial, propriété publique existait déjà dans le droit romain. En effet, en droit romain, on opérait une distinction entre les choses dans le patrimoine, ou res in patrimonio (biens propres) et celles qui en étaient exclues, appelées res extra patrimonium. Alors que les premières étaient susceptibles d’une appropriation privée, les secondes étaient publiques et ne pouvaient en aucun cas appartenir à des particuliers (A. Desvallees, 2015). Le principe de « bien commun » du patrimoine est un garde-fou contre l’acculturation ; il garantit une protection essentielle afin d’assurer la reconnaissance de la diversité culturelle du fait patrimonial (J. Mariannick, 2006). Avec ce principe, le patrimoine est moins une possession qu’une propriété en ce sens qu’en supprimant l’exclusivité que permet la propriété cela permet le partage et la liberté d’usage. Contrairement au patrimoine culturel matériel régi par un ensemble de règles, le patrimoine culturel immatériel obéit à un ensemble de valeurs dont le principal est la « sauvegarde ». Dans la partie III, article 2 et 3 de la convention de 2003, la sauvegarde du PCI est définie comme « mesures visant à assurer la viabilité du PCI, y compris l’identification, la documentation, la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en valeur, la transmission essentiellement par le biais de l’éducation formelle et non formelle ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine ». Le premier objectif de la convention de 2003 est la sauvegarde, entendue comme « mesure visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel ». Le choix du terme « sauvegarde » au détriment de « protection », utilisé jusqu’à là pour le patrimoine culturel matériel, est justifié, selon les rédacteurs et concepteurs de la convention, par la nature dynamique des expressions culturelles immatérielles (C. BORTOLOTO, 2011). Le terme « protection » usité pour le patrimoine culturel matériel vise à maintenir les conditions d’intégrité et d’authenticité d’un élément matériel au moment de son inscription par l’Unesco. Un monument historique, un objet archéologique doit être conservé longtemps, protégé contre l’usure du temps ; une lutte contre sa disparition. Pour cela, les spécialistes du patrimoine ont mis en place toute une série de règles permettant la préservation et la conservation. Le terme protection qui implique les règles de conservation ne peut s’appliquer au patrimoine culturel immatériel qui, est perpétuellement recréé. Pour rendre compte de cette spécificité de patrimoine en évolution, il faut donc se distancier du terme de « protection ». C’est ainsi qu’on a opté pour le terme de « sauvegarde » qui tient compte non seulement de la dimension historique, mais aussi évolutive du patrimoine comme l’écrit (C. Bortoloto, 2011) : « Le terme de ‘‘sauvegarde’’ a paru plus apte à indiquer l’évolution durable que les négociateurs assignaient au PCI ». Les expressions dynamiques du patrimoine, les savoir-faire, les savoirs ne peuvent pas être protégés dans des espaces de conservation comme les musées, les archives ou bases de données comme c’est le cas, par exemple, pour les objets archéologiques ou les chants disparus enregistrés par un ethnologue. Il est plutôt question de les faire perpétuer à travers les générations, de continuer à faire vivre ces expressions culturelles avec tout ce qu’implique la transmission comme modifications et innovations. La convention de 2003 insiste non seulement sur la dimension historique, mais aussi sur les porteurs, l’aspect dynamique et identitaire des expressions culturelles. Cependant, son application reste difficile en raison de nombreux enjeux que nous allons découvrir dans ce qui suit.