Littérature et vérité : l’exemple de la narration autothanatographique
La littérature et la vérité entretiennent des relations complexes qui font l’objet de plusieurs livres. Le vrai, le vraisemblable et l’irréel sont des composantes qui ont fait réfléchir les écrivains et les critiques littéraires. Au XVIIe siècle, Boileau déclarait haut et fort : « Rien n’est beau que le vrai ». Idée éminemment Platonicienne qui rappelle les mêmes mots du philosophe qui affirme que le beau est « la splendeur du vrai ». A l’Âge classique éclatait cette grande question du vraisemblable. Les dramaturges devaient impérativement se conformer à ce principe ou risquer les critiques les plus acerbes. Souvenons-nous de la Querelle du Cid qui se déclenchait à cause des libertés prises par Corneille quant aux règles du théâtre classique, surtout celle de la vraisemblance. Le mariage de Chimène et de Rodrigue étant aux yeux des critiques moralistes une invraisemblance. Le vraisemblable est à l’époque ce qui peut/doit être cru et donc ce qui peut exister. A y voir de plus près, cette conception n’est pas aussi Platonicienne que cela paraît. Pour les critiques moralistes, ce n’est pas le vrai qui importe (comme chez Platon), mais bien le vraisemblable. Il suffit que les spectateurs acceptent la chose pour qu’elle soit vraisemblable, même étant une supercherie. Par contre, même un « vrai » inadmissible par les spectateurs est à bannir du théâtre, d’où l’adage célèbre de Boileau : « Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable / Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». Au XIX siècle, le roman s’est voulu une peinture fidèle de la réalité. Mais la peinture de la chose n’est jamais semblable à la chose. Stendhal qui voulait faire du roman « un miroir que l’on promène le long du chemin » sait que le miroir est déformant. Il dit également : « Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n’en puis présenter que l’ombre ». C’est le « ceci n’est pas une pipe » de Stendhal. Ainsi, tout ce qui entre dans cette machine littérature se dépouille du vrai et se couvre du fictif. C’est ce que semble comprendre Valéry quand il affirme qu’«en littérature, le vrai n’est pas concevable ». Cependant, l’absence du vrai n’implique pas celle de la vérité. La vérité romanesque n’est pas tributaire de l’exactitude des faits. La vérité romanesque est ailleurs…
J’espère ne pas offenser Valéry, Stendhal et compagnie en abordant un corpus léger comme celui de La Casa de Papel, série espagnole très célèbre. Ce qui m’y intéresse est uniquement l’élément qui a surpris certains spectateurs : Tokyo, la narratrice de la série, continue de narrer même après sa mort. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vraisemblable. Mais rien de nouveau sous le soleil. C’est littéraire. En effet, il s’agit d’une technique narrative dont les prémices sont lointaines mais qui a véritablement eu lieu à la fin du XXe siècle. La critique littéraire appelle ce phénomène : la narration autothanatographique. Frédéric Weinmann consacre à ce genre un livre publié récemment sous le titre « Je suis mort » et sous-titré « essai sur la narration autothanatographique ». L’auteur y revient sur des romans du XIXe siècle, de Balzac ou d’Edgar Alain Poe, qui ont annoncé le genre, avant d’aborder les romans où le narrateur se déclare vraiment mort comme dans La Douane de mer de Jean d’Ormesson. Pour Weinmann, le narrateur mort n’est pas moins vraisemblable que le narrateur omniscient. Effectivement, un narrateur balzacien qui connait les secrets de tous les ménages parisiens surprend moins que la résurrection d’un mort. Selon le critique, ce procédé accentue l’artifice du roman et rappelle le statut fictif de l’écriture romanesque.
En fin de compte, l’invraisemblable ne serait peut-être là qu’au service du vrai. Dostoïevski avait exprimé ce paradoxe dans Les Possédés : « Mon ami, la vérité vraie est toujours invraisemblable, le savez-vous ? Pour rendre la vérité plus vraisemblable, il faut absolument y mêler du mensonge. » C’est le mentir vrai, dirait Aragon.
Salam !
Vous me rappelez qu’un certain pseudo Mémoria avait formulé dans un journal électronique belabbésien , aujourd’hui disparu, cette expression : »Je mens en disant la vérité ! »
Il est vrai aussi que les multimédias dupliquent les écritures post mortem de façon « industrielle » mais la problématique des compétences du lectorat classique à assimiler/consommer /critiquer cette fulgurance culturelle de masse reste posée !
A bon lecteur salut !