On achève bien l’Université
De nouveau, un bivouac tapageur autour du devenir de l’université. À quelques heures d’une drôle de rentrée. Après un semestre entre hibernation et état comateux. Et comme la notion de réanimation a retrouvé, depuis peu, ses lettres de noblesse, le bivouac de l’engeance se tient sous les auspices de l’urgence. Pour balancer, vite fait, des décrets, des arrêtés, des lois, des contre-lois, des rumeurs, des approximations et des supputations. Sur les diplômes, les concours, les cycles, la hauteur des plafonds, l’état de la couleur des toilettes. Puis, subsidiairement, sur l’état d’âme des bipèdes qui tournoient sur eux-mêmes dans ce cercle quadrilatère. Le bivouac se tient, come toujours, dans un flou institutionalsé. Suivi d’un fouillis officialisé. Et d’une incrédulité généralisée. Toutes les formules, les formes et autres réformes, sont passées en revue. Sauf l’essentiel, c’est-à-dire les conditions de fondation d’une université aux normes de l’universalité. Car depuis des années, c’est le même cirque. Une institution qui se morfond copieusement et qui perd pied inexorablement, condamnée à organiser des cycles d’examens à répétition. Puis des rattrapages. Puis des repêchages. Puis les sauvetages. Et enfin, les inéluctables passages. Pour tous les étudiants. Y compris ceux qui n’ont strictement rien pigé. Et pour lesquels les études se réduisent à une présence sur une liste d’attente durant quelques années. Car l’université algérienne peut se targuer d’avoir inventé la réussite par l’attente. Toujours garantie, in fine. Et cette aberration dure depuis des lustres. Elle remonte à l’époque du populisme démagogico-dramatique. Qui revient au triple galop. L’ère de la formation de masse, en masse. Initiée par le simulacre de réforme de l’enseignement supérieur, qui a sacralisé l’enfoulement par la porosité. Le lit douillet de la médiocrité. Au bout de cinq décennies, les plis ont trop bien pris. On traverse l’université comme on traverse mollement un petit couloir. À la sortie duquel se trouve le papelard. Et où des milliers de paumés tentent de tromper leur attente en traînant piteusement leur abattement entre des bancs accidentés et des galeries tourmentées. En attendant la fin officielle de l’année. Qui se réduit, souvent, à quelques heures laborieusement dérobées. L’essentiel du volet pédagogique se réduit à cette funeste parodie. L’autre volet fondamental qu’est la recherche n’est guère mieux loti. Mille et une structures. Des centres, des laboratoires, des ateliers, des unités et des projets. Mais point de recherche. Ou alors si peu. Ensevelie sous le poids oppressant du carcan bureaucratique, ses ailes ne peuvent se déployer. Car pour pouvoir s’objectiver, toute recherche requiert des conditions nécessaires parmi lesquelles, et prioritairement, la dimension épistémologique, le garant de l’objectivation, c’est-à-dire de la genèse dans la production de l’objet scientifique. Ensuite, la dimension théorique qui constitue le moment d’élaboration des langages scientifiques. Une dimension théorique qui détermine le procès constitutif de la conceptualisation. Et enfin la dimension configurative qui stimule les modalités et les caractéristiques du cadre d’analyse. Dans l’état actuel des choses, ces dimensions sont inexistantes au sein de l’université algérienne. Et dans les conditions de leur absence, la recherche scientifique est réduite, et tous les textes qui se succèdent, l’illustrent parfaitement, à une suite d’opérations, de procédures ou de protocoles plus ou moins codifiés, mais sans la moindre exigence de pertinence épistémologique. Alors que veut-on réformer ? La vacuité pédagogique ? La bureaucratie dominant la recherche scientifique ? Etranglant, fermement, dans ses inextricables dédales le moindre frémissement de l’imagination. Ou alors veut-on juste conforter le micmac généralisé, institutionnalisé et officialisé, qui exclut d’emblée la recherche de la dissonance et de l’indocilité ? De ligoter la rigueur, de menotter l’exigence et la pertinence. Les cibles privilégiées de l’insignifiance gratifiée et de la médiocratie béatifiée. Deux cerbères inamovibles dont l’unique raison d’exister et de crétiniser irréversiblement l’université.